9ème chambre du Conseil d’État, le 15 mai 2025, n°494449

Par une décision en date du 15 mai 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la nature du recours juridictionnel ouvert à un contribuable pour contester des impositions supplémentaires. La haute juridiction administrative rappelle avec fermeté la distinction fondamentale entre le contentieux de l’annulation et le plein contentieux en matière fiscale, et précise la portée des conclusions présentées par le requérant.

En l’espèce, une société exploitant un hypermarché a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale lui a notifié des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales pour plusieurs années, assorties de pénalités pour manquement délibéré. Après le rejet de sa réclamation préalable, la société a saisi le tribunal administratif de Rennes d’une demande visant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de rejet ainsi que de l’avis de mise en recouvrement. Par une ordonnance du 18 mars 2024, le président de la chambre compétente a rejeté cette demande comme étant irrecevable. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État contre cette ordonnance, estimant que le premier juge avait dénaturé ses écritures et méconnu son droit au recours.

Le problème de droit soumis au Conseil d’État consistait à déterminer si le recours pour excès de pouvoir constitue une voie de droit recevable pour contester des actes inhérents à une procédure d’imposition. La question portait plus précisément sur le point de savoir si le juge doit requalifier les conclusions d’un requérant lorsque celui-ci emploie une voie de recours manifestement inappropriée pour formuler ses prétentions.

À cette question, la haute assemblée répond par la négative en rejetant le pourvoi. Elle juge que les actes contestés, à savoir la décision de rejet de la réclamation et l’avis de mise en recouvrement, ne sont pas détachables de la procédure d’imposition. Par conséquent, leur contestation ne peut s’opérer que dans le cadre d’un recours de plein contentieux tendant à la décharge des impositions, et non par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État valide ainsi l’analyse du premier juge qui avait déclaré la demande irrecevable sans avoir à en modifier l’objet.

Cette solution, si elle peut paraître sévère, consacre une orthodoxie procédurale bien établie en contentieux fiscal, réaffirmant la distinction cardinale entre les différentes voies de recours (I). Elle souligne par ailleurs l’office rigoureux du juge administratif dans l’appréciation des conclusions dont il est saisi, limitant ainsi les possibilités de régularisation des erreurs commises par les justiciables (II).

I. La réaffirmation de l’étanchéité entre le contentieux de l’annulation et le plein contentieux fiscal

La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue nettement le recours pour excès de pouvoir du recours de plein contentieux, cette distinction emportant des conséquences déterminantes quant à la recevabilité de la demande du contribuable. Le Conseil d’État rappelle que la contestation d’une imposition relève exclusivement du plein contentieux (A), ce qui rend par nature irrecevable un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes de la procédure d’imposition (B).

A. Le caractère exclusif du plein contentieux pour la contestation du bien-fondé de l’impôt

Le contentieux fiscal est, par principe, un contentieux de plein contentieux, ou de pleine juridiction. Lorsqu’un contribuable entend contester le montant ou le principe même de l’impôt mis à sa charge, il ne demande pas seulement au juge d’annuler une décision administrative, mais il lui demande de se prononcer sur l’existence et la quotité de sa dette fiscale. Le juge de l’impôt ne se comporte pas alors comme un juge de la seule légalité externe et interne d’un acte, mais il examine l’ensemble des droits et obligations des parties au regard de la loi fiscale.

Cette qualification a des implications majeures. Le juge de plein contentieux dispose de pouvoirs étendus : il peut réformer la décision administrative, substituer sa propre décision à celle de l’administration, et accorder une décharge ou une réduction des impositions contestées. Cette voie de recours est la seule qui permette au requérant d’obtenir le résultat concret qu’il recherche, à savoir une modification de sa situation fiscale. Le recours pour excès de pouvoir, quant à lui, ne vise qu’à l’anéantissement rétroactif d’une décision administrative illégale, sans permettre au juge de statuer lui-même sur le fond du droit.

B. L’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre des actes non détachables de la procédure d’imposition

La solution retenue par le Conseil d’État découle logiquement de cette distinction fondamentale. Les actes par lesquels l’administration fiscale rejette une réclamation ou émet un avis de mise en recouvrement ne sont pas considérés comme des décisions administratives classiques, détachables d’une opération plus complexe. Ils constituent des maillons de la chaîne procédurale aboutissant à l’établissement et au recouvrement de l’impôt. Tenter de les isoler pour les attaquer par la voie de l’excès de pouvoir reviendrait à contester indirectement le bien-fondé de l’imposition par une voie de droit inappropriée.

En l’espèce, le Conseil d’État confirme sans équivoque la position du tribunal administratif de Rennes. Il estime que le juge n’a pas commis d’erreur de droit « en jugeant que les conclusions de la demande dont il était saisi tendaient à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle l’administration fiscale avait rejeté la réclamation formée par la société (…) ainsi que de leur avis de mise en recouvrement et qu’elles étaient irrecevables au motif que ces actes n’étaient pas détachables de la procédure d’imposition ». Cette affirmation péremptoire ferme la porte à toute tentative de contournement des règles de compétence contentieuse, même lorsque le requérant invoque une prétendue irrégularité de la décision de rejet.

II. La portée de l’office du juge face aux erreurs procédurales du requérant

Au-delà de la stricte application des règles de recevabilité, l’arrêt éclaire l’étendue de l’office du juge administratif lorsqu’il est confronté à une requête mal orientée. Il confirme que le juge n’est pas tenu de suppléer les carences du requérant en requalifiant ses conclusions (A), et écarte avec la même rigueur les moyens qui ne sont pas étayés avec la précision requise (B).

A. L’absence d’obligation de requalification des conclusions du requérant

L’un des arguments de la société requérante consistait à soutenir que le premier juge aurait dû interpréter ses écritures et comprendre que sa demande visait, en substance, à obtenir la décharge des impositions. Le Conseil d’État réfute cette analyse en validant l’interprétation littérale des conclusions de la demande par le tribunal. La société avait explicitement maintenu ses conclusions à fin d’annulation pour excès de pouvoir, et c’est sur ce terrain que le juge devait se placer pour statuer.

Cette position illustre le principe selon lequel le juge est lié par les conclusions des parties. S’il lui appartient d’interpréter les écritures pour en déterminer le sens exact, il ne peut en revanche les dénaturer ni en modifier l’objet. En l’occurrence, les conclusions étaient claires et non équivoques, visant une annulation pour excès de pouvoir. Le juge n’avait donc pas l’obligation, ni même la faculté, de transformer ce recours en une demande de décharge relevant du plein contentieux. La rigueur procédurale l’emporte sur une potentielle intention sous-jacente du justiciable, ce qui constitue un rappel de la nécessaire maîtrise des règles contentieuses par les parties.

B. Le rejet pragmatique des moyens inopérants ou insuffisamment précis

La décision témoigne également du traitement pragmatique réservé aux autres arguments soulevés par la société. D’une part, le Conseil d’État qualifie de « surabondant » le motif du premier juge relatif à l’existence d’une autre demande en décharge introduite ultérieurement par la société. Par conséquent, le moyen de cassation dirigé contre ce motif est déclaré « inopérant » et écarté comme tel. Cette technique permet à la haute juridiction de ne pas se prononcer sur un motif qui, même erroné, n’est pas le soutien nécessaire de la décision attaquée, renforçant ainsi l’efficacité de son contrôle.

D’autre part, le moyen tiré d’une violation du droit à un recours effectif garanti par la convention européenne des droits de l’homme est sèchement écarté. Le Conseil d’État relève que cet argument « n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ». Cette formule classique sanctionne un manque de démonstration juridique. Elle signifie que l’invocation d’un droit fondamental ne saurait suffire si elle n’est pas accompagnée d’un raisonnement concret et circonstancié expliquant en quoi la décision attaquée porterait atteinte à ce droit. La protection des droits ne dispense pas le requérant de son obligation d’argumentation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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