Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 décembre 1990. – Josef Pastätter contre Hauptzollamt Bad Reichenhall. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München – Allemagne. – Prélèvement supplémentaire sur le lait. – Affaire C-217/89.

Par un arrêt du 11 juillet 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée du principe de protection de la confiance légitime dans le cadre de la politique agricole commune. Cette décision s’inscrit dans le contexte du régime de prélèvement supplémentaire sur le lait, mécanisme destiné à maîtriser les excédents structurels du marché. La Cour était amenée à se prononcer sur la validité d’une disposition réglementaire qui fixait les conditions de reprise de la production laitière pour des agriculteurs ayant participé à un programme antérieur d’incitation à la cessation d’activité.

Les faits à l’origine du litige concernent un exploitant agricole qui, en contrepartie d’une prime, s’était engagé à ne pas commercialiser de lait durant une période déterminée, conformément au règlement n° 1078/77. À l’échéance de son engagement, il a souhaité reprendre sa production mais s’est heurté à l’instauration du système des quotas laitiers. La réglementation communautaire, modifiée à la suite de précédents arrêts de la Cour, lui permettait d’obtenir une quantité de référence spécifique, mais celle-ci était plafonnée à 60 % de la quantité de lait qu’il produisait avant de souscrire son engagement de non-commercialisation.

L’exploitant a contesté le refus de l’administration nationale de lui octroyer une quantité de référence pleine et entière. La juridiction nationale saisie du litige a alors adressé une question préjudicielle à la Cour de justice. Elle visait à déterminer si le règlement n° 857/84, dans sa version modifiée, était valide en ce qu’il imposait une telle réduction. La question de droit qui se posait était donc de savoir si la fixation d’un taux d’abattement de 40 % sur la quantité de référence des producteurs ayant adhéré à un régime de cessation temporaire d’activité constituait une violation du principe de protection de la confiance légitime.

La Cour de justice répond par l’affirmative et déclare la disposition invalide. Elle juge que si le législateur pouvait légitimement appliquer une réduction pour ne pas avantager indûment ces producteurs par rapport à ceux ayant continué leur activité, le taux retenu ne saurait être si élevé qu’il les pénalise spécifiquement. La Cour estime qu’un producteur « peut légitimement s’attendre à ne pas être soumis, à la fin de son engagement, à des restrictions qui l’affectent de manière spécifique en raison, précisément, du fait qu’il a fait usage des possibilités offertes par la réglementation communautaire ».

Cette solution, fondée sur une analyse rigoureuse de la proportionnalité de la mesure, consacre la prévalence de la confiance légitime face aux impératifs de gestion du marché (I), avant de sanctionner une mesure législative dont le caractère punitif était manifeste (II).

***

I. La consécration de la confiance légitime face aux impératifs de politique agricole

La Cour réaffirme avec force la protection due aux producteurs ayant fait confiance aux incitations communautaires (A), protection que les objectifs de régulation du marché ne sauraient suffire à écarter (B).

A. La réaffirmation de la protection due aux producteurs encouragés à suspendre leur production

La décision commentée s’inscrit dans le prolongement direct des arrêts *Mulder* et *von Deetzen* de 1988, qui avaient déjà sanctionné la réglementation initiale pour son absence de prise en compte de la situation de ces producteurs. La Cour y avait établi une distinction fondamentale. Un opérateur économique qui cesse volontairement son activité ne peut s’attendre à la reprendre dans des conditions identiques. En revanche, celui qui a été activement incité par un acte de la Communauté à suspendre sa production pour une durée limitée, dans l’intérêt général et moyennant compensation financière, se trouve dans une situation différente.

Cet encouragement crée une attente légitime quant à sa capacité à reprendre son activité économique au terme de son engagement, sans être soumis à des contraintes qui le pénaliseraient spécifiquement. La Cour confirme ici que cette confiance, née de l’action positive du législateur, engendre une protection juridique renforcée. Le règlement n° 764/89, en introduisant l’article 3 bis, visait précisément à tirer les conséquences de cette jurisprudence. Toutefois, en instaurant un abattement de 40 %, le législateur n’a que partiellement satisfait à cette exigence, obligeant la Cour à préciser les limites de sa marge d’appréciation.

B. L’insuffisance des objectifs de régulation du marché pour justifier une restriction spécifique

Face à la critique de la mesure, le Conseil et la Commission avançaient principalement des arguments liés à la nécessité de maîtriser les excédents laitiers. Selon eux, l’octroi de quantités de référence plus élevées à ces producteurs aurait compromis l’équilibre du régime des quotas, la réserve communautaire disponible étant limitée. Ils estimaient que la quantité additionnelle de 600 000 tonnes, correspondant à 60 % des demandes anticipées, représentait le maximum supportable par le marché sans imposer de nouvelles contraintes aux autres producteurs.

La Cour écarte cet argument avec une logique imparable. Elle considère que les difficultés liées à la gestion des volumes globaux ne peuvent justifier qu’une catégorie spécifique d’opérateurs supporte une charge disproportionnée. Si l’octroi de quantités de référence plus importantes aux producteurs concernés était nécessaire pour respecter la confiance légitime, il appartenait au législateur de trouver les moyens adéquats. La Cour suggère elle-même une solution : « il aurait suffi de réduire les quantités de référence des autres producteurs proportionnellement d’un montant correspondant ». Le respect d’un principe fondamental ne saurait ainsi être subordonné à des considérations purement administratives ou budgétaires.

L’affirmation de la primauté de la confiance légitime conduit la Cour à exercer un contrôle approfondi sur les modalités de sa mise en œuvre par le législateur.

II. La censure d’une mesure législative disproportionnée

Pour invalider la disposition, la Cour procède à une analyse comparative qui révèle le caractère excessif de la réduction imposée (A), ce qui la conduit à sanctionner une mesure s’apparentant à une pénalité ciblée (B).

A. L’établissement d’une base de comparaison pour apprécier la proportionnalité

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans sa méthode d’évaluation de la proportionnalité du taux d’abattement de 40 %. Elle ne se contente pas d’un jugement abstrait sur le caractère élevé de ce taux. Elle le met en perspective avec la situation des producteurs qui, eux, n’avaient pas cessé leur activité et dont les quantités de référence étaient fixées sur la base de leurs livraisons de l’année 1983. Ces derniers ont également subi des réductions, liées à la fixation des quantités nationales garanties ou à des suspensions temporaires.

Or, sur la base des informations fournies par la Commission, la Cour constate que « en aucun cas le total des abattements applicables aux producteurs visés à l’article 2 […] n’excède le taux de 17,5 % ». La comparaison est sans appel. Un taux de 40 % n’est pas une simple modulation, mais un changement de nature. Il ne peut être considéré comme une valeur représentative des contraintes pesant sur l’ensemble des acteurs du marché. En excédant « de plus du double le total le plus élevé de ces taux », la restriction imposée aux producteurs ayant participé au programme de reconversion revêt un caractère manifestement disproportionné.

B. La sanction d’une restriction spécifiquement punitive

En conséquence, la Cour conclut que l’application d’un tel taux d’abattement constitue une restriction qui affecte cette catégorie de producteurs « de manière spécifique, en raison, précisément, de leur engagement de non-commercialisation ou de reconversion ». La mesure, censée corriger une lacune de la réglementation initiale, crée en réalité une nouvelle forme de pénalisation. Elle ne place pas les producteurs dans une situation équivalente à celle des autres, mais leur impose un fardeau particulier qui trouve sa seule justification dans le fait qu’ils ont suivi une incitation communautaire passée.

La portée de cet arrêt est significative. Il démontre que le contrôle juridictionnel du respect des principes généraux du droit, comme la confiance légitime, n’est pas purement formel. Lorsque le législateur est contraint de modifier sa réglementation pour se conformer à une décision de justice, la mesure corrective doit elle-même être exempte de toute violation de ces mêmes principes. La Cour exerce ici un contrôle complet sur l’appréciation du législateur, vérifiant non seulement l’existence d’une justification à la mesure, mais également son caractère adéquat et proportionné. Cet arrêt constitue une garantie essentielle pour les opérateurs économiques face à d’éventuels revirements des politiques communautaires.

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