Par un arrêt du 22 novembre 2000, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la répartition des compétences entre les autorités douanières et les autorités judiciaires nationales en matière de sursis à exécution d’une décision administrative contestée. En l’espèce, une société s’est vue notifier un avis de recouvrement pour des droits de douane et une taxe sur la valeur ajoutée concernant des opérations d’importation. La société a contesté cet avis devant une juridiction nationale, à laquelle elle a également demandé, par un acte séparé, d’ordonner le sursis à l’exécution de la mesure de recouvrement. La juridiction de renvoi a constaté que, si l’article 244 du code des douanes communautaire prévoyait explicitement que les autorités douanières pouvaient accorder un tel sursis, la législation nationale ne semblait pas conférer un pouvoir similaire à l’autorité judiciaire saisie du litige au fond. Estimant cette situation paradoxale, elle a interrogé la Cour sur la question de savoir si le pouvoir de surseoir à l’exécution, prévu par l’article 244 du code des douanes, était conféré exclusivement à l’autorité douanière, ou également à l’autorité judiciaire saisie d’un recours. La Cour de justice répond que si la lettre de l’article 244 ne vise que les autorités douanières, cette disposition ne saurait limiter le pouvoir inhérent aux juridictions nationales d’ordonner un tel sursis afin d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union. Il convient ainsi d’analyser la portée de l’interprétation littérale du texte opérée par la Cour (I), avant d’examiner la solution finaliste qu’elle retient au nom de la garantie d’une protection juridictionnelle effective (II).
I. L’interprétation littérale de l’article 244 du code des douanes : une compétence administrative textuellement circonscrite
La Cour de justice commence son raisonnement par une analyse stricte du texte, qui semble attribuer une compétence exclusive aux autorités administratives (A), laissant ainsi dans le silence le rôle du juge national en la matière (B).
A. La reconnaissance du pouvoir de sursis des seules autorités douanières
La juridiction de renvoi était confrontée à une apparente contradiction entre les prérogatives des autorités administratives et celles des autorités judiciaires. En se fondant sur le libellé de l’article 244 du code des douanes, la Cour de justice confirme dans un premier temps que le texte ne mentionne que les autorités douanières comme étant habilitées à suspendre l’exécution d’une décision contestée. Elle relève en effet qu’« il ressort du libellé clair de l’article 244 du code des douanes que cette disposition ne donne la faculté de surseoir à l’exécution de la décision attaquée qu’aux seules autorités douanières ». Cette lecture exégétique s’impose comme le point de départ de l’analyse, car elle prend acte de la rédaction de la disposition et de sa portée immédiate. En ne désignant qu’une seule catégorie d’acteurs, le législateur de l’Union a, à première vue, entendu encadrer strictement les conditions d’octroi du sursis, en le confiant à l’organe même qui est à l’origine de la décision ou qui est chargé de sa mise en œuvre.
B. Le silence du texte quant à l’office du juge national
La conséquence directe de cette interprétation littérale est que le texte ne confère explicitement aucune compétence à l’autorité judiciaire pour ordonner le sursis à exécution. Ce silence est au cœur du problème soulevé par la juridiction nationale, car il crée un vide juridique apparent. Si l’autorité administrative peut suspendre une mesure, mais que le juge saisi du recours ne le peut pas, le droit à un recours effectif pourrait être compromis. Une telle situation serait en effet « illogique », pour reprendre le terme de la juridiction de renvoi, car elle priverait le justiciable d’une protection provisoire essentielle pendant la durée de l’instance judiciaire. La Cour, tout en reconnaissant la clarté de la lettre du texte, ne s’arrête cependant pas à cette lecture restrictive, qui aurait pour effet de paralyser l’action du juge et de rendre son contrôle potentiellement inefficace.
II. Le dépassement de la lecture textuelle par l’affirmation de la protection juridictionnelle effective
La Cour de justice ne se limite pas à une exégèse du droit dérivé ; elle mobilise un principe général du droit de l’Union pour dépasser les limites du texte (A), consacrant ainsi le pouvoir du juge national d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union (B).
A. La primauté du principe général de contrôle juridictionnel effectif
Face au silence de l’article 244 du code des douanes, la Cour se fonde sur un principe structurel de l’ordre juridique de l’Union. Elle rappelle avec force que « l’exigence d’un contrôle juridictionnel de toute décision d’une autorité nationale constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres ». Ce principe impose que toute personne dispose d’une voie de recours devant un juge contre une décision administrative qui l’affecte. Or, ce contrôle ne serait qu’illusoire si le juge ne disposait pas des outils nécessaires pour garantir l’utilité de sa décision finale. L’octroi de mesures provisoires, tel que le sursis à exécution, est une composante essentielle de ce contrôle. En affirmant que la disposition du code des douanes « ne saurait limiter le droit à une protection juridictionnelle effective », la Cour fait prévaloir une exigence fondamentale sur la lettre d’une norme de droit dérivé.
B. Le pouvoir de sursis du juge comme instrument de la pleine efficacité du droit de l’Union
La Cour achève son raisonnement en reliant directement le principe de protection juridictionnelle effective à l’obligation pour le juge national d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union. Citant sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Factortame*, elle rappelle que « le juge saisi d’un litige régi par le droit communautaire doit être en mesure d’accorder des mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ». En conséquence, le pouvoir d’ordonner un sursis à exécution n’est pas une simple faculté, mais une obligation fonctionnelle qui incombe au juge national. Ainsi, la solution est claire : « cette disposition ne limite pas le pouvoir dont disposent les autorités judiciaires saisies d’un recours en vertu de l’article 243 du même code d’ordonner un tel sursis pour se conformer à leur obligation d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire ». Par cette décision, la Cour de justice garantit que le silence d’un texte ne peut faire obstacle à l’exercice d’une prérogative judiciaire indispensable à la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’ordre juridique de l’Union.