Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 juin 2003. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Ressources propres des Communautés – Erreur dans l’inscription au crédit du compte ouvert au nom de la Commission – Intérêts de retard. – Affaire C-363/00.

Par un arrêt rendu au terme d’une procédure en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité d’un État membre pour retard dans la mise à disposition des ressources propres communautaires. En l’espèce, un État membre devait verser une contribution mensuelle au budget communautaire avant une date butoir. Un ordre de virement pour le montant exact fut bien émis par les services compétents, mais une erreur matérielle de transcription dans les chiffres lors de l’exécution de l’opération a conduit au versement d’une somme infime, le solde n’étant crédité sur le compte de la Commission que vingt-quatre jours après l’échéance. La Commission a alors réclamé le paiement d’intérêts de retard, conformément à la réglementation en vigueur.

L’État membre a refusé de s’acquitter de ces intérêts, arguant que le retard résultait d’une simple erreur matérielle interne, sans intention de se soustraire à ses obligations, et que les fonds étaient en réalité déjà disponibles sur un compte de trésorerie national exclusivement affecté à ces versements. Face à ce refus persistant malgré un avis motivé, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement, sur le fondement d’un nouveau règlement ayant codifié celui initialement applicable au moment des faits. Il revenait donc à la Cour de déterminer si une erreur matérielle, en l’absence de préjudice financier direct, pouvait exonérer un État membre de son obligation de verser des intérêts de retard pour une mise à disposition tardive des ressources propres. La Cour de justice a jugé que le manquement était constitué, considérant que tout retard dans l’inscription des fonds sur le compte de la Commission entraîne automatiquement l’obligation de payer des intérêts, quelle qu’en soit la cause.

Cette décision réaffirme avec force le caractère automatique et rigoureux des obligations financières des États membres (I), tout en confirmant la portée objective de la procédure en manquement (II).

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I. L’affirmation d’un mécanisme rigoureux et automatique

La Cour rappelle que l’obligation de verser des intérêts de retard en cas de mise à disposition tardive des ressources propres est une conséquence automatique du non-respect des délais, rendant indifférente la cause du retard (A) et inopérants les mécanismes comptables nationaux (B).

A. L’indifférence à la cause du retard dans le paiement

L’argument principal de l’État défendeur reposait sur la nature non intentionnelle du retard, celui-ci provenant d’une simple erreur matérielle d’écriture. La Cour écarte fermement cette défense en s’appuyant sur une jurisprudence établie, selon laquelle les intérêts de retard sont dus indépendamment de la raison pour laquelle l’inscription a été tardive. Elle souligne qu’« il n’y a pas lieu de distinguer entre l’hypothèse où le retard est dû à une erreur matérielle et celle où il est dû à une erreur juridique et, d’autre part, que la nature non intentionnelle du retard dans l’inscription ne saurait éliminer l’obligation de verser des intérêts de retard ». Cette position consacre une approche objective de l’obligation, où seul le résultat, à savoir le crédit effectif du compte de la Commission à la date prévue, est pris en considération. En refusant de distinguer l’erreur matérielle de l’erreur de droit, la Cour unifie le régime de la responsabilité et prévient des débats complexes sur la nature et l’origine des défaillances administratives nationales. Le système des ressources propres exige une exécution ponctuelle et parfaite, et la bonne foi ou l’absence de faute de l’État membre ne constituent pas des circonstances exonératoires.

B. L’inefficacité des pratiques comptables nationales

L’État membre soutenait également que les fonds étaient disponibles dès la date d’échéance sur un compte de trésorerie interne, et qu’une rectification rétroactive avait été effectuée. La Cour rejette cet argument en précisant que l’obligation n’est remplie qu’au moment où les fonds sont effectivement et directement à la disposition de la Commission. Le fait de détenir les sommes sur un compte national, même exclusivement dédié aux versements communautaires, ne suffit pas. Selon la Cour, « il résulte clairement des articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1150/2000 que les ressources propres dues doivent être inscrites au crédit du compte ouvert à cet effet au nom de la Commission ». De même, la rectification comptable avec une date de valeur rétroactive est jugée sans pertinence, car elle priverait d’efficacité pratique le mécanisme des intérêts de retard, surtout dans un contexte où les comptes concernés ne sont pas rémunérés. Ainsi, seules les opérations qui rendent les fonds pleinement et juridiquement disponibles pour la Commission sont libératoires.

Au-delà de cette application stricte des règles financières, la décision renforce les principes fondamentaux qui gouvernent le contentieux des manquements.

II. La portée renforcée des obligations étatiques

L’arrêt illustre la conception objective du manquement en droit de l’Union (A) tout en clarifiant la continuité procédurale en cas de modification de la base légale (B).

A. La conception objective du manquement d’État

En réponse à l’argument selon lequel l’erreur n’avait causé aucun préjudice à la Commission ni procuré aucun avantage à l’État, la Cour rappelle un principe cardinal de la procédure en manquement. Elle affirme que « le non-respect par un État membre d’une obligation imposée par une règle de droit communautaire est en lui-même constitutif d’un manquement et la considération que ce non-respect n’a pas engendré de conséquences négatives est dépourvue de pertinence ». Cette approche objective signifie que la simple violation d’une norme suffit à caractériser le manquement, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une intention de nuire, une faute ou un préjudice. La finalité de la procédure en manquement est de garantir le respect de la légalité communautaire et l’application uniforme du droit de l’Union, et non de réparer un dommage. Cette rigueur est essentielle pour assurer la prévisibilité et la sécurité juridique, en particulier dans le domaine financier où la disponibilité des ressources propres conditionne le fonctionnement même de l’Union.

B. La continuité procédurale en dépit des évolutions normatives

À titre liminaire, la Cour devait statuer sur la recevabilité du recours, celui-ci étant fondé sur un règlement ayant abrogé et remplacé celui en vigueur au moment des faits. La Cour juge le recours recevable en se fondant sur une jurisprudence antérieure. Elle explique que « la Commission est recevable à faire constater un manquement aux obligations qui trouvent leur origine dans la version initiale d’un acte communautaire, par la suite modifiée ou abrogée, qui ont été maintenues par de nouvelles dispositions ». Cette solution pragmatique assure la continuité de l’action de la Commission en tant que gardienne des traités, en évitant que des modifications législatives, surtout lorsqu’il s’agit de codification à droit constant, ne viennent paralyser des procédures en cours. La condition est que l’objet du litige ne soit pas étendu à des obligations nouvelles qui ne trouveraient pas leur équivalent dans l’acte initial. Cette précision garantit le respect des droits de la défense de l’État membre, qui doit être en mesure de connaître précisément les griefs qui lui sont reprochés depuis la phase précontentieuse.

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Hassan KOHEN
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