9ème chambre du Conseil d’État, le 19 février 2025, n°486505

Par un arrêt en date du 19 février 2025, le Conseil d’État a eu à se prononcer sur les modalités d’application du mécanisme de correction des erreurs comptables prévu par le code général des impôts. En l’espèce, une société de transport a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale lui a notifié des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2016 et 2017. Le service vérificateur avait notamment réintégré dans les résultats de l’exercice 2016 une somme inscrite au passif qu’il estimait injustifiée. La société a contesté ces redressements devant le tribunal administratif de Paris, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 28 septembre 2022. Sur appel de la contribuable, la cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 28 juin 2023, a infirmé ce jugement et prononcé une décharge partielle de l’imposition pour l’exercice 2016. Les juges du fond ont en effet considéré que la société était en droit de se prévaloir des dispositions du second alinéa du 4 bis de l’article 38 du code général des impôts, estimant que l’erreur à l’origine de l’inscription du passif litigieux était intervenue au cours d’un exercice suffisamment ancien. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si une erreur comptable, dont l’origine remontait à un exercice clos moins de sept années complètes avant l’ouverture du premier exercice de la période de reprise, pouvait ouvrir droit au mécanisme de correction dérogatoire prévu par la loi fiscale. La Haute Juridiction administrative a répondu par la négative à cette question. Elle a jugé que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en accordant le bénéfice de cette exception alors que la condition d’antériorité de plus de sept ans n’était pas satisfaite. Par conséquent, le Conseil d’État a annulé la décision des juges d’appel et leur a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit rejugée.

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I. La censure d’une application extensive de l’exception au principe d’intangibilité du bilan

Le Conseil d’État, en annulant l’arrêt de la cour administrative d’appel, rappelle la stricte portée du principe de l’intangibilité du bilan d’ouverture (A) avant de sanctionner une interprétation erronée de ses conditions de dérogation (B).

A. Le principe de l’intangibilité du bilan d’ouverture et sa dérogation

Le droit fiscal français est gouverné par le principe de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit. En vertu des dispositions du 4 bis de l’article 38 du code général des impôts, ce bilan ne peut, en principe, être corrigé des erreurs ou omissions qui auraient pu l’affecter. Cette règle vise à garantir la sécurité juridique en figeant la situation comptable de l’entreprise à l’ouverture de la période soumise au droit de reprise de l’administration. Toutefois, le législateur a prévu une exception notable à ce principe. Le second alinéa du même article autorise en effet la correction symétrique des bilans, y compris celui du premier exercice non prescrit, lorsque l’entreprise apporte la preuve que l’erreur initiale est intervenue plus de sept ans avant l’ouverture de cet exercice. Cette disposition permet ainsi de ne pas pénaliser indéfiniment une entreprise pour une erreur ancienne et de rétablir la vérité de sa situation patrimoniale.

B. La sanction d’une computation erronée du délai d’antériorité

Dans l’affaire qui lui était soumise, la cour administrative d’appel de Paris avait fait application de cette exception pour une somme figurant au passif depuis la clôture de l’exercice 2009. Elle avait considéré que l’administration ne pouvait réintégrer ce passif au titre de l’exercice 2016, premier exercice non prescrit. Le Conseil d’État censure ce raisonnement en opérant un calcul strict du délai de sept ans. Il relève que pour l’exercice 2016, ouvert le 1er janvier 2016, le point de départ du délai de prescription est le 1er janvier 2009. La Haute Juridiction juge ainsi qu’en statuant comme elle l’a fait, « alors que l’exercice clos le 31 décembre 2009 n’avait pas été clos plus de sept ans avant l’ouverture, le 1er janvier 2016, du premier exercice non prescrit, la cour a commis une erreur de droit ». En effet, l’exercice 2009 s’inscrit à l’intérieur de la période de sept ans précédant le 1er janvier 2016 et non au-delà. La condition d’antériorité posée par la loi n’était donc pas remplie, ce qui privait l’entreprise de la possibilité de corriger son bilan d’ouverture de l’exercice 2016.

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II. La portée de la décision quant à la sécurisation du droit fiscal

Cette décision, bien que fondée sur une application littérale du texte, a le mérite de clarifier les règles de computation du délai (A) et réaffirme ainsi une orthodoxie comptable et fiscale qui limite les incertitudes (B).

A. La consécration d’une interprétation stricte du délai légal

En se livrant à une analyse rigoureuse du décompte des années, le Conseil d’État offre une lecture sans équivoque des dispositions de l’article 38, 4 bis du code général des impôts. La valeur de la présente décision réside dans sa pédagogie et sa simplicité. Elle confirme que le délai de sept ans doit être calculé de date à date, en excluant toute interprétation qui consisterait à raisonner en nombre d’exercices clos. Cette précision est essentielle pour les praticiens, car elle met fin aux éventuelles divergences d’interprétation et assure une application uniforme de la loi sur l’ensemble du territoire. La solution retenue est juridiquement rigoureuse et cohérente avec l’objectif de la règle, qui est de fixer une limite temporelle claire au-delà de laquelle les erreurs anciennes peuvent être neutralisées. L’automaticité du calcul qui en découle renforce la prévisibilité de la norme fiscale pour les entreprises.

B. Une décision d’espèce au service de l’orthodoxie fiscale

La portée de cet arrêt doit cependant être mesurée. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais plutôt d’un arrêt d’espèce qui vient rappeler une solution établie et corriger une mauvaise application du droit par les juges du fond. Son influence sera donc limitée à la confirmation d’une méthode de calcul. Elle ne modifie en rien l’équilibre entre le principe d’intangibilité et sa dérogation. Cette décision réaffirme la volonté du législateur, et du juge de l’impôt, de n’admettre la correction des bilans que dans un cadre très strict. Elle rappelle que la dérogation prévue par la loi, si elle est un instrument de justice, ne saurait être étendue au-delà des limites qu’elle a elle-même fixées. L’arrêt constitue ainsi une garantie pour l’administration fiscale contre une remise en cause trop large des bilans passés, tout en rappelant aux entreprises l’importance d’une tenue rigoureuse et régulière de leur comptabilité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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