Le Conseil d’Etat, par une décision du 19 février 2025, précise les conditions de régularité d’un arrêt d’appel au regard de l’examen des preuves. Le litige porte sur la qualification de sommes perçues par un associé minoritaire, regardées par l’administration comme des revenus distribués imposables. L’administration a procédé à la vérification de la comptabilité d’une entreprise et a constaté des virements sur le compte bancaire personnel du requérant. Ces sommes ont été assujetties à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités pour les années concernées.
Le contribuable a sollicité la décharge de ces impositions devant le tribunal administratif de Melun qui a rejeté sa demande par un jugement du 3 juin 2021. La cour administrative d’appel de Paris, saisie du litige, a partiellement réduit les bases d’imposition mais a maintenu le surplus par un arrêt du 22 mars 2023. Le requérant soutient que les versements litigieux constituaient des remboursements de dépenses exposées pour le compte de la société et non des revenus de capitaux mobiliers. Il reproche aux juges d’appel d’avoir écarté son argumentation faute de preuves, alors que les justificatifs nécessaires figuraient au dossier transmis par les premiers juges.
La question posée est de savoir si la juridiction d’appel dénature les pièces du dossier en affirmant l’absence de production de justificatifs de dépenses professionnelles. Les magistrats doivent déterminer si l’omission de documents présents dans le dossier de première instance vicie la solution retenue par les juges du fond. Le Conseil d’Etat considère que la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l’intéressé ne produisait aucune pièce justificative. La décision souligne que ces documents figuraient au dossier de première instance transmis à la cour conformément aux dispositions du code de justice administrative. L’analyse portera sur la dénaturation résultant de l’omission de pièces transmises et sur l’étendue des obligations d’instruction pesant sur la juridiction d’appel.
I. La dénaturation caractérisée par l’omission de pièces transmises
A. Le constat d’une erreur matérielle dans l’examen du dossier
La cour administrative d’appel de Paris a estimé que le requérant ne justifiait pas de la réalité des dépenses alléguées pour la période en litige. Le juge d’appel a fondé son rejet sur l’absence matérielle de production de pièces justificatives par le contribuable durant la phase d’instruction de l’appel. Le Conseil d’Etat relève pourtant que les documents nécessaires figuraient bien dans le dossier de première instance transmis par le tribunal administratif de Melun. En affirmant l’inexistence de ces preuves, les juges du fond ont commis une erreur matérielle flagrante altérant la portée des éléments qui leur étaient soumis. Cette dénaturation des pièces du dossier constitue un vice de raisonnement qui justifie l’annulation de la décision attaquée sans examen des autres moyens.
B. La sanction de l’insuffisance des investigations menées en appel
L’annulation prononcée illustre la sévérité du juge de cassation face à une négligence dans l’examen exhaustif des éléments versés aux débats par les parties. La solution retenue en appel est infirmée car elle repose sur une prémisse factuelle erronée concernant l’absence totale de justificatifs de dépenses professionnelles régulières. Le Conseil d’Etat rappelle que la dénaturation est constituée lorsque les juges du fond méconnaissent le sens clair et précis d’un document produit. En l’espèce, l’omission pure et simple de pièces existantes et identifiables équivaut à une interprétation manifestement inexacte de la réalité du dossier d’instruction complet. Cette position protège le requérant contre les conséquences d’un dysfonctionnement dans la lecture des dossiers transmis entre les différents degrés de la juridiction.
II. L’obligation de vigilance sur le contenu du dossier de première instance
A. La portée de la transmission automatique du dossier contentieux
L’article R. 741-10 du code de justice administrative impose la transmission intégrale du dossier de première instance à la juridiction saisie d’un recours en appel. Cette règle de procédure garantit que l’ensemble des éléments débattus devant les premiers juges demeure à la disposition de la cour administrative d’appel compétente. La décision souligne que ces pièces « figuraient au dossier de première instance transmis à la cour administrative d’appel » et devaient donc être examinées par les magistrats. La transmission automatique des documents implique une obligation de vigilance accrue de la part des magistrats d’appel sur le contenu effectif du dossier d’instruction. La défaillance de la cour administrative d’appel de Paris réside dans son incapacité à identifier des preuves présentes dans l’inventaire des pièces transmises.
B. La garantie d’un examen effectif des moyens du requérant
Le respect du caractère contradictoire de la procédure administrative exige que le juge se prononce au vu de toutes les observations et justifications régulièrement produites. L’erreur de la juridiction d’appel prive le contribuable d’une évaluation équitable de sa situation fiscale au regard des dépenses réellement engagées pour le compte social. Le juge a le devoir d’instruire l’affaire avec soin avant de rejeter une argumentation pour un défaut de preuve qui s’avère matériellement inexact. L’effectivité du double degré de juridiction suppose que la cour d’appel reprenne l’examen des faits à partir de l’intégralité des éléments déjà collectés antérieurement. Le renvoi de l’affaire permettra une nouvelle appréciation de la valeur probante des pièces indûment ignorées par les juges lors du second degré de juridiction.