9ème chambre du Conseil d’État, le 28 juillet 2025, n°500525

Par une décision rendue le 28 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation dirigé contre un arrêt d’une cour administrative d’appel ordonnant une expertise avant de statuer au fond.

En l’espèce, un agent de la fonction publique avait sollicité la réparation des préjudices résultant de l’aggravation d’une pathologie reconnue imputable au service. Face au rejet de sa demande par l’administration, il a saisi le tribunal administratif de La Réunion, lequel a également rejeté ses prétentions indemnitaires. L’agent a alors interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. Par un arrêt en date du 14 novembre 2024, la cour, après avoir constaté une omission de statuer de la part des premiers juges sur certains chefs de préjudice, a annulé partiellement le jugement et, avant de statuer sur le fond des demandes restantes, a ordonné une expertise médicale. C’est contre cet arrêt que l’agent a formé un pourvoi en cassation, estimant que la cour avait commis plusieurs erreurs de droit et de qualification juridique des faits.

La question de droit soumise au Conseil d’État portait donc sur le point de savoir si les moyens soulevés, qui critiquaient notamment l’appréciation des fautes de l’administration, l’analyse des pièces du dossier et le périmètre d’une mesure d’instruction, présentaient un caractère suffisamment sérieux pour justifier l’admission du pourvoi en cassation.

À cette interrogation, la Haute Juridiction administrative a répondu par la négative. Elle a jugé, en application de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, qu’aucun des arguments développés par le requérant n’était de nature à permettre l’admission de son pourvoi. Par cette décision de non-admission, le Conseil d’État a ainsi mis fin à l’instance sans examiner les moyens sur le fond.

Cette décision, bien que procédurale, illustre avec clarté le mécanisme de filtrage des pourvois et la portée du contrôle exercé par le juge de cassation. Elle réaffirme le caractère exceptionnel de la voie de cassation, conçue non comme un troisième degré de juridiction, mais comme un instrument de régulation du droit. La solution retenue conduit ainsi à examiner la mise en œuvre rigoureuse de la procédure d’admission des pourvois (I), laquelle révèle la frontière nette que le juge de cassation maintient entre le contrôle de la légalité et l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond (II).

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**I. La mise en œuvre rigoureuse de la procédure d’admission du pourvoi**

La décision du Conseil d’État repose entièrement sur l’application de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, qui conditionne l’examen d’un pourvoi à son admission préalable. Cette étape confirme le rôle de régulateur de la Haute Juridiction (A) et met en lumière le pouvoir d’appréciation dont elle dispose pour qualifier le caractère sérieux des moyens soulevés (B).

**A. La réaffirmation du pourvoi en cassation comme voie de recours extraordinaire**

La procédure d’admission n’est pas une simple formalité mais une phase juridictionnelle à part entière, destinée à s’assurer que seuls les pourvois soulevant une question de principe, une contradiction de jurisprudence ou une erreur de droit significative soient examinés au fond. En déclarant que « Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission », le législateur a entendu préserver l’efficacité de la cassation et la concentration du Conseil d’État sur sa mission d’unification de la jurisprudence. La présente décision en est une application directe.

En l’espèce, le requérant contestait un arrêt qui, pour une part importante, ne tranchait pas le litige de manière définitive mais se bornait à ordonner une mesure d’instruction. En refusant l’admission, le Conseil d’État rappelle implicitement que les arrêts avant dire droit ne sont susceptibles d’être utilement contestés en cassation que dans des circonstances restreintes. Cette approche pragmatique évite un encombrement de la juridiction suprême par des litiges dont l’issue au fond n’est pas encore scellée et dont la solution pourrait rendre sans objet les critiques formulées à l’encontre des décisions intermédiaires.

**B. L’appréciation souveraine du caractère sérieux des moyens**

La notion de « moyen sérieux » est une notion juridique indéterminée, laissant au juge de cassation une marge d’appréciation considérable. Dans le cas présent, le demandeur au pourvoi invoquait plusieurs arguments, dont une motivation insuffisante concernant la faute de l’administration pour la période antérieure à 2010, une dénaturation des pièces du dossier relatives à des frais médicaux, et une erreur de droit quant au point de départ de la responsabilité de l’État.

En jugeant qu’« Aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi », le Conseil d’État ne se prononce pas sur leur bien-fondé, mais estime qu’ils ne soulèvent pas de difficulté juridique justifiant son intervention. Cette appréciation s’opère au cas par cas. Un moyen peut être jugé non sérieux soit parce qu’il est manifestement infondé, soit parce qu’il ne met en cause qu’une appréciation factuelle, ou encore parce que la solution juridique est déjà bien établie. Le rejet opéré ici témoigne de la volonté du Conseil d’État de ne pas s’immiscer dans des aspects du litige qu’il estime relever de la compétence des juges du fond.

Cette position, si elle garantit le bon fonctionnement de la justice administrative, place le justiciable face à un obstacle procédural majeur. La décision de non-admission n’est pas motivée en droit quant à chaque moyen écarté, ce qui peut laisser une impression d’incomplétude pour le requérant qui voit ses arguments balayés sans discussion détaillée.

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**II. La distinction intangible entre le contrôle de droit et l’appréciation des faits**

Le refus d’admission trouve sa justification profonde dans la nature même du contrôle de cassation. Le Conseil d’État n’est pas un juge des faits, et cette décision illustre son refus de franchir la ligne de partage avec l’office des juges du fond. Ce principe se manifeste tant dans le rejet des critiques portant sur l’analyse des preuves (A) que dans la validation implicite de la démarche procédurale de la cour administrative d’appel (B).

**A. Le rejet des moyens contestant l’appréciation souveraine des juges du fond**

Le requérant soutenait que la cour avait « dénaturé les pièces du dossier » en estimant que des frais médicaux n’étaient pas suffisamment justifiés, ou qu’elle s’était méprise sur ses écritures en limitant la période de responsabilité. La dénaturation est un cas d’ouverture à cassation qui permet, de manière exceptionnelle, au Conseil d’État de contrôler la lecture des faits et des actes de la procédure par les juges du fond. Toutefois, ce contrôle est strictement encadré et ne sanctionne que les erreurs grossières et manifestes dans l’appréciation d’un document.

En l’espèce, en considérant le moyen relatif à la dénaturation comme non sérieux, le Conseil d’État estime que la critique du requérant s’apparente en réalité à une tentative de faire réexaminer les faits et les pièces du dossier. Le juge de cassation refuse ainsi de substituer sa propre appréciation à celle des juges d’appel, qui disposent d’un pouvoir souverain pour évaluer la force probante des éléments qui leur sont soumis. La solution réaffirme que la cassation n’a pas vocation à corriger une appréciation des faits jugée simplement erronée, mais uniquement une interprétation qui en trahit le sens clair et immédiat.

**B. La légitimité reconnue à la conduite de l’instruction par la cour d’appel**

Une partie significative du pourvoi portait sur la décision de la cour d’ordonner une expertise et d’en définir la mission. Le requérant critiquait notamment la limitation du périmètre de l’expertise, y voyant une erreur de droit. En refusant d’admettre le pourvoi sur ce point, le Conseil d’État confirme que le choix de recourir à une mesure d’instruction et la définition de la mission de l’expert relèvent, sauf erreur de droit manifeste, du pouvoir d’appréciation des juges du fond pour la bonne administration de la justice.

L’arrêt avant dire droit de la cour administrative d’appel de Bordeaux visait précisément à éclairer la juridiction sur des points techniques médicaux avant de pouvoir statuer en pleine connaissance de cause. En refusant de censurer cette démarche, la Haute Juridiction légitime le pragmatisme des juges d’appel, qui ont préféré s’entourer de l’avis d’un technicien plutôt que de statuer sur la base d’un dossier jugé incomplet sur le plan médical. Le rejet du pourvoi entérine ainsi une méthode de jugement prudente et garantit aux juridictions du fond la latitude nécessaire pour instruire les affaires qui leur sont soumises.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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