L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes s’inscrit dans le contexte de la lutte contre l’utilisation de substances illicites dans l’élevage et interroge la portée des obligations procédurales imposées aux États membres par le droit communautaire. En l’espèce, des éleveurs de bovins firent l’objet de poursuites pénales sur le fondement d’une réglementation nationale prohibant l’administration de substances à effet sympathico-mimétique, tel le clenbutérol, à des animaux d’engraissement, ainsi que la détention de ces mêmes animaux. Devant les juridictions de jugement, les prévenus furent reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés. Ils interjetèrent appel de ces décisions, soutenant que la réglementation nationale en cause constituait une « règle technique » au sens de la directive 83/189/CEE. Or, ce texte n’ayant pas été notifié à la Commission européenne comme l’exige la directive, il devait, selon eux, être considéré comme inapplicable et ne pouvait donc leur être opposé, conformément à une jurisprudence antérieure de la Cour de justice. Saisie de cette argumentation, la juridiction d’appel néerlandaise décida de surseoir à statuer afin de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si une réglementation nationale interdisant l’usage de stimulateurs de croissance pour les bovins et la détention de ces derniers devait être qualifiée de règle technique soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission, et, dans l’affirmative, si un État membre pouvait être dispensé de cette obligation lorsqu’il agissait en exécution d’autres directives communautaires. À cette double interrogation, la Cour de justice répondit que si une telle réglementation constitue bien une règle technique, l’État membre qui l’adopte est néanmoins exempté de l’obligation de notification dès lors qu’il s’acquitte ainsi de ses obligations découlant d’une autre directive sectorielle, en l’occurrence celle relative à la recherche de résidus dans les viandes.
La solution retenue par la Cour de justice procède d’un raisonnement en deux temps, consistant d’abord à qualifier la norme nationale de règle technique au sens de la directive 83/189/CEE, pour ensuite lui appliquer l’une des exemptions prévues par ce même texte. Cette démarche, tout en confirmant une interprétation large de la notion de règle technique (I), vient en préciser la portée en articulant de manière pragmatique les obligations procédurales d’information avec les impératifs substantiels du droit communautaire (II).
I. La qualification confirmée de la réglementation en règle technique
La Cour de justice adopte une démarche rigoureuse pour déterminer le statut de la réglementation nationale. Elle admet sans détour que celle-ci entre dans la catégorie des règles techniques définies par la directive (A), avant de se tourner vers l’examen d’une possible exemption à l’obligation de notification qui en découle en principe (B).
A. L’inclusion des méthodes de production agricole dans le champ des spécifications techniques
Pour établir si la réglementation néerlandaise constituait une règle technique, la Cour examine sa nature au regard des définitions posées par la directive 83/189/CEE. Elle constate que des dispositions interdisant l’administration de certaines substances à des bovins d’engraissement correspondent à une « spécification technique ». La Cour rappelle en effet que cette notion englobe « la spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit … ainsi que les méthodes et procédés de production pour les produits agricoles ». En prohibant l’usage du clenbutérol, la norme nationale définit bien une méthode d’élevage, c’est-à-dire un procédé de production pour un produit agricole destiné à l’alimentation humaine.
Le raisonnement de la Cour est logique et s’inscrit dans une conception large, déjà établie, de la notion de règle technique, visant à assurer l’efficacité de la procédure d’information préventive pour déceler les entraves potentielles aux échanges. Dès lors que cette qualification est acquise et que les autres conditions sont remplies, notamment son caractère obligatoire et son application sur le territoire national, la norme est bien une « règle technique ». Cette première étape du raisonnement conduit naturellement à la question de savoir si l’obligation de notification qui s’y attache devait être respectée.
B. L’examen de l’obligation de notification au titre de la directive 83/189
Une fois la qualification de règle technique posée, la conséquence logique est l’assujettissement de l’État membre à la procédure d’information prévue à l’article 8 de la directive. Cependant, la Cour ne s’arrête pas à cette conclusion et examine, comme l’y invitait la Commission, l’applicabilité de l’article 10 de la même directive. Ce dernier article prévoit une dérogation importante : l’obligation de notification ne s’applique pas « lorsque les États membres s’acquittent de leurs obligations découlant des directives et des règlements communautaires ».
La Cour se livre alors à une analyse de la finalité de la réglementation nationale. Elle constate que, en adoptant ces mesures, les autorités néerlandaises mettaient en œuvre les objectifs de la directive 86/469/CEE concernant la recherche de résidus dans les animaux et les viandes fraîches. Ce texte impose en effet aux États de garantir que les animaux auxquels des substances prohibées ont été administrées ne soient pas mis sur le marché. En interdisant la détention de bovins traités au clenbutérol, l’État membre n’a donc fait que se conformer à ses obligations. La Cour en déduit que l’exemption de l’article 10 était applicable, dispensant ainsi l’État membre de son obligation de notification.
II. La portée précisée de l’exemption de notification
La décision commentée revêt une importance particulière car elle vient nuancer la portée d’une jurisprudence antérieure très protectrice des droits des particuliers. En articulant différentes normes de droit communautaire, elle limite l’invocabilité de la sanction de l’inopposabilité pour un vice de procédure (A), faisant prévaloir une logique de cohérence du système juridique communautaire et la protection de la santé publique (B).
A. Une limitation pragmatique de la sanction de l’inopposabilité
Dans son arrêt de principe du 30 avril 1996, *CIA Security International*, la Cour avait jugé que la méconnaissance par un État membre de l’obligation de notifier un projet de règle technique entraînait l’inapplicabilité de cette règle, de sorte qu’elle ne pouvait être opposée aux particuliers. Cette solution audacieuse offrait un moyen de droit très efficace pour contester l’application de nombreuses réglementations nationales. L’arrêt commenté apporte une clarification essentielle : cette sanction ne peut être invoquée lorsque l’État membre bénéficiait légitimement d’une exemption de notification.
En l’espèce, les éleveurs ne pouvaient donc utilement se prévaloir du défaut de notification dès lors que celui-ci était justifié par l’application de l’article 10 de la directive. Cette solution évite qu’une procédure de contrôle préventif des entraves au commerce ne vienne paralyser la mise en œuvre d’autres politiques communautaires, considérées comme prioritaires. La Cour opère ainsi un rééquilibrage, montrant que l’invocabilité de la jurisprudence *CIA Security* n’est pas absolue et dépend d’un examen complet des obligations pesant sur l’État membre.
B. La primauté de la mise en œuvre du droit matériel de la santé publique
Au-delà de l’aspect procédural, la décision révèle une hiérarchisation implicite des objectifs du droit communautaire. La directive 83/189 vise principalement à garantir la fluidité du marché intérieur par un mécanisme préventif. La directive 86/469, quant à elle, a pour but la protection de la santé publique en assurant la sécurité sanitaire des denrées alimentaires. En faisant prévaloir l’obligation de mettre en œuvre cette seconde directive sur la procédure de notification de la première, la Cour affirme la prééminence des impératifs de santé publique.
Il eût été paradoxal de sanctionner un État membre pour avoir adopté une mesure de police sanitaire conforme au droit communautaire, au seul motif qu’il n’a pas respecté une formalité procédurale dont il était, au demeurant, exempté. La solution de la Cour est donc empreinte de cohérence et de pragmatisme. Elle rappelle que le droit communautaire forme un ordre juridique intégré dont les différentes composantes doivent être interprétées les unes par rapport aux autres. La protection effective des citoyens européens, ici en leur qualité de consommateurs, l’emporte sur une application formaliste des règles procédurales du marché unique.