Par un arrêt du 12 septembre 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut encadrer l’action en réparation ouverte aux particuliers pour un dommage né de la transposition tardive d’une directive. En l’espèce, une salariée n’avait pu obtenir le paiement de ses créances de salaire suite à la faillite de son employeur. La directive communautaire visant à garantir une protection minimale des travailleurs dans une telle situation n’avait pas été transposée dans les délais par l’État concerné. Après une transposition tardive par décret législatif, la salariée a engagé une action en réparation du préjudice subi. Cependant, ce décret prévoyait un délai de forclusion d’un an pour intenter une telle action, courant à compter de son entrée en vigueur. La salariée ayant agi après l’expiration de ce délai, la juridiction nationale saisie a émis des doutes sur la compatibilité de cette disposition avec le droit communautaire. Elle a relevé que le régime de droit commun de la responsabilité extracontractuelle prévoyait un délai de prescription de cinq ans, bien plus favorable. La juridiction de renvoi a donc saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si le droit communautaire s’oppose à ce qu’une législation nationale instaure un délai de forclusion d’un an pour l’action en réparation du dommage causé par la transposition tardive d’une directive, alors que des recours similaires en droit interne bénéficient de délais plus favorables. La Cour de justice répond que le droit communautaire ne s’oppose pas, en principe, à un tel délai, à la condition que cette modalité procédurale respecte les principes d’équivalence et d’effectivité.
La Cour consacre ainsi la soumission de l’autonomie procédurale des États membres à un contrôle de conformité avec les exigences du droit communautaire (I), tout en laissant au juge national une marge d’appréciation substantielle quant à la mise en œuvre de ce contrôle (II).
***
I. La soumission de l’autonomie procédurale des États au double contrôle communautaire
La Cour de justice réaffirme que les modalités de réparation d’une violation du droit communautaire relèvent de l’ordre juridique interne, mais encadre cette compétence par le respect des principes d’effectivité (A) et d’équivalence (B).
A. Le respect du principe d’effectivité comme limite à la sécurité juridique
La Cour rappelle que les conditions fixées par les législations nationales « ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation ». Ce principe d’effectivité constitue la première borne à l’autonomie procédurale des États. En l’espèce, la Cour examine si un délai de forclusion d’un an rend l’exercice du droit à réparation excessivement difficile. Elle estime que tel n’est pas le cas. Elle juge en effet que « la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à cette exigence dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique ». L’instauration d’un délai préfix est ainsi perçue comme un objectif légitime qui ne contrevient pas, par nature, au principe d’effectivité.
De surcroît, le point de départ de ce délai, fixé à l’entrée en vigueur de l’acte de transposition, est considéré comme suffisamment clair pour permettre aux bénéficiaires de connaître leurs droits. La Cour écarte les arguments relatifs à une éventuelle incertitude sur la personne publique débitrice de l’indemnisation, en se fondant sur les constatations de la juridiction de renvoi. Par conséquent, un délai d’un an n’est pas jugé comme rendant « particulièrement difficile ni, à plus forte raison, comme rendant en pratique impossible l’introduction de la demande de réparation ». La Cour admet donc qu’un délai court et strict peut être compatible avec le principe d’effectivité, pourvu qu’il soit raisonnable.
B. Le respect du principe d’équivalence comme condition centrale de la validité du délai
Le second pilier du raisonnement de la Cour est le principe d’équivalence. Les modalités procédurales de l’action en réparation du dommage d’origine communautaire « ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ». C’est sur ce point que l’analyse se concentre, car la juridiction de renvoi opposait précisément le délai de forclusion d’un an au délai de prescription de cinq ans du droit commun de la responsabilité. La Cour ne tranche pas elle-même la question de la similitude des recours. Elle renvoie cette appréciation à la juridiction nationale, se contentant de lui fournir une méthode et des critères d’analyse.
La Cour souligne ainsi qu’il appartient aux juridictions nationales de vérifier si la condition de délai litigieuse respecte ce principe. Elle leur donne toutefois des indications pour guider leur examen. La comparaison doit porter sur des réclamations « semblables » quant à leur objet et à leurs éléments essentiels. Cette approche confirme le rôle pivot du juge national comme premier juge du droit communautaire. C’est à lui qu’incombe la tâche délicate de comparer les régimes procéduraux et de garantir que la protection des droits issus de l’Union ne soit pas inférieure à celle des droits de source purement interne.
***
II. L’appréciation délicate de la similitude des recours par le juge national
La Cour de justice délègue au juge national la charge de déterminer si le principe d’équivalence est violé, mais les critères qu’elle fournit rendent cette comparaison complexe (A) et risquent de limiter la portée effective du principe (B).
A. La difficulté à identifier un recours interne véritablement comparable
La Cour examine les différents points de comparaison suggérés par la juridiction de renvoi. Elle écarte d’emblée une comparaison avec les demandes de prestations prévues par la directive elle-même. Elle juge que les deux actions ont un objet différent : l’une vise la mise en œuvre de la protection matérielle offerte par la directive, l’autre la réparation du préjudice né de sa non-transposition. Les finalités étant distinctes, « il n’y a pas lieu de procéder à la comparaison de leurs modalités procédurales ». Le même raisonnement est appliqué pour écarter la comparaison avec les actions tendant à obtenir des prestations de sécurité sociale.
Reste alors le régime de droit commun de la responsabilité extracontractuelle, qui semble de prime abord le plus pertinent. La Cour admet que, quant à son objet, il est « analogue à celui mis en place par le décret législatif ». Cependant, elle introduit une nuance décisive. Elle indique qu’il convient d’examiner si une telle action en droit interne « est susceptible d’être dirigée contre des pouvoirs publics pour une abstention ou un acte illégal qui leur serait imputable dans le cadre de l’exercice de la puissance publique ». Cette précision complique singulièrement la tâche du juge national. Il doit vérifier si le droit interne connaît une action en responsabilité contre l’État agissant en tant que législateur, ce qui est loin d’être systématique dans les ordres juridiques nationaux.
B. Le risque de neutralisation du principe d’équivalence
En conditionnant la comparaison à l’existence d’une action interne en responsabilité contre la puissance publique pour son activité normative, la Cour érige un obstacle potentiellement dirimant. Si un tel recours n’existe pas, la comparaison avec le droit commun de la responsabilité devient inopérante. La Cour envisage d’ailleurs cette issue. Elle conclut que si le juge national « ne pourrait procéder à aucune autre comparaison pertinente », il y aurait lieu de conclure que le droit communautaire ne s’oppose pas au délai de forclusion litigieux.
Cette solution fait peser un risque important sur la portée du principe d’équivalence. En l’absence d’un terme de comparaison adéquat en droit interne, ce principe se trouve de fait neutralisé. La seule protection qui subsiste pour le justiciable est alors celle, minimale, offerte par le principe d’effectivité, dont la Cour a montré qu’il pouvait s’accommoder d’un délai bref. La protection des droits que les particuliers tirent du droit communautaire dépend alors de l’architecture de la responsabilité de la puissance publique en droit interne. Un État qui ne prévoit pas de régime de responsabilité pour ses manquements dans l’exercice de la puissance publique pourrait ainsi imposer des conditions procédurales plus strictes pour la réparation des dommages issus d’une violation du droit de l’Union.