Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 décembre 1998. – Aloys Schröder, Jan Thamann et Karl-Julius Thamann contre Commission des Communautés européennes. – Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Lutte contre la peste porcine classique en Allemagne. – Affaire C-221/97 P.

Par un arrêt du 9 septembre 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité d’un pourvoi formé contre une décision du Tribunal de première instance. En l’espèce, des éleveurs spécialisés dans la production porcine avaient engagé une action en responsabilité non contractuelle contre la Commission. Ils estimaient avoir subi un préjudice économique important du fait d’une série de décisions adoptées par cette institution dans le cadre de la lutte contre la peste porcine classique en Allemagne. Ces mesures interdisaient les envois de porcs vivants depuis certaines zones géographiques, dont celle où se situait leur exploitation, bien que celle-ci fût indemne de toute maladie.

Le Tribunal de première instance, saisi d’un recours en indemnité, avait rejeté la demande des éleveurs. Il avait qualifié les actes de la Commission d’actes normatifs, dont l’illégalité ne pouvait engager la responsabilité de la Communauté qu’en cas de violation manifeste et grave d’une règle supérieure de droit protégeant les particuliers. Or, le Tribunal avait conclu à l’absence d’une telle violation, écartant les griefs tirés notamment de la méconnaissance du principe de non-discrimination et du droit de propriété. Les éleveurs ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’appréciation du Tribunal.

Le problème de droit soumis à la Cour portait donc sur la délimitation de son contrôle en matière de pourvoi. Il s’agissait de déterminer si les griefs formulés par les requérants relevaient d’une critique de l’appréciation des faits par le Tribunal, exclue du champ du pourvoi, ou s’ils constituaient des moyens de droit recevables. Plus précisément, la simple réitération d’arguments déjà soulevés en première instance et la contestation de la manière dont le Tribunal a reçu les preuves pouvaient-elles s’analyser comme des erreurs de droit ?

La Cour de justice rejette le pourvoi dans sa totalité en le déclarant majoritairement irrecevable. Elle juge que les moyens soulevés par les requérants ne constituent pas une critique de l’arrêt du Tribunal sur des points de droit, mais visent en réalité à obtenir un réexamen des faits et des arguments déjà présentés en première instance. La Cour rappelle ainsi que son contrôle se limite strictement aux questions de droit et ne saurait s’étendre à l’appréciation des éléments factuels souverainement établie par les premiers juges.

Le raisonnement de la Cour s’articule autour d’une conception rigoureuse de l’office du juge de cassation, qui impose une distinction stricte entre le fait et le droit (I), ce qui confère à sa décision une portée didactique quant aux exigences formelles de cette voie de recours (II).

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I. Le filtrage des moyens par une conception stricte de l’office du juge de cassation

La Cour de justice opère un tri sévère parmi les arguments des requérants, en réaffirmant que le pourvoi n’est pas une seconde voie d’appel. Elle écarte ainsi les moyens qui ne visent qu’à contester l’appréciation souveraine des faits par le Tribunal (A) et déclare irrecevables ceux qui se contentent de réitérer les argumentations développées en première instance sans cibler une erreur de droit précise (B).

A. Le rejet des moyens contestant l’appréciation souveraine des faits par le Tribunal

Le premier moyen du pourvoi était fondé sur une prétendue violation du droit d’être entendu, au motif que le Tribunal n’aurait pas pris en considération certaines parties des exposés des requérants. Ces derniers soutenaient que le Tribunal avait ignoré des éléments de preuve, comme des cartes géographiques ou des déclarations de témoins, ce qui l’aurait conduit à des conclusions de fait erronées. La Cour balaie cet argument en rappelant la nature même de la procédure juridictionnelle.

En effet, elle énonce que « le droit d’être entendu dans le cadre d’une procédure juridictionnelle n’implique pas que le juge doive incorporer intégralement dans sa décision toutes les allégations de chacune des parties ». Le juge du fond dispose d’une liberté dans l’appréciation des éléments qui lui sont soumis, et son devoir de motivation ne l’oblige pas à répondre à chaque détail argumentaire. La Cour estime que les allégations des requérants ne font état que de « simples désaccords sur les faits constatés par le Tribunal » et ne soulèvent aucune véritable question de droit.

Ce faisant, la Cour réaffirme une règle fondamentale régissant le pourvoi, inscrite à l’article 51 du statut de la Cour. Selon cette disposition, le pourvoi est limité aux questions de droit, ce qui exclut toute remise en cause de la constatation ou de l’appréciation des faits par le Tribunal. Tenter d’obtenir de la Cour une nouvelle appréciation des faits, comme le faisaient les requérants, revient à méconnaître la répartition des compétences entre les deux degrés de juridiction. Le moyen est donc logiquement déclaré irrecevable.

B. L’irrecevabilité du pourvoi se limitant à une simple réitération des arguments de première instance

La Cour applique une logique similaire pour écarter la majeure partie du deuxième moyen ainsi que le troisième moyen du pourvoi. Les requérants contestaient l’appréciation du Tribunal sur la violation de leurs droits fondamentaux, comme le droit de propriété, et des principes de non-discrimination et de proportionnalité. Pour ce faire, ils se contentaient de renvoyer à leurs mémoires déposés en première instance ou de reproduire les mêmes arguments.

La Cour sanctionne cette méthode par l’irrecevabilité. Elle se fonde sur les exigences combinées des articles 51 du statut et 112 de son règlement de procédure, qui imposent qu’un pourvoi « doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande ». Par conséquent, un pourvoi qui ne fait que répéter les moyens et arguments déjà présentés devant le Tribunal ne répond pas à cette exigence.

Cette jurisprudence constante vise à garantir que le pourvoi soit bien une critique de la décision du juge du fond, et non une simple tentative d’obtenir une seconde chance de plaider sa cause. Les requérants n’avaient pas identifié en quoi le raisonnement juridique du Tribunal était erroné en droit ; ils se bornaient à exprimer leur désaccord avec sa conclusion. Une telle démarche ne peut prospérer devant le juge de cassation, dont le rôle n’est pas de rejuger l’affaire, mais de contrôler la correcte application du droit par la juridiction inférieure.

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II. La portée de la décision sur les conditions d’engagement de la responsabilité communautaire

Au-delà de son aspect procédural, cet arrêt a des implications sur le fond du droit de la responsabilité non contractuelle de la Communauté. En refusant d’examiner la plupart des moyens, la Cour valide indirectement l’approche restrictive du Tribunal (A) et délivre un message pédagogique clair sur les exigences à respecter pour tout justiciable souhaitant contester une décision de première instance (B).

A. La neutralisation de la distinction entre acte normatif et acte administratif en l’absence d’illégalité

Dans une branche de leur deuxième moyen, les requérants soutenaient que le Tribunal avait commis une erreur de droit en qualifiant les décisions de la Commission d’actes normatifs. Selon eux, il s’agissait d’actes administratifs, pour lesquels toute illégalité, même non caractérisée, suffit à engager la responsabilité de la Communauté. La Cour écarte cet argument en le jugeant « inopérant ».

Son raisonnement est pragmatique : le Tribunal ayant conclu qu’aucune règle de droit n’avait été violée, que ce soit le principe de non-discrimination, le droit de propriété ou le principe de proportionnalité, la question de la nature de l’acte devenait sans objet. La responsabilité de la Communauté, qu’elle découle d’un acte normatif ou administratif, « présuppose l’illégalité de l’acte ». En l’absence de toute illégalité constatée par le Tribunal, et cette constatation n’étant pas valablement remise en cause en droit par le pourvoi, la distinction perd toute pertinence pratique.

Cette approche, si elle est logique, a pour effet de laisser sans réponse la question de la qualification des mesures de sauvegarde prises par la Commission. Surtout, elle conforte la solution du Tribunal qui avait appliqué un régime de responsabilité très strict, exigeant une violation « manifeste et grave », ce qui rend particulièrement difficile l’indemnisation des préjudices économiques subis par des opérateurs en raison de mesures réglementaires d’intérêt général.

B. La portée pédagogique de l’arrêt sur les exigences formelles du pourvoi

En déclarant la quasi-totalité du pourvoi irrecevable, la Cour de justice adresse un avertissement clair aux plaideurs. La décision revêt un caractère didactique en illustrant de manière exemplaire les écueils à éviter. Le message est double : le pourvoi n’est ni une occasion de débattre des faits, ni une simple copie de l’argumentaire de première instance.

Les requérants doivent fournir un travail d’analyse juridique ciblé sur l’arrêt attaqué. Il leur incombe de disséquer le raisonnement du Tribunal pour y déceler une erreur de droit spécifique : une mauvaise interprétation d’une norme, une dénaturation des pièces du dossier, une contradiction de motifs ou un défaut de base légale. La simple affirmation d’un désaccord avec la solution retenue est insuffisante.

Cet arrêt rappelle ainsi l’importance de la technique de cassation et la discipline intellectuelle qu’elle impose. Il renforce le rôle du Tribunal comme juge du fait, dont les appréciations ne peuvent être contestées qu’en cas de dénaturation. En consolidant la frontière entre les compétences des deux juridictions, la Cour assure la cohérence et l’efficacité du système juridictionnel de l’Union, où le pourvoi doit rester une voie de recours extraordinaire axée sur l’unification de l’interprétation du droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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