Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 juillet 2002. – Liberexim BV contre Staatssecretaris van Financiën. – Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad – Pays-Bas. – Sixième directive TVA – Importation par sortie d’un régime douanier – Transport par route sous le régime TIR ou le régime de transit communautaire externe – Changement de tracteur – Déchargement de la remorque avec destruction des scellés – Soustraction à la surveillance douanière. – Affaire C-371/99.

Par un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Hoge Raad der Nederlanden, a précisé les conditions de localisation de l’importation d’un bien au sens de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, des lots de lait en poudre expédiés depuis la Lituanie sous le régime du transit communautaire externe devaient être livrés au Portugal. Ces marchandises furent introduites sur le territoire communautaire en Allemagne, où le tracteur assurant leur transport fut remplacé par un autre, sans que les autorités douanières en soient avisées. Par la suite, les marchandises ont été acheminées aux Pays-Bas, où elles ont été déchargées et mises sur le marché sans jamais être présentées au bureau de douane de destination. L’administration fiscale néerlandaise a alors réclamé le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée à la société ayant acquis les biens sur son territoire. Cette dernière a contesté l’exigibilité de la taxe aux Pays-Bas, soutenant que la sortie du régime de transit, et donc l’importation, avait eu lieu en Allemagne au moment du changement de tracteur. Le Gerechtshof te Arnhem ayant rejeté son recours, la société a formé un pourvoi devant le Hoge Raad der Nederlanden, lequel a interrogé la Cour de justice sur la détermination du lieu et du moment de la « sortie » d’un régime douanier suspensif lorsqu’une série d’actes irréguliers sont commis dans plusieurs États membres. Il s’agissait donc de savoir quel acte, dans une chaîne d’irrégularités, matérialise la sortie du régime de transit et rend la taxe sur la valeur ajoutée exigible. La Cour de justice répond que la sortie du régime a lieu sur le territoire de l’État membre où est accompli le premier acte qualifiable de soustraction à la surveillance douanière, cette notion s’entendant de tout fait qui empêche l’autorité compétente d’accéder à la marchandise et d’effectuer ses contrôles.

Il convient d’analyser la méthode retenue par la Cour pour localiser le fait générateur de la taxe, qui repose sur une articulation étroite avec la naissance de la dette douanière (I), avant d’examiner la portée de la définition objective du critère de la soustraction à la surveillance douanière (II).

I. La localisation du fait générateur de la taxe par l’identification de la dette douanière

La Cour établit un parallélisme nécessaire entre la sortie du régime fiscal suspensif et la naissance de la dette douanière, ce qui la conduit à identifier un critère unique et prééminent pour déterminer la compétence territoriale de l’État membre de taxation.

A. La corrélation entre la dette fiscale et la dette douanière

L’article 7, paragraphe 3, de la sixième directive dispose que pour un bien placé sous un régime de transit externe, l’importation taxable « est effectuée dans l’État membre sur le territoire duquel le bien sort de ces régimes ». Face à l’absence de précision dans la réglementation sur le transit concernant les conséquences d’une succession d’irrégularités, la Cour se tourne logiquement vers les dispositions régissant la dette douanière. Elle juge en effet que « le lieu où se produit la sortie d’un régime douanier visé à l’article 7, paragraphe 3, de la sixième directive correspond non seulement au lieu où la dette fiscale prend naissance aux termes de cette même directive, mais aussi à celui où la dette douanière naît ». Cette approche assure une application cohérente des réglementations fiscale et douanière, qui sont intimement liées lors de l’introduction de biens sur le territoire de la Communauté. En alignant le fait générateur de la TVA sur celui de la dette douanière, la Cour évite que deux événements distincts, relevant potentiellement de deux États membres différents, ne découlent d’une même opération irrégulière, garantissant ainsi une application uniforme du droit communautaire.

B. La prééminence du premier acte de soustraction à la surveillance douanière

Pour déterminer le moment et le lieu de la naissance de la dette douanière, le règlement n° 2144/87 distingue principalement la « soustraction d’une marchandise […] à la surveillance douanière » de l’« inexécution d’une des obligations » du régime. La Cour établit une hiérarchie entre ces deux types de manquements. Alors qu’une simple inexécution peut rester « sans conséquence réelle sur le fonctionnement correct du régime douanier considéré » et donc ne pas donner naissance à la dette, une irrégularité qualifiée de soustraction y conduit inévitablement. La Cour en conclut qu’« une irrégularité devant être qualifiée de soustraction à la surveillance douanière a toujours pour conséquence la naissance de la dette douanière et, donc, la sortie des marchandises du régime douanier en cause ». Par conséquent, lorsqu’une série d’irrégularités est commise, c’est le premier acte pouvant être qualifié de soustraction à la surveillance douanière qui est déterminant. Cet acte unique cristallise la sortie du régime et fixe définitivement le lieu de l’importation taxable, rendant les irrégularités ultérieures indifférentes à cette fin.

II. La portée d’un critère objectif et fonctionnel

En définissant la notion de soustraction à la surveillance douanière et en écartant toute considération d’intention, la Cour de justice fournit aux autorités nationales et aux opérateurs un critère clair dont les implications pratiques renforcent la sécurité juridique.

A. Une définition fonctionnelle de la soustraction à la surveillance douanière

La Cour définit la soustraction de manière extensive et pragmatique. Elle juge qu’il faut entendre par là « tout acte ou omission qui a pour résultat d’empêcher, ne serait-ce que momentanément, l’autorité douanière compétente d’accéder à une marchandise sous surveillance douanière et d’effectuer les contrôles prévus par la réglementation douanière communautaire ». Cette définition se concentre sur l’effet objectif de l’acte : l’entrave, même temporaire, à l’exercice de la mission de contrôle de la douane. En appliquant ce raisonnement aux faits de l’espèce, la Cour estime que le simple changement de tracteur, sans rupture des scellés ni déchargement, n’aurait pas empêché les contrôles douaniers. En revanche, le déchargement des marchandises et leur mise sur le marché aux Pays-Bas constitue bien une telle soustraction. Ce critère fonctionnel offre un guide d’analyse concret pour qualifier les agissements des opérateurs et identifier sans ambiguïté l’acte qui met fin au régime suspensif.

B. L’exclusion de l’élément intentionnel au service de la sécurité juridique

La juridiction de renvoi demandait si l’intention de l’opérateur de se soustraire aux règles douanières devait être prise en compte. La Cour répond par la négative de façon catégorique, en affirmant que « la soustraction d’une marchandise à la surveillance douanière ne requiert pas l’existence d’un élément intentionnel, mais présuppose uniquement la réunion de conditions de nature objective ». L’abandon de toute recherche de l’intention frauduleuse simplifie considérablement l’action des autorités de recouvrement, qui n’ont plus à apporter la preuve, souvent difficile, d’un état d’esprit. L’exigibilité de la taxe repose ainsi sur des faits matériels et vérifiables, ce qui renforce la prévisibilité du système et la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs. Cette solution prévient en outre les conflits de compétence entre États membres, en établissant une règle claire qui désigne l’État sur le territoire duquel le premier acte de rupture de la chaîne de surveillance a été commis comme seul compétent pour percevoir la TVA à l’importation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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