Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 décembre 2002. – Lankhorst-Hohorst GmbH contre Finanzamt Steinfurt. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Münster – Allemagne. – Liberté d’établissement – Fiscalité – Impôt des sociétés – Distribution déguisée de bénéfices – Crédit d’impôt – Cohérence du système fiscal – Évasion fiscale. – Affaire C-324/00.

Par un arrêt du 12 décembre 2002, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de la liberté d’établissement. En l’espèce, une société de droit allemand, filiale d’une société néerlandaise, avait bénéficié d’un prêt de sa société « grand-mère », également établie aux Pays-Bas. Ce prêt, consenti à des conditions avantageuses, visait à assainir la situation financière de la filiale en réduisant la charge d’intérêts d’un emprunt bancaire antérieur. L’administration fiscale allemande, se fondant sur une disposition du droit national relative à la sous-capitalisation, a requalifié les intérêts versés par la filiale au titre de ce prêt en distributions occultes de bénéfices. Cette requalification entraînait une imposition supplémentaire au niveau de la filiale. La législation en cause prévoyait ce traitement fiscal défavorable lorsque les capitaux étaient prêtés par un actionnaire ne bénéficiant pas d’un crédit d’impôt national, une situation qui visait de fait principalement les actionnaires non-résidents.

La société allemande a contesté cette imposition, arguant que la législation nationale était contraire à la liberté d’établissement garantie par le Traité instituant la Communauté européenne. Saisi du litige, le Finanzgericht Münster a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’article 43 du Traité CE s’oppose à une réglementation nationale qui traite différemment les intérêts versés par une société résidente selon que la société mère qui lui a consenti le prêt a son siège dans le même État membre ou dans un autre État membre. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant que la réglementation allemande constituait une entrave à la liberté d’établissement non justifiée.

La décision de la Cour met en lumière l’application rigoureuse des libertés fondamentales aux législations fiscales des États membres. Il convient ainsi d’analyser la manière dont la Cour caractérise l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement (I), avant d’examiner les motifs pour lesquels elle rejette les justifications avancées pour la maintenir (II).

I. La consécration d’une restriction à la liberté d’établissement

Pour établir l’existence d’une entrave, la Cour identifie d’abord une différence de traitement fiscal reposant sur le lieu de résidence de la société mère (A), puis elle en déduit que cette discrimination constitue une mesure dissuasive à l’exercice de la liberté d’établissement (B).

A. Une différence de traitement fondée sur le siège de la société mère

La législation allemande en cause instaure une distinction fiscale qui, bien que fondée sur un critère technique, opère en pratique une discrimination en fonction du lieu d’établissement. La Cour relève que la réglementation ne « s’applique qu’aux rémunérations des capitaux externes qu’une société de capitaux soumise sans limitation à l’impôt a obtenus d’un actionnaire ne bénéficiant pas du crédit d’impôt ». Or, ce critère de l’éligibilité au crédit d’impôt aboutit à traiter différemment les filiales résidentes.

En effet, la Cour observe que « les sociétés mères résidentes bénéficient, dans la grande majorité des cas, du crédit d’impôt, alors que, en règle générale, les sociétés mères étrangères n’en bénéficient pas ». Ainsi, les intérêts versés par une filiale à sa mère résidente sont traités comme des charges déductibles, tandis que les mêmes intérêts, versés à une mère non-résidente, sont requalifiés en distributions occultes de bénéfices et réintégrés dans l’assiette imposable de la filiale. La situation fiscale de la filiale est donc directement et défavorablement affectée par le seul fait que sa société mère est établie dans un autre État membre.

B. Une mesure dissuasive pour l’investissement transfrontalier

Cette différence de traitement constitue une restriction à la liberté d’établissement, car elle pénalise les investissements transfrontaliers. La Cour souligne que la mesure fiscale litigieuse « rend moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par des sociétés établies dans d’autres États membres ». En soumettant le financement intragroupe transfrontalier à un régime fiscal plus onéreux que le financement purement national, la législation allemande est susceptible de décourager les sociétés étrangères.

Ces dernières pourraient en conséquence « renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une filiale dans l’État membre qui édicte cette mesure ». L’entrave est donc clairement établie : la liberté pour une société d’un État membre de s’établir dans un autre État membre, y compris par la création d’une filiale, se trouve directement limitée par une conséquence fiscale négative qui n’existerait pas si la société mère était elle-même résidente. Une telle entrave ne peut être admise que si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, ce que la Cour va examiner et réfuter.

II. Le rejet des justifications de l’entrave

Une fois l’entrave constatée, la Cour examine les arguments présentés par les États membres pour la justifier, mais elle écarte aussi bien la finalité de lutte contre l’évasion fiscale (A) que le besoin de préserver la cohérence du système fiscal national (B).

A. L’inefficacité de l’argument de la lutte contre l’évasion fiscale

Les gouvernements intervenants soutenaient que la réglementation visait à lutter contre les pratiques de sous-capitalisation, considérées comme un moyen d’évasion fiscale. La Cour reconnaît en principe que la lutte contre de tels abus peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général. Toutefois, elle juge la mesure allemande disproportionnée par rapport à cet objectif. Elle constate que cette législation « n’a pas pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels », mais qu’elle vise de manière générale toute situation de financement par une société mère non-résidente.

Une telle généralité est excessive. Pour la Cour, le fait pour une société mère d’avoir son siège dans un autre État membre « n’implique pas, en elle-même, un risque d’évasion fiscale ». Une réglementation ne peut donc présumer de manière irréfragable l’existence d’un abus sur la seule base d’un critère géographique, sans examiner les circonstances propres à chaque opération. En l’espèce, la juridiction de renvoi avait d’ailleurs relevé que le prêt avait été consenti pour des raisons économiques valables et non dans un but frauduleux.

B. L’absence du lien direct requis pour la cohérence fiscale

L’autre justification majeure avancée était la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un tel argument n’est recevable que s’il existe un lien direct entre un avantage fiscal et une imposition corrélative, et ce pour un même contribuable. Or, ce lien fait défaut dans le cas présent.

La Cour constate en effet qu’ « aucun lien direct de cette nature n’existe lorsque, comme en l’espèce au principal, la filiale d’une société mère non-résidente subit un traitement fiscal défavorable, sans qu’un quelconque avantage fiscal susceptible de compenser dans son chef un tel traitement ait été invoqué ». Le désavantage fiscal subi par la filiale résidente ne trouve de contrepartie dans aucun avantage dont elle bénéficierait elle-même. La logique de cohérence ne peut donc être invoquée pour justifier une discrimination entre des contribuables distincts, en l’occurrence la filiale d’une part et la société mère d’autre part. Le rejet de cet argument confirme l’interprétation stricte que la Cour fait de cette exception, limitant son champ d’application aux situations où un lien indissociable existe au niveau d’un seul et même contribuable.

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Hassan KOHEN
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