Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 décembre 1996. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Manquement – Non-transposition des directives 92/32/CEE, 92/69/CEE, 93/67/CEE, 93/86/CEE et 93/105/CEE. – Affaires jointes C-218/96, C-219/96, C-220/96, C-221/96 et C-222/96

Par un arrêt rendu en 1996 dans les affaires jointes C-218/96 à C-222/96, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit communautaire. En l’espèce, la Commission a constaté qu’un État membre n’avait pas pris les dispositions nationales nécessaires pour transposer cinq directives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage de substances dangereuses, ainsi qu’aux piles et accumulateurs. Les délais de transposition, fixés pour la fin de l’année 1993, étaient expirés.

La procédure précontentieuse, initiée par des lettres de mise en demeure puis par des avis motivés, est restée sans effet concret. L’État membre concerné a reconnu le retard, informant la Commission que des projets de textes réglementaires étaient en cours d’élaboration et suivaient le processus interne d’adoption. Devant l’absence de communication de mesures définitives, la Commission a introduit un recours en manquement auprès de la Cour de justice sur le fondement de l’article 169 du traité instituant la Communauté européenne. Il revenait donc à la Cour de déterminer si les difficultés et les délais inhérents aux procédures législatives et réglementaires internes d’un État membre peuvent constituer une justification valable à l’inexécution de son obligation de transposer des directives dans les délais impartis. La Cour répond par la négative et constate le manquement, considérant que la simple inobservation des délais suffit à caractériser la violation des obligations communautaires.

L’analyse de cette décision révèle une approche rigoureuse de la part du juge communautaire quant à l’obligation de transposition (I), réaffirmant ainsi le caractère fondamental de cette exigence pour la cohésion de l’ordre juridique intégré (II).

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I. La caractérisation objective du manquement à l’obligation de transposition

La Cour de justice opère une constatation du manquement qui se fonde sur une analyse purement matérielle de la situation (A), rendant par là même inopérantes les justifications avancées par l’État membre et tirées de son ordre juridique interne (B).

A. Une constatation matérielle fondée sur l’expiration des délais

Le raisonnement de la Cour se distingue par sa simplicité et sa logique formelle. Le juge se limite à confronter une situation de droit, à savoir les échéances fixées par les directives, et une situation de fait, l’absence de mesures nationales d’exécution. Les directives en cause prévoyaient que les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions nécessaires pour s’y conformer avant la fin de l’année 1993 et en informer la Commission. L’arrêt souligne que la Commission a engagé les procédures après avoir « constaté que les délais respectifs prévus par les directives en cause étaient arrivés à expiration ».

La preuve du manquement découle directement de ce constat chronologique. La charge de la preuve pesant sur la Commission est ainsi allégée, puisqu’il lui suffit de démontrer que l’État n’a pas communiqué les mesures de transposition dans le délai prescrit. La non-communication fait présumer la non-transposition. En l’absence de toute information officielle et définitive sur l’adoption des textes nationaux, la Cour ne pouvait que conclure à l’existence de l’infraction. La solution est sans équivoque, l’arrêt déclarant que « la transposition des directives en cause n’ayant pas été réalisée dans les délais fixés par celles-ci, il y a lieu de considérer comme fondés les recours introduits par la Commission ».

B. L’inefficacité des justifications tirées de l’ordre juridique interne

Face à l’évidence du retard, l’État membre défendeur ne conteste pas la matérialité des faits. Il se borne à expliquer les raisons de ce retard, tenant à la complexité de la procédure interne d’adoption des normes réglementaires. L’arrêt note que l’État « se limite à observer que, afin de transposer en droit belge les directives […], il est nécessaire de modifier l’arrêté royal […] et que la transposition de la directive […] nécessite l’adoption d’un arrêté royal ». Il ajoute que les projets sont soumis aux consultations et signatures requises.

En ne prenant même pas la peine de réfuter explicitement cet argument, la Cour en souligne le caractère totalement inopérant. Elle applique une jurisprudence constante et bien établie selon laquelle un État membre ne saurait invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations nées du droit communautaire. La complexité de la répartition des compétences, les lenteurs administratives ou les blocages politiques ne sont pas des circonstances exonératoires. Cette position stricte est indispensable pour garantir la primauté et l’uniformité du droit de l’Union.

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II. La portée de la décision : la réaffirmation du caractère contraignant du droit de l’Union

Cet arrêt, bien que rendu dans une affaire somme toute banale, constitue une illustration pédagogique de la force contraignante des directives (A) et du rôle essentiel de la Cour en tant que gardienne de la légalité communautaire (B).

A. L’obligation de transposition, une condition de l’effectivité des directives

La directive, aux termes de l’article 189 du traité CE (devenu l’article 288 du TFUE), lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette souplesse ne saurait cependant affecter le caractère impératif du délai de transposition. Le respect de ce délai est une condition substantielle qui garantit l’application simultanée et homogène du droit de l’Union sur tout son territoire. Il assure la sécurité juridique pour les particuliers et les entreprises, qui doivent pouvoir se prévaloir des droits que les directives leur confèrent.

En sanctionnant le simple non-respect formel du délai, sans même examiner les raisons du retard, la Cour rappelle que l’obligation de résultat emporte une obligation de diligence temporelle. Un retard dans la transposition constitue en soi une méconnaissance de l’objectif de la directive et porte atteinte à son effet utile. La Cour énonce ainsi clairement que « en ne prenant pas dans les délais prescrits les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux directives en cause, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent ». Cette formule consacre une conception rigoureuse de l’obligation des États.

B. La Cour de justice, gardienne de l’application uniforme du droit de l’Union

Le recours en manquement est l’instrument par excellence qui permet à la Commission et à la Cour de veiller au respect par les États membres de leurs engagements. La solution retenue dans cet arrêt confirme que le contentieux du manquement pour non-transposition est largement objectif. Il ne s’agit pas de juger de la bonne ou de la mauvaise volonté d’un État, mais de sanctionner une défaillance objective qui rompt l’égalité des États devant le traité et crée des distorsions.

En l’espèce, la condamnation est automatique et inévitable dès lors que les faits sont établis. Cette jurisprudence, constante et réaffirmée, est le pilier sur lequel repose la confiance mutuelle entre les États membres et l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union. Elle signifie que les règles du jeu sont les mêmes pour tous et que nulle considération de politique intérieure ne peut primer l’engagement européen. L’arrêt, par sa motivation lapidaire et sa solution prévisible, démontre la force tranquille d’un principe fondamental sans lequel l’édifice communautaire ne pourrait subsister.

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Hassan KOHEN
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