Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 juillet 2002. – Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne. – Manquement d’Etat – Directive 89/369/CEE – Pollution atmosphérique – Installations d’incinération des déchets municipaux sur l’île de La Palma. – Affaire C-139/00.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 24 octobre 2002 dans l’affaire C-139/00 offre un éclairage sur les obligations des États membres en matière de droit de l’environnement ainsi que sur les règles procédurales encadrant le recours en manquement. En l’espèce, la Commission a reçu une plainte dénonçant le défaut de conformité de plusieurs fours incinérateurs de déchets municipaux, situés sur une île d’un État membre, avec les exigences de la directive 89/369/CEE concernant la prévention de la pollution atmosphérique. La plainte visait notamment l’absence d’autorisation d’exploitation conforme, le non-respect des obligations de mesure des émissions et l’absence d’équipements techniques spécifiques.

Après une procédure précontentieuse initiée par une lettre de mise en demeure en 1995, complétée en 1997, et suivie d’un avis motivé en 1998, la Commission a décidé de saisir la Cour de justice. Elle demandait de constater que l’État membre avait manqué à ses obligations en vertu des articles 2, 6 et 7 de la directive. En défense, l’État membre a d’abord contesté la recevabilité du recours, arguant d’une modification du grief relatif à l’article 2 entre l’avis motivé et la requête. Sur le fond, il soutenait avoir rempli ses obligations par la simple transposition de la directive en droit interne et par la délivrance d’autorisations nationales antérieures, tout en justifiant l’absence de certaines mesures par des considérations pratiques et la fermeture ultérieure des installations.

La question juridique soumise à la Cour était donc double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la reformulation d’un grief par la Commission dans sa requête, par rapport à l’avis motivé, rendait le recours irrecevable. D’autre part, la Cour devait se prononcer sur l’étendue des obligations d’un État membre au titre d’une directive environnementale, en particulier pour savoir si la seule transposition normative suffisait à écarter un manquement et sur qui reposait la charge de la preuve de ce dernier.

La Cour a jugé le recours recevable, mais ne l’a que partiellement accueilli sur le fond. Elle a constaté le manquement de l’État membre aux obligations découlant des articles 6 et 7 de la directive, mais a rejeté le grief fondé sur l’article 2, faute de preuves suffisantes apportées par la Commission.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler les principes qui gouvernent l’action en manquement, où la charge de la preuve pèse lourdement sur la Commission (I), tout en réaffirmant la nature contraignante de l’obligation de résultat qui incombe aux États membres dans l’application effective du droit de l’Union (II).

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I. Le rappel des règles procédurales encadrant l’action en manquement

La Cour, dans sa décision, clarifie deux aspects essentiels de la procédure en manquement : la flexibilité encadrée de la définition de l’objet du litige et le rôle déterminant de la charge de la preuve qui incombe à l’institution poursuivante.

A. La souplesse de la délimitation de l’objet du litige

L’État membre défendeur soulevait une fin de non-recevoir en arguant que la Commission avait modifié son grief entre la phase précontentieuse et la saisine de la Cour. La Cour rejette cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence établie. Elle rappelle que si « l’avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques », cette exigence n’impose pas une « coïncidence parfaite » entre les différents actes de procédure. L’essentiel est que l’objet du litige ne soit pas étendu ou modifié. En l’espèce, la Cour estime que la reformulation du grief n’a visé qu’à « tenir compte de l’ajout d’un élément de preuve intervenu selon elle après l’émission de l’avis motivé ». Cette approche pragmatique préserve les droits de la défense de l’État membre tout en permettant à la Commission d’ajuster son argumentation à la lumière d’éléments nouveaux, sans dénaturer la substance du manquement reproché. La solution confirme que la procédure en manquement n’est pas un formalisme excessif, mais un dialogue dont l’objectif est de s’assurer du respect du droit de l’Union.

B. La charge de la preuve, condition du succès du recours de la Commission

Le rejet du grief relatif à l’article 2 de la directive constitue l’apport le plus significatif de l’arrêt sur le plan procédural. La Commission soutenait que les installations n’avaient pas fait l’objet d’une autorisation d’exploitation conforme. Cependant, la Cour constate que l’institution n’a pas réussi à démontrer en quoi les autorisations nationales produites par l’État membre, délivrées le 9 janvier 1992, ne satisfaisaient pas aux exigences de la directive. La Cour refuse de suivre la Commission dans son interprétation d’un rapport des autorités nationales qui, selon elle, contenait un aveu. Plus encore, elle énonce clairement que pour vérifier la non-conformité des autorisations, il aurait fallu un examen détaillé des normes nationales applicables, examen que les éléments fournis par la Commission ne permettaient pas de mener. C’est ici que la Cour rappelle un principe fondamental : « il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué ». Elle ne peut se fonder sur aucune présomption. En ne fournissant pas les éléments nécessaires à cette vérification, la Commission a échoué à prouver son allégation, conduisant la Cour à rejeter cette partie du recours.

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II. L’exigence d’une application concrète et effective du droit de l’Union

Au-delà des questions de procédure, l’arrêt réaffirme avec force la portée des obligations découlant des directives, en particulier en matière environnementale, et sanctionne les manquements matériellement avérés.

A. L’obligation de résultat attachée aux directives environnementales

Face aux griefs de la Commission, l’État membre avançait que la transposition de la directive par un décret royal suffisait à remplir ses obligations. La Cour écarte cet argument avec une grande fermeté. Elle rappelle que les directives lient les États membres « quant au résultat à atteindre ». S’agissant de la directive 89/369, elle impose des « obligations de résultat, formulées d’une manière claire et non équivoque ». Par conséquent, la conformité ne peut être atteinte par la seule adoption d’une législation nationale. La Cour précise qu’« un État membre n’a satisfait aux obligations qui lui incombent […] que si, outre la transposition correcte des dispositions de ladite directive en droit interne, les installations d’incinération situées sur son territoire ont également été mises en service et fonctionnent conformément aux exigences des dispositions de la directive ». Cette solution est constante mais sa réaffirmation dans le domaine de la protection de l’environnement souligne l’importance que la Cour attache à l’effectivité des normes de l’Union, qui ne sauraient rester lettre morte. La protection de l’environnement exige des actions concrètes et des résultats tangibles, et non une simple conformité textuelle.

B. La sanction du manquement matériellement constaté

Concernant les articles 6 et 7 de la directive, relatifs aux mesures de contrôle des émissions et à la présence de brûleurs d’appoint, la Cour constate le manquement sans difficulté. Elle relève que l’État membre n’a pas contesté ces allégations durant la procédure contentieuse. Les justifications avancées sont jugées non pertinentes. L’argument fondé sur l’absence supposée d’effets négatifs pour l’environnement est balayé, car le respect des conditions techniques et procédurales fixées par la directive est une obligation en soi, indépendante d’un dommage avéré. De même, l’argument tiré de la fermeture des installations postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé est écarté conformément à une jurisprudence constante, selon laquelle l’existence du manquement s’apprécie à la date d’expiration de ce délai. La sanction de ces manquements démontre que la Cour n’admet aucune excuse pour l’inapplication matérielle des normes techniques précises contenues dans les directives, car celles-ci sont précisément conçues pour garantir un niveau élevé et harmonisé de protection sur tout le territoire de l’Union.

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