Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 août 1995. – Commission des Communautés européennes contre Muireann Noonan. – Pourvoi – Fonctionnaire – Recevabilité d’un recours dirigé contre une décision d’un jury appliquant les conditions énoncées dans l’avis de concours dont la légalité est contestée. – Affaire C-448/93 P.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire C-448/93 P apporte une clarification importante sur les modalités de contestation des actes administratifs complexes en droit de la fonction publique de l’Union. En l’espèce, une candidate à un concours de recrutement de dactylographes s’est vu opposer un refus d’admission au motif qu’elle était titulaire d’un diplôme universitaire, ce que l’avis de concours interdisait explicitement. Le jury n’avait donc aucune marge d’appréciation dans l’application de cette clause d’exclusion.

Saisi d’un recours en annulation contre cette décision de rejet, le Tribunal de première instance avait été confronté à une exception d’irrecevabilité soulevée par l’institution défenderesse. Celle-ci soutenait que la candidate aurait dû contester l’avis de concours lui-même dans le délai de recours imparti, et non la décision individuelle ultérieure qui n’en était que la stricte application. Le Tribunal a néanmoins rejeté cette exception et déclaré le recours recevable, considérant que la candidate était en droit de contester la légalité de l’avis à l’occasion de son recours contre l’acte individuel lui faisant grief. C’est contre cet arrêt du Tribunal que l’institution a formé un pourvoi, soutenant que le principe de sécurité juridique s’opposait à une telle possibilité lorsque la clause de l’avis de concours était claire et univoque.

Le problème de droit soumis à la Cour de justice était donc de savoir si un requérant, à l’occasion d’un recours dirigé contre un acte individuel pris au cours d’une procédure de recrutement, peut invoquer l’illégalité d’une disposition claire et non ambiguë de l’avis de concours initial, alors même que le délai pour contester directement cet avis est expiré.

La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme la position du Tribunal. Elle juge que, dans le cadre d’une procédure administrative complexe comme le recrutement, un requérant peut faire valoir l’irrégularité d’actes antérieurs qui sont « étroitement liés » à l’acte final qu’il attaque. Selon la Cour, ce principe trouve son fondement dans la nature même de ces procédures et ne saurait être écarté au seul motif que la disposition antérieure contestée serait dépourvue d’ambiguïté.

Cette solution conduit à consolider une conception unitaire de la procédure de recrutement, renforçant la protection des administrés (I), tout en écartant définitivement un critère de distinction fondé sur la clarté de la norme contestée qui aurait été source d’insécurité juridique (II).

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**I. La consécration d’une conception unitaire de la procédure de recrutement**

L’arrêt réaffirme avec force que la procédure de recrutement constitue un ensemble cohérent, ce qui justifie la recevabilité d’une exception d’illégalité soulevée à l’encontre d’un acte antérieur (A). Cette approche pragmatique permet de garantir une protection juridictionnelle effective aux candidats (B).

**A. Le lien étroit comme critère de recevabilité de l’exception d’illégalité**

La Cour de justice fonde sa décision sur une jurisprudence établie, rappelant que « le requérant peut, à l’occasion d’un recours dirigé contre des actes ultérieurs, faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui leur sont étroitement liés ». En qualifiant la procédure de recrutement d’« opération administrative complexe composée d’une succession de décisions très étroitement liées », elle souligne que les différents actes qui la composent ne peuvent être artificiellement isolés les uns des autres. L’avis de concours, la liste des candidats admis à concourir, les résultats des épreuves et la décision finale de rejet ou d’admission forment un tout indissociable.

Le véritable acte faisant grief, celui qui cristallise la situation juridique du candidat et affecte directement ses intérêts, est la décision individuelle qui le concerne. Avant cette décision, l’illégalité éventuelle d’une clause de l’avis de concours ne présente pour lui qu’un caractère abstrait. C’est seulement lorsque cette clause lui est appliquée concrètement que son intérêt à agir devient certain. En conséquence, le lien étroit entre l’avis de concours et la décision de rejet justifie qu’il puisse contester le premier en attaquant la seconde.

**B. Une solution pragmatique garantissant une protection juridictionnelle effective**

Au-delà de sa logique juridique, la solution retenue par la Cour présente un avantage pratique considérable. Elle évite de contraindre les candidats à une vigilance excessive et à une multiplication des contentieux. Comme le relève l’arrêt, « l’on ne saurait exiger, dans une telle procédure, que les intéressés forment autant de recours qu’elle comporte d’actes susceptibles de leur faire grief ». Imposer à un candidat de contester préventivement chaque acte préparatoire, y compris l’avis de concours, avant même de savoir s’il sera personnellement affecté par une illégalité potentielle, créerait une charge procédurale disproportionnée.

Cette approche est donc conforme au principe de bonne administration et à l’économie processuelle. Elle concentre le contrôle juridictionnel sur l’acte qui matérialise l’atteinte aux droits du requérant. En permettant à ce dernier de soulever tous ses moyens, y compris ceux tirés de l’illégalité de l’acte réglementaire de base, lors du recours contre l’acte d’application, la Cour assure une protection complète et efficace sans pour autant paralyser l’administration par des recours prématurés.

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**II. Le rejet d’une distinction fondée sur la clarté de la norme contestée**

L’apport principal de l’arrêt réside dans le refus de la Cour de limiter la portée de sa jurisprudence aux seuls cas où l’avis de concours serait ambigu. Elle écarte ainsi un argument fondé sur une conception erronée de la sécurité juridique (A), consacrant par là même la portée générale du principe de contestation des actes antérieurs (B).

**A. L’inopérance de l’argument tiré de la sécurité juridique**

L’institution requérante au pourvoi soutenait que permettre la contestation d’une clause claire et précise de l’avis de concours bien après l’expiration du délai de recours porterait atteinte au principe de sécurité juridique. Selon cette thèse, les situations juridiques nées d’un acte réglementaire non contesté en temps utile devraient être consolidées. La Cour rejette cette argumentation en considérant que le fondement de sa jurisprudence « garde toute sa valeur dans le cas où, comme en l’espèce, la condition controversée fixée dans l’avis de concours est claire et précise ».

En effet, la sécurité juridique ne saurait être invoquée pour priver un justiciable de son droit au recours contre un acte qui affecte directement sa situation. De plus, introduire une distinction selon le degré de clarté de la norme antérieure créerait une insécurité bien plus grande. Les candidats devraient alors apprécier eux-mêmes si une clause est suffisamment « claire » pour justifier un recours immédiat, ou assez « ambiguë » pour autoriser une contestation ultérieure. Un tel critère, subjectif et aléatoire, serait contraire à l’exigence de prévisibilité des voies de droit.

**B. La portée générale du principe de contestation des actes antérieurs**

En déclarant qu’« il n’y a pas lieu de distinguer selon le degré de clarté et de précision de l’avis de concours », la Cour confère une portée absolue au principe. La possibilité d’invoquer par voie d’exception l’illégalité d’un acte réglementaire à l’appui d’un recours contre une mesure d’application est une garantie fondamentale dans un État de droit. L’arrêt l’applique sans détour au contentieux de la fonction publique, confirmant que le droit au recours effectif prime sur une vision formaliste de la stabilité des actes administratifs.

La portée de cette décision est donc considérable. Elle établit une règle simple et protectrice pour tous les participants à une procédure administrative complexe : ils peuvent attendre la décision finale qui individualise leur situation juridique pour contester, à cette occasion, l’ensemble des irrégularités qui ont vicié la procédure, y compris celles qui découlent de l’acte initial. La solution assure ainsi un juste équilibre entre les prérogatives de l’administration et le droit des administrés à un contrôle juridictionnel complet.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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