Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 février 1998. – Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne. – Manquement – Directive 76/160/CEE – Qualité des eaux de baignade. – Affaire C-92/96.

Par un arrêt du 12 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en cinquième chambre, a précisé la portée des obligations incombant aux États membres en matière de qualité des eaux de baignade. En l’espèce, la Commission européenne avait engagé un recours en manquement à l’encontre d’un État membre, lui reprochant de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la conformité de ses eaux de baignade intérieures aux valeurs limites fixées par la directive 76/160/CEE du 8 décembre 1975. Le délai de transposition de cette directive, fixé à dix ans, était échu depuis le 1er janvier 1986 pour l’État concerné. Malgré les échanges intervenus durant la phase précontentieuse, les rapports transmis par les autorités nationales continuaient de révéler un taux de non-conformité significatif pour de nombreuses zones de baignade en eaux douces.

Devant la Cour, l’État membre défendeur ne contestait pas le non-respect des valeurs limites, mais avançait plusieurs justifications. Il invoquait premièrement une période de sécheresse prolongée, constitutive selon lui d’une « condition météorologique exceptionnelle » au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive, qui permet de ne pas prendre en compte certains dépassements. Il soutenait deuxièmement que la législation communautaire en la matière était en cours de révision et jugée dépassée par la Commission elle-même. Troisièmement, il mettait en avant les liens entre la directive sur les eaux de baignade et la directive 91/271/CEE sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, qui accorde des délais plus longs pour la mise en conformité des systèmes d’épuration. Enfin, il arguait qu’une modification des usages sociaux avait conduit à l’abandon de plusieurs zones de baignade, qui ne devraient plus être considérées comme telles.

La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si un État membre peut se prévaloir de circonstances particulières, telles qu’une sécheresse, l’évolution du droit communautaire, l’existence de législations connexes ou des changements d’usages, pour justifier le non-respect de l’obligation de résultat imposée par la directive sur la qualité des eaux de baignade.

La Cour de justice rejette l’ensemble des arguments de l’État membre et constate le manquement. Elle juge que la directive impose une obligation de résultat stricte, dont les seules dérogations possibles sont celles expressément prévues par le texte. Elle écarte ainsi les justifications fondées sur l’obsolescence alléguée de la directive, les délais prévus par un autre texte ou la modification des pratiques sociales, au motif que ces circonstances ne figurent pas parmi les dérogations autorisées. Concernant la sécheresse, la Cour admet qu’une telle situation pourrait en théorie constituer une « condition météorologique exceptionnelle », mais elle souligne que cette dérogation, d’interprétation stricte, n’a pas été prouvée en l’espèce. L’État défendeur n’a pas démontré le caractère exceptionnel de la sécheresse pour chaque zone, ni le lien de causalité direct entre ce phénomène et l’impossibilité d’atteindre les résultats prescrits.

Cet arrêt réaffirme avec force le caractère contraignant de l’obligation de résultat en droit de l’environnement (I), tout en soumettant les dérogations possibles à un régime probatoire particulièrement exigeant (II).

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I. La consécration d’une obligation de résultat à la charge des États membres

L’arrêt commenté rappelle que la directive sur la qualité des eaux de baignade impose aux États membres une obligation d’atteindre un objectif précis dans un délai déterminé. La Cour souligne ainsi le caractère impératif des normes environnementales fixées (A) et rejette fermement toute justification du manquement qui ne serait pas explicitement prévue par le texte (B).

A. Le caractère impératif des objectifs de qualité des eaux

La Cour de justice fonde son raisonnement sur la nature même de l’obligation énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive. Selon cette disposition, les États membres doivent prendre « les dispositions nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade soit rendue conforme aux valeurs limites fixées ». La Cour en déduit que la directive « impose aux États membres de faire en sorte que les résultats prescrits soient atteints ». Cette formule ne laisse aucune place au doute : il ne s’agit pas d’une simple obligation de moyens, qui consisterait à mettre en œuvre des efforts raisonnables, mais bien d’une obligation de résultat. Les autorités nationales ont le devoir de garantir que, à l’expiration du délai imparti, la qualité des eaux respecte effectivement les paramètres physico-chimiques et microbiologiques définis.

Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer l’effet utile des directives environnementales. En exigeant l’accomplissement d’un résultat tangible et mesurable, la Cour empêche que les objectifs de protection de la santé publique et de l’environnement ne soient vidés de leur substance par des difficultés d’ordre pratique ou administratif. L’obligation est claire, et sa méconnaissance suffit à caractériser le manquement, indépendamment des efforts déployés par l’État membre. La simplicité de ce constat met en lumière la rigueur du contrôle opéré par la Cour, pour qui le respect des normes de qualité n’est pas négociable.

B. Le rejet des justifications fondées sur des circonstances extérieures à la directive

Face à l’obligation de résultat, l’État membre défendeur a tenté d’opposer une série d’arguments contextuels. Il a notamment invoqué le fait que la Commission envisageait elle-même une refonte de la législation sur l’eau, ou encore les délais plus longs octroyés par la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, cause principale de la pollution. La Cour balaye ces arguments avec une logique implacable, en rappelant que « les seules dérogations à l’obligation énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive sont celles prévues au paragraphe 3 de cette disposition, ainsi qu’aux articles 5, paragraphe 2, et 8 de la directive ».

Ce faisant, elle affirme un principe essentiel : la portée d’une obligation juridique découlant d’un texte ne saurait être modulée par des considérations politiques, des projets de réforme législative ou les dispositions d’une autre directive, sauf si le législateur l’a expressément prévu. Le fait que l’épuration des eaux usées, régie par une autre législation, soit un préalable nécessaire à l’amélioration de la qualité des eaux de baignade est jugé inopérant. Chaque directive fixe un calendrier qui lui est propre, et les États membres sont tenus de respecter chacun d’entre eux de manière autonome. De même, l’argument tiré de la désaffection de certaines zones de baignade par le public est écarté, la définition des « eaux de baignade » relevant de la directive elle-même et de sa transposition nationale. Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’application uniforme du droit communautaire, en refusant d’ouvrir la voie à des justifications qui rendraient l’obligation de résultat aléatoire.

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II. Une interprétation stricte des conditions de dérogation

Si la Cour de justice se montre inflexible sur le principe de l’obligation de résultat, elle admet néanmoins que des dérogations sont possibles. Toutefois, elle en encadre l’application de manière si rigoureuse qu’elles deviennent difficiles à invoquer en pratique. L’arrêt illustre cette démarche à travers l’analyse de la notion de « condition météorologique exceptionnelle » (A), dont le régime probatoire exigeant révèle la faible portée laissée aux arguments factuels (B).

A. La condition météorologique exceptionnelle, une notion d’application rigoureuse

L’argument le plus substantiel de l’État membre reposait sur l’article 5, paragraphe 2, de la directive, qui autorise à ne pas tenir compte des dépassements de valeurs lorsqu’ils sont la conséquence de « conditions météorologiques exceptionnelles ». L’État soutenait qu’une sécheresse persistante relevait de cette catégorie. La Cour ne rejette pas l’idée par principe et concède « qu’une période de sécheresse exceptionnelle pourrait, dans la mesure où elle rendrait impossible une amélioration de la qualité des eaux de baignade, constituer une condition météorologique exceptionnelle au sens de cette disposition ». Cet apport est notable, car il ouvre une porte à la reconnaissance de phénomènes climatiques extrêmes comme cause exonératoire.

Cependant, la Cour referme aussitôt cette porte en posant des conditions très strictes. Elle rappelle que cette disposition « constitue toutefois une exception à l’obligation d’atteindre le résultat fixé par la directive et doit, dès lors, […] être interprétée de manière stricte ». Cette interprétation restrictive est classique pour toute dérogation à un principe. La Cour exige la réunion de deux critères cumulatifs : le caractère objectivement exceptionnel de la condition météorologique invoquée et l’existence d’un lien de causalité direct et prouvé entre cette condition et les dépassements constatés. En d’autres termes, l’État doit non seulement prouver que la sécheresse était anormale, mais aussi qu’elle a rendu matériellement impossible le respect des normes de qualité.

B. La charge d’une preuve spécifique et circonstanciée

La Cour de justice ne se contente pas de poser ces deux conditions ; elle en vérifie l’application concrète et reproche à l’État défendeur son incapacité à les satisfaire. Le manquement est finalement constaté non pas parce que la sécheresse ne peut jamais être une excuse, mais parce que sa réalité et ses effets n’ont pas été démontrés. La Cour relève que « le gouvernement espagnol n’a fourni aucune indication précise prouvant, pour chaque région concernée, d’une part, le caractère exceptionnel de la sécheresse alléguée et, d’autre part, l’impossibilité qui en a résulté pour les autorités d’atteindre la qualité minimale des eaux ».

L’arrêt met ainsi en lumière le niveau d’exigence probatoire qui pèse sur l’État qui invoque une dérogation. Une affirmation générale et non étayée est insuffisante. Il lui appartenait de fournir une analyse détaillée, zone par zone, démontrant l’impact spécifique du phénomène climatique. La Cour va jusqu’à s’appuyer sur les conclusions de l’avocat général, qui avait noté que de nombreuses zones non conformes se situaient dans des régions moins touchées par la sécheresse, ce qui affaiblissait la pertinence de l’argument. Cette décision a une portée pratique considérable : elle signifie que toute invocation d’une cause exonératoire doit être soutenue par un dossier technique et scientifique solide, établissant de manière irréfutable le lien de causalité. En plaçant la barre aussi haut, la Cour de justice confirme que le non-respect des normes environnementales ne saurait être justifié que dans des circonstances véritablement insurmontables et rigoureusement documentées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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