Par un arrêt du 23 octobre 1997, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa cinquième chambre, a statué sur un manquement reproché à un État membre concernant la transposition d’une directive relative à la conservation des habitats naturels.
En l’espèce, une directive du 21 mai 1992 imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nationales nécessaires à sa mise en œuvre avant le 5 juin 1994. Constatant l’absence de notification des mesures de transposition par un État membre dans le délai imparti, l’institution gardienne des traités a engagé une procédure en manquement. Après une mise en demeure restée sans réponse satisfaisante, puis un avis motivé demeuré sans effet, l’institution a saisi la Cour de justice afin de faire constater le manquement. Devant la Cour, l’État membre ne contestait pas l’absence de transposition formelle, mais soutenait que ses autorités appliquaient directement la directive et interprétaient le droit national existant de manière conforme à ses objectifs, arguant en outre qu’une nouvelle législation était en cours d’adoption.
Le problème de droit soulevé par cette affaire était donc de savoir si l’application directe d’une directive par les autorités administratives nationales et l’interprétation conforme du droit existant pouvaient constituer des modalités d’exécution suffisantes des obligations de transposition pesant sur un État membre.
La Cour de justice répond par la négative en déclarant le manquement de l’État membre. Elle juge que l’obligation de transposer une directive ne peut être satisfaite par de simples pratiques administratives. En effet, elle énonce de manière claire que « de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l’administration et dépourvues d’une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations qui incombent aux États membres destinataires d’une directive ». La Cour réaffirme ainsi l’exigence d’une transposition par des actes juridiques formels, contraignants et publiés.
La solution retenue par la Cour rappelle avec fermeté le cadre juridique strict qui entoure l’obligation de transposition des directives (I), cette exigence formaliste se justifiant par la nécessité de garantir la sécurité juridique et le plein effet du droit de l’Union (II).
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I. La réaffirmation de l’exigence d’une transposition formelle de la directive
La Cour de justice censure la position de l’État défendeur en rappelant la nature de l’obligation de transposition (A), ce qui la conduit logiquement à écarter les arguments fondés sur des mesures informelles et palliatives (B).
A. Le caractère contraignant de l’obligation de transposer par des actes normatifs
L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui impose aux États membres d’adopter des mesures nationales contraignantes pour assurer la mise en œuvre des directives. L’obligation de transposition, issue de l’article 189 du traité CE (devenu l’article 288 du TFUE), ne se limite pas à atteindre le résultat prescrit par la directive. Elle implique également de le faire par des moyens qui présentent des garanties de clarté, de précision et de force juridique.
La Cour souligne implicitement que le choix de la forme et des moyens de transposition relève de la compétence des États, mais que cette liberté est encadrée. Les mesures adoptées doivent nécessairement revêtir un caractère normatif, c’est-à-dire créer des droits et des obligations pour les particuliers de manière incontestable. C’est pourquoi la Cour vise les « dispositions législatives, réglementaires et administratives », soit un ensemble d’instruments juridiques qui, par leur nature, s’intègrent formellement dans l’ordonnancement juridique interne et sont opposables à tous.
B. L’insuffisance des pratiques administratives et de l’interprétation conforme
Face à cette exigence, les arguments avancés par l’État membre apparaissent nécessairement comme insuffisants. L’État soutenait que ses autorités appliquaient déjà la directive et interprétaient le droit en vigueur conformément à ses buts. La Cour rejette cette défense en se fondant sur deux critères essentiels.
Premièrement, elle relève que de simples pratiques administratives sont « par nature modifiables au gré de l’administration ». Cette instabilité intrinsèque est incompatible avec la permanence que doit garantir la transposition d’une norme de l’Union. Les droits et obligations découlant d’une directive ne sauraient dépendre d’une volonté administrative, par définition révocable et discrétionnaire. Deuxièmement, la Cour insiste sur le fait que ces pratiques sont « dépourvues d’une publicité adéquate ». L’absence de publication officielle empêche les justiciables, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, de connaître avec certitude l’étendue de leurs droits et de leurs devoirs. Une telle situation crée une insécurité juridique contraire aux principes fondamentaux du droit de l’Union.
II. La justification de la rigueur jurisprudentielle par la protection des justiciables
La position de la Cour ne relève pas d’un simple formalisme juridique. Elle est commandée par la protection de principes essentiels au bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union, à savoir la garantie de la sécurité juridique (A) et la nécessité d’assurer l’effet utile des directives (B).
A. La primauté du principe de sécurité juridique
Au cœur du raisonnement de la Cour se trouve le principe de sécurité juridique. Ce principe exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles, afin que les justiciables puissent régler leur conduite en conséquence. Une situation juridique ne peut être laissée à la merci de circulaires internes ou de pratiques non publiées.
En exigeant une transposition par des actes normatifs publiés, la Cour assure que toute personne physique ou morale puisse se prévaloir des droits que lui confère la directive devant les juridictions nationales. Si la transposition se limitait à une interprétation conforme ou à des instructions administratives, le justiciable serait privé d’un fondement juridique solide pour faire valoir ses droits, notamment à l’encontre de l’État lui-même. La jurisprudence assure ainsi que la transposition crée une situation juridique suffisamment précise pour que les particuliers puissent en bénéficier pleinement et en toute confiance.
B. La préservation de l’effet utile du droit des directives
Au-delà de la protection des droits individuels, la solution garantit l’effectivité et l’application uniforme du droit de l’Union. Permettre à un État membre de s’abstenir de légiférer en se contentant de pratiques internes reviendrait à affaiblir considérablement la portée des directives. Cela introduirait une disparité dans l’application du droit de l’Union, certains États se conformant par des lois et règlements, d’autres par des moyens plus souples et moins contraignants.
En sanctionnant le manquement, la Cour remplit son rôle de gardienne de l’application effective et homogène du droit de l’Union sur l’ensemble de son territoire. Elle rappelle que l’obligation de transposition est une condition essentielle du bon fonctionnement du système juridique intégré. L’arrêt commenté, bien que rendant une solution attendue, constitue ainsi une illustration pédagogique de l’intransigeance de la Cour face aux transpositions incomplètes ou seulement factuelles, réaffirmant que la fidélité à l’Union exige plus qu’une simple conformité de fait.