AFFAIRE FEDERICI c. FRANCE

Un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 3 avril 2025 vient préciser les conditions dans lesquelles le placement d’un accusé dans un box vitré peut être jugé compatible avec les exigences de la Convention. En l’espèce, un individu, après s’être soustrait à la justice pendant plusieurs années, fut arrêté et jugé en appel par une cour d’assises pour des faits d’assassinat en bande organisée. Durant les audiences, il comparut dans un enclos vitré permanent. À la veille de son interrogatoire sur le fond, ses avocats déposèrent des conclusions d’incident pour demander qu’il soit entendu à la barre, hors du box, invoquant notamment une atteinte à ses droits et un handicap auditif non documenté. La cour d’assises rejeta cette demande par un arrêt incident motivé, estimant la mesure nécessaire et proportionnée au regard de la dangerosité de l’accusé, de son risque de fuite et de la gravité des faits reprochés, tout en constatant que l’intéressé pouvait communiquer avec ses conseils et suivre les débats. Après l’épuisement des voies de recours internes, le condamné saisit la Cour de Strasbourg, alléguant une violation de son droit à un procès équitable et de la présomption d’innocence. Il convenait donc de déterminer si le maintien d’un accusé dans un box vitré, malgré sa demande d’en être extrait, portait une atteinte injustifiée à l’article 6 de la Convention. La Cour européenne, tout en déclarant irrecevable le grief relatif aux droits de la défense faute de preuves, jugea sur le fond qu’il n’y avait pas eu violation de la présomption d’innocence. Si la Cour valide en l’espèce le dispositif contesté en se fondant sur une appréciation concrète de sa nécessité (I), elle en rappelle fermement le caractère exceptionnel, dont la portée doit être strictement encadrée (II).

I. La validation d’une mesure de sécurité justifiée par une appréciation *in concreto*

La Cour de Strasbourg opère une analyse en deux temps pour conclure à l’absence de violation. Elle écarte d’abord le grief tiré d’une atteinte aux droits de la défense en raison de son caractère insuffisamment étayé (A), avant de légitimer la mesure au regard de la présomption d’innocence en s’appuyant sur les justifications sécuritaires spécifiques à l’affaire (B).

A. Le rejet d’une atteinte aux droits de la défense faute de grief étayé

La Cour européenne des droits de l’homme se montre pragmatique en refusant de statuer sur la base d’allégations générales. Elle relève que le requérant n’a soulevé la question de son placement en box qu’à un stade avancé de la procédure d’appel, sans jamais avoir auparavant fait état de difficultés concrètes. Surtout, l’argumentation relative à un handicap auditif n’a été accompagnée d’aucun commencement de preuve. La Cour souligne que l’intéressé « ne s’explique pas sur la nature de son handicap allégué et ne développe pas dans quelle mesure ce handicap aurait compromis sa capacité de comprendre les questions posées ». Faute d’éléments factuels probants, le grief ne pouvait prospérer. Cette approche confirme que la charge de la preuve d’une entrave effective à la participation au procès pèse sur l’accusé. La seule présence dans un box, même vitré, ne suffit pas à caractériser une violation des droits de la défense si les conditions matérielles de communication avec les avocats et de suivi des débats sont assurées, ce que la cour d’assises avait pris le soin de vérifier en l’espèce. Le rejet pour défaut de fondement manifeste de ce grief permet à la Cour de concentrer son analyse sur le principe même de la présomption d’innocence.

B. La légitimation du placement en box au nom d’impératifs sécuritaires prépondérants

Concernant l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence, la Cour admet que des mesures de contrainte physique peuvent être nécessaires. Pour ce faire, elle examine si la décision des juridictions internes reposait sur une base objective et raisonnable. En l’occurrence, l’arrêt incident de la cour d’assises avait précisément motivé sa décision de refus. Elle avait relevé que l’accusé était poursuivi pour des « assassinats en bande organisée », qu’il encourait une peine de réclusion criminelle à perpétuité et, surtout, qu’il « s’est soustrait à la justice pendant plus de quatre années ». Ces éléments, tenant à la nature des faits et au comportement passé de l’accusé, constituaient des motifs pertinents et suffisants pour justifier une mesure de sécurité renforcée. La Cour de Strasbourg entérine ce raisonnement en jugeant que « le refus opposé à la demande du requérant (…) a été le fruit d’une appréciation in concreto du risque que cela présentait ». Le placement dans le box n’était donc pas une mesure arbitraire, mais une réponse proportionnée à un risque de fuite avéré et à la nécessité de sécuriser l’audience.

Cette solution, strictement cantonnée aux faits de l’espèce, ne saurait toutefois être interprétée comme un blanc-seing accordé à l’usage généralisé des box vitrés. La Cour en profite pour en délimiter la portée.

II. Une portée limitée encadrant strictement le recours au box vitré

L’arrêt, s’il conclut à une non-violation, n’en demeure pas moins un avertissement. La Cour prend soin de distinguer le dispositif en cause de mesures jugées par nature attentatoires (A) et met en garde contre tout automatisme qui viderait de sa substance l’exigence d’un examen individualisé (B).

A. La distinction entre le box vitré et les dispositifs intrinsèquement dégradants

La jurisprudence européenne a déjà eu à connaître de situations où des accusés étaient placés dans des cages métalliques. Dans de telles affaires, notamment contre la Russie, la Cour a souvent conclu à une violation de l’article 3 de la Convention, jugeant le traitement humiliant et dégradant. En l’espèce, la Cour relève que le dispositif est différent : il s’agit d’un « enclos vitré sans plafond suffisamment spacieux et équipé », qui « ne présente pas l’aspect rebutant des cages métalliques ». Cette distinction matérielle est essentielle. Le box vitré, bien que restrictif, n’emporte pas en soi le même stigmate d’infamie que la cage. En se référant à son analyse dans l’affaire *Auguste c. France*, la Cour confirme qu’un tel aménagement peut être acceptable s’il est justifié par des impératifs de sécurité et ne prive pas l’accusé de ses facultés de communication. La valeur de la décision réside ainsi dans cette appréciation graduée des mesures de contrainte, qui ne sont pas toutes jugées équivalentes au regard de la dignité humaine et de la présomption d’innocence.

B. L’avertissement contre une systématisation de la mesure au détriment d’un examen individualisé

Le point le plus prospectif de l’arrêt concerne la critique implicite du caractère permanent de ces installations. La Cour s’interroge ouvertement sur leur généralisation dans les salles d’audience. Elle note que « l’inamovibilité d’une telle structure suscite des interrogations (…) sur la possibilité des juridictions internes d’effectuer une appréciation *in concreto* de la nécessité pour la personne accusée de comparaître dans un box ». Cet *obiter dictum* est un message clair adressé aux États membres. Un recours systématique à de tels dispositifs, fondé sur des considérations générales de sécurité plutôt que sur les spécificités d’une affaire, pourrait se révéler contraire à la Convention. En filigrane, la Cour rappelle que la comparution libre est le principe et le placement dans un box l’exception. La portée de cet arrêt est donc de renforcer l’obligation pour le juge national de motiver de manière circonstanciée toute dérogation à ce principe. Chaque décision de maintenir un accusé dans un box doit faire l’objet d’un contrôle de nécessité et de proportionnalité effectif, ce qui fut le cas en l’espèce, mais ne saurait être présumé dans toutes les situations futures.

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