Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 décembre 1985. – Nederlandse Sigarenwinkeliers Organisatie contre Commission des Communautés européennes. – Concurrence – Accord sur les remises en matière de tabacs manufacturés. – Affaire 260/82.

Par un arrêt en date du 10 novembre 1983, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de l’article 85 du traité CEE, relatif aux ententes, dans le contexte d’un marché national fortement encadré par la législation. En l’espèce, une association de détaillants de tabacs manufacturés avait formé un recours en annulation contre une décision de la Commission du 15 juillet 1982. Cette décision déclarait incompatible avec l’article 85, paragraphe 1, un accord sur les remises, conclu au sein d’une fondation regroupant la quasi-totalité des fabricants et importateurs établis aux Pays-Bas. L’accord prévoyait l’octroi d’une prime annuelle collective aux détaillants spécialisés remplissant certaines conditions, notamment la réalisation d’un chiffre d’affaires minimal avec les fabricants signataires. La Commission avait estimé que cet accord restreignait la concurrence et affectait le commerce entre États membres, sans pouvoir bénéficier d’une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3. L’association requérante soutenait, à l’inverse, que le cadre législatif national rendait impossible toute concurrence sur les marges et que l’accord, purement interne, n’avait pas d’incidence sur les échanges intracommunautaires. Se posait donc la question de savoir si un accord collectif, limité au territoire d’un État membre et intervenant dans un secteur aux prix réglementés, pouvait néanmoins être qualifié d’entente anticoncurrentielle affectant le commerce entre États membres. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, validant l’analyse de la Commission et rejetant l’ensemble des arguments de la requérante. Elle juge que ni le contexte réglementaire national ni le caractère localisé de l’entente ne suffisent à la soustraire au champ d’application du droit communautaire de la concurrence. La Cour confirme ainsi une application rigoureuse des règles de concurrence aux ententes nationales (I), tout en écartant les justifications économiques avancées pour en légitimer les effets (II).

I. La confirmation d’une infraction au droit de la concurrence malgré un contexte national contraignant

La Cour de justice établit l’existence d’une restriction de concurrence indépendamment de l’environnement réglementaire national (A) avant de retenir une interprétation large de la condition d’affectation du commerce entre États membres (B).

A. La caractérisation d’une restriction de concurrence indépendante du cadre réglementaire national

La requérante avançait que le système fiscal et la réglementation des prix en vigueur aux Pays-Bas neutralisaient toute possibilité de concurrence par les marges, rendant l’accord sur les remises anodin. La législation interdisait en effet de vendre les tabacs à un prix différent de celui indiqué sur la bandelette fiscale, tandis qu’une autre réglementation sur les prix obligeait les commerçants à répercuter toute baisse de leur coût d’achat sur le prix de vente final. Selon l’association, l’octroi d’une remise individuelle par un fabricant aurait ainsi placé le détaillant en infraction, ce qui justifiait une approche collective négociée avec les pouvoirs publics.

La Cour rejette ce raisonnement en soulignant une contradiction fondamentale : « en concluant un accord pour accorder une prime speciale a certains detaillants , les fabricants ont fait collectivement ce que [l’association] soutient qu ‘ ils ne pouvaient faire individuellement ». Le caractère concerté de la pratique n’aurait pu la légaliser si elle était fondamentalement illicite. De plus, aucun élément de preuve n’attestait de poursuites engagées contre des détaillants pour non-répercussion d’avantages obtenus. La Cour écarte également l’argument d’une pression des pouvoirs publics, faute de preuve que ceux-ci aient exigé la conclusion d’un accord spécifiquement anticoncurrentiel pour améliorer la situation des commerçants spécialisés.

Par ailleurs, le mécanisme de l’accord restreignait substantiellement la concurrence entre les fabricants signataires. La prime étant calculée sur le volume global des achats du détaillant auprès de l’ensemble des membres, et financée collectivement par ces derniers au prorata de leur chiffre d’affaires, elle supprimait tout intérêt pour un détaillant à privilégier un fournisseur en échange d’un avantage particulier. Ce système empêche que l’octroi d’une prime ne donne lieu à une véritable concurrence et constitue un accord sur un élément du prix, visé par l’article 85, paragraphe 1.

B. L’interprétation extensive de l’affectation du commerce entre États membres

La requérante soutenait que l’accord, confiné au marché néerlandais, n’affectait pas le commerce intracommunautaire, d’autant que les bandelettes fiscales empêchaient les importations et exportations parallèles des produits finis. La Cour réfute cette vision restrictive et énonce un principe clair, confirmant sa jurisprudence antérieure. Elle juge que « meme en L ‘ absence de cloisonnement des marches , un accord entre entreprises etablies dans un etat membre et ne couvrant que le marche de cet etat touche le commerce entre etats membres au sens de L ‘ article 85 du traite , des lors qu ‘ il porte , ne serait-ce que pour partie , sur un produit provenant D ‘ un autre etat membre ».

En l’espèce, cette condition était remplie, puisque la prime était calculée en tenant compte des cigarettes importées par les membres de l’entente depuis d’autres États membres, quand bien même ces échanges auraient lieu au sein d’un même groupe d’entreprises. L’influence sur les courants d’échanges était donc directe. De surcroît, la Cour relève que l’accord était de nature à entraver la pénétration du marché par des fabricants tiers issus d’autres États membres. En effet, un détaillant aurait été incité à concentrer ses achats auprès des membres de l’entente pour atteindre le chiffre d’affaires minimal, élevé, lui donnant droit à la prime sur la totalité de ses achats. Pour le concurrencer, un nouvel entrant aurait dû offrir un avantage considérable pour compenser le risque pour le détaillant de perdre le bénéfice de la prime collective. L’affectation du commerce était donc non seulement actuelle mais aussi potentielle et sensible, compte tenu de la part de marché de plus de 90 % détenue par les signataires de l’accord.

II. Le rejet des justifications fondées sur les prétendus effets bénéfiques de l’entente

Après avoir qualifié l’infraction, la Cour examine les arguments avancés pour obtenir une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3. Elle confirme l’analyse de la Commission en procédant à une appréciation stricte des conditions de l’exemption (A) et en écartant les avantages allégués pour les détaillants et les consommateurs (B).

A. L’appréciation stricte des conditions d’amélioration de la distribution

Pour bénéficier d’une exemption, un accord doit notamment contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits. L’association requérante affirmait que l’accord sur les remises remplissait cette condition en assurant le maintien d’un réseau de distribution spécialisé, nécessaire aux fabricants et bénéfique pour les consommateurs. Elle soutenait que les conditions imposées aux détaillants, comme la détention d’un assortiment minimal, n’étaient pas contraignantes et participaient à une meilleure offre.

La Cour, suivant la Commission, ne retient pas cette argumentation. Elle estime qu’il n’a pas été démontré que le système de prime collective était indispensable au maintien du réseau de détaillants spécialisés, ni que des remises équivalentes n’auraient pu être octroyées individuellement dans le cadre d’une concurrence normale. L’accord avait au contraire pour effet d’enlever aux détaillants la possibilité d’obtenir des avantages proportionnés aux services rendus à chaque fabricant individuellement. Reprenant sa jurisprudence, la Cour rappelle que « le nombre D ‘ intermediaires et de marques ne constitue pas necessairement le critere essentiel D ‘ une amelioration de la distribution au sens de L ‘ article 85 , paragraphe 3 , du traite ». En cristallisant les relations commerciales et en limitant les incitations concurrentielles, l’accord ne pouvait être considéré comme une amélioration de la distribution.

B. La réfutation des avantages allégués pour les parties et les consommateurs

La requérante avançait enfin qu’une part équitable du profit résultant de l’accord était réservée aux utilisateurs, ici les détaillants qui se disaient satisfaits du système, et les consommateurs finaux, qui bénéficiaient de la survie des commerces spécialisés sans subir de préjudice sur les prix, ceux-ci étant fixes.

La Cour écarte ces arguments. Le fait que les détaillants, bénéficiaires directs, approuvent l’accord est jugé sans pertinence pour l’analyse juridique de ses effets sur le marché. Un accord ne devient pas licite du simple fait qu’il satisfait ses participants. Quant aux consommateurs, le bénéfice allégué restait indirect et hypothétique. Rien ne prouvait que la disparition de l’accord entraînerait celle du réseau de distribution spécialisé, ni que ce dernier ne pouvait être maintenu par les seuls mécanismes de la concurrence. L’accord, en restreignant la concurrence par les services et les remises entre fabricants, privait en réalité le marché d’une dynamique potentiellement plus avantageuse. Les restrictions imposées n’étaient donc pas indispensables à la réalisation des objectifs prétendument recherchés, et l’une des conditions cumulatives de l’article 85, paragraphe 3, faisait défaut, justifiant le refus d’exemption.

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Hassan KOHEN
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