Par une décision en date du 28 février 2025, le Conseil d’État a précisé l’étendue de l’office du juge administratif lorsqu’il statue sur une décharge d’imposition. En l’espèce, un contribuable avait fait l’objet d’un contrôle fiscal au titre des années 2014 et 2015, remettant en cause la déductibilité de pensions alimentaires versées. Le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 7 octobre 2022, a rejeté pour l’essentiel sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu qui en résultaient. Saisie par le contribuable, la cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 13 décembre 2023, a partiellement infirmé ce jugement, réduisant la base d’imposition pour 2014 et accordant une décharge de 10 000 euros au titre des suppléments d’impôt pour 2015. Le ministre de l’économie a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, soutenant que la cour avait statué au-delà de la demande pour l’année 2015. Se posait ainsi la question de savoir si le juge d’appel peut accorder une décharge fiscale pour un montant supérieur à celui des impositions restant effectivement en litige devant lui. Le Conseil d’État a répondu par la négative, considérant qu’en « fixant au montant de 10 000 euros la décharge totale des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre de cette année qu’elle prononçait, alors que ce montant correspondait à celui des charges admises par la cour […] en déduction des revenus du requérant pour 2015 et non aux impositions afférentes, la cour a commis une erreur de droit ». La Haute Juridiction administrative censure ainsi une solution qui méconnaît l’étendue de la saisine du juge, rappelant par là même les strictes limites de son office.
Cette décision illustre de manière classique l’application d’une règle procédurale fondamentale, en censurant une décision statuant manifestement au-delà des conclusions dont le juge était saisi (I). La portée de cette cassation reste cependant strictement circonscrite à la rectification de l’erreur commise, confirmant le caractère d’espèce de la solution (II).
I. La censure d’une décision statuant ultra petita
Le Conseil d’État fonde sa décision d’annulation sur la caractérisation d’une erreur de droit matérielle (A) qui constitue une violation de l’interdiction pour le juge de statuer au-delà des conclusions des parties (B).
A. La caractérisation d’une erreur de droit matérielle
La Haute Juridiction relève que la cour administrative d’appel a confondu deux notions distinctes en matière fiscale. D’une part, le montant des charges admises en déduction du revenu imposable, que les juges du fond ont fixé à 10 000 euros pour l’année 2015. D’autre part, le montant des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu résultant de la rectification initiale de l’administration. Or, le litige ne portait que sur le bien-fondé de ces impositions, dont le quantum restant en cause s’élevait à 3 929 euros après dégrèvements. En accordant une décharge de 10 000 euros, la cour a statué sur la base du montant des charges déductibles et non sur celui de l’impôt contesté. Le Conseil d’État constate que « ce montant correspondait à celui des charges admises par la cour […] et non aux impositions afférentes ». Cette confusion a conduit les juges du fond à commettre une erreur de droit en méconnaissant les termes du litige qui leur était soumis.
B. Le rappel de l’interdiction de statuer au-delà des conclusions
En accordant au contribuable une somme supérieure à celle qu’il pouvait espérer obtenir, la cour administrative d’appel a statué *ultra petita*. Ce principe fondamental de la procédure contentieuse, selon lequel le juge ne peut allouer plus que ce qui est demandé, s’applique avec rigueur en matière fiscale. Le montant de la décharge d’imposition que le juge peut prononcer est plafonné par le montant des droits et pénalités qui restent contestés devant lui. En l’espèce, le ministre était donc fondé à soutenir que la cour ne pouvait légalement décharger le requérant d’une somme supérieure à 3 929 euros. En annulant l’arrêt sur ce point, le Conseil d’État réaffirme que l’office du juge est strictement encadré par les conclusions des parties, garantissant ainsi la sécurité juridique et le respect du contradictoire.
Cette annulation, bien que fondée sur une erreur de droit manifeste, n’emporte cependant que des conséquences limitées sur le litige, ce qui témoigne de la nature spécifique de l’intervention du juge de cassation.
II. La portée circonscrite de la cassation prononcée
La décision du Conseil d’État se caractérise par une annulation strictement partielle qui préserve les droits reconnus au fond (A) et qui, par sa nature, ne justifie aucun renvoi de l’affaire devant les juges du fond (B).
A. Une annulation partielle préservant le fond du droit
Le juge de cassation ne remet pas en cause l’appréciation des faits à laquelle s’est livrée la cour administrative d’appel. Le principe même de la déductibilité des charges pour un montant de 10 000 euros au titre de l’année 2015 n’est pas contesté. L’annulation est prononcée uniquement « en tant que [l’arrêt] a déchargé M. A… de cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes pour un montant supérieur à 3 929 euros ». La cassation est donc purement chirurgicale : elle ne vise qu’à corriger le montant de la décharge accordée pour le faire correspondre au montant de l’imposition qui était réellement en jeu. Le droit du contribuable à la déduction, tel que reconnu en appel, est donc implicitement mais définitivement confirmé par cette décision. Le Conseil d’État se borne à rectifier une erreur matérielle sans modifier la solution du litige sur le fond.
B. Une décision d’espèce ne nécessitant pas de renvoi
La nature de l’erreur commise et la simplicité de sa rectification permettent au Conseil d’État de clore le litige sans avoir à le renvoyer devant une cour administrative d’appel. Comme le précise la décision, « Aucune question ne restant à juger, il n’y a lieu ni de statuer au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, ni de renvoyer l’affaire ». Cette approche pragmatique témoigne du fait que la décision commentée est une pure décision d’espèce. Elle n’établit aucun principe nouveau mais se contente de sanctionner une erreur de procédure évidente. La portée de cet arrêt est donc limitée aux faits de la cause et il n’a pas vocation à influencer la jurisprudence future, sinon comme un simple rappel des règles de base encadrant l’office du juge administratif.