Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 novembre 1985. – Krupp Stahl AG contre Commission des Communautés européennes. – Traité CECA – Annulation d’amende. – Affaire 183/83.

Par un arrêt rendu en 1983, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié l’étendue des obligations procédurales de la Commission et les critères de sanction en matière de contrôle des entreprises sous l’empire du traité CECA. En l’espèce, une entreprise sidérurgique a fait l’objet d’une décision de la Commission lui infligeant une amende pécuniaire pour plusieurs manquements. La Commission reprochait notamment à l’entreprise d’avoir entravé ses investigations, notamment en refusant l’accès à certains locaux lors d’un contrôle, et d’avoir tenu une comptabilité secrète pour dissimuler des rabais. L’entreprise a formé un recours devant la Cour, sollicitant l’annulation de cette décision ou, à défaut, une réduction substantielle de l’amende. Elle soutenait, sur la forme, une violation de ses droits de la défense et un défaut de motivation de la décision. Sur le fond, elle contestait la qualification d’infraction pour les faits qui lui étaient imputés. La question juridique posée à la Cour était donc double : elle portait d’une part sur les garanties procédurales dont bénéficient les entreprises lors des enquêtes de la Commission, et d’autre part sur la caractérisation des infractions justifiant une sanction ainsi que sur les modalités de fixation de cette dernière. La Cour a partiellement annulé la décision de la Commission, ne retenant comme infraction que la tenue d’une comptabilité parallèle. Elle a jugé que le refus initial de l’entreprise de se soumettre à une vérification, dans l’attente d’une décision formelle, ne constituait pas une entrave. De même, elle a écarté un autre grief pour insuffisance de motivation. En conséquence, exerçant sa compétence de pleine juridiction, la Cour a considérablement réduit le montant de l’amende initialement prononcée.

L’arrêt permet à la Cour de préciser les contours des garanties offertes aux entreprises, en encadrant strictement les pouvoirs de sanction de la Commission (I). En ne retenant qu’une seule infraction matérielle, la Cour réaffirme par ailleurs l’étendue de son contrôle sur l’appréciation des faits et la proportionnalité de la peine (II).

I. Un encadrement strict des pouvoirs de sanction de la Commission

La Cour exerce un contrôle rigoureux sur le respect des garanties procédurales, qu’il s’agisse des droits de la défense durant la phase administrative (A) ou de l’obligation formelle de motiver les décisions de sanction (B).

A. La portée limitée des droits de la défense dans la procédure administrative

La requérante soutenait que la Commission avait violé ses droits en n’établissant pas de procès-verbal définitif après son audition, ce qui aurait induit la décision en erreur. La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur une interprétation stricte de l’article 36 du traité CECA. Elle rappelle que la seule obligation imposée par ce texte est de « mettre l’intéressé en mesure de présenter ses observations ». La Cour avait déjà précisé que « la garantie des droits de la défense est assurée par cet article en donnant à l’intéressé la possibilite de présenter ses moyens ». Elle en déduit logiquement que la Commission n’est pas tenue de répondre aux arguments présentés par l’entreprise, ni d’établir un procès-verbal contradictoire, même après une audition orale. Cette solution pragmatique vise à ne pas alourdir excessivement la procédure administrative. La Cour écarte également l’application par analogie de règlements relevant du droit de la concurrence, affirmant ainsi l’autonomie procédurale du droit CECA.

Toutefois, si les garanties durant l’instruction sont ainsi circonscrites, la Cour se montre beaucoup plus exigeante quant à la formalisation de la décision finale, en particulier concernant sa motivation.

B. L’exigence de motivation comme condition de validité de la sanction

La Cour examine ensuite les différents griefs retenus par la Commission pour justifier l’amende. S’agissant des entraves alléguées durant la deuxième phase des vérifications, la Cour accueille le moyen de la requérante tiré de l’insuffisance de motivation. Elle constate que la décision attaquée « ne comporte ni description des événements ni indication des dates auxquelles ces événements sont intervenus, de sorte que le grief allégué reste vague et imprécis ». Cette absence de précisions factuelles empêche l’entreprise de connaître les faits exacts qui lui sont reprochés et, par conséquent, de se défendre utilement. La Cour en conclut que l’obligation de motivation n’a pas été respectée, ce qui entraîne l’annulation de la décision sur ce point. Cette censure illustre l’importance de la motivation non seulement pour le contrôle juridictionnel, mais aussi comme une composante essentielle des droits de la défense. En outre, la Cour précise qu’un tel défaut ne peut être régularisé par des explications fournies ultérieurement devant elle, soulignant le caractère formel de cette exigence.

Au-delà de ces aspects formels et procéduraux, la Cour se prononce sur la substance même de l’infraction et sur la sanction qui en découle.

II. La caractérisation de l’infraction et l’exercice de la pleine juridiction sur la sanction

Après avoir écarté plusieurs des griefs de la Commission, la Cour confirme la validité de l’infraction relative à la comptabilité parallèle (A), avant de procéder à une réévaluation souveraine du montant de l’amende (B).

A. La tenue d’une comptabilité secrète, une infraction autonome

La Commission reprochait à l’entreprise d’avoir mis en place un système de comptabilité secrète pour gérer des rabais. La requérante arguait que ce système n’avait pas pour but de dissimuler des informations à la Commission, avec laquelle les rabais avaient été convenus. La Cour balaie cet argument, considérant que la motivation de l’entreprise est sans incidence sur l’existence matérielle de l’infraction. Elle établit que la tenue d’une comptabilité secrète, en ce qu’elle « rend difficiles les tâches de contrôle de la commission », est en soi contraire aux obligations découlant de l’article 47 du traité et de ses textes d’application. L’infraction n’est donc pas la dissimulation d’une pratique illicite, mais bien l’atteinte portée à l’efficacité des mécanismes de contrôle. La Cour confirme ainsi que les entreprises ont une obligation positive de maintenir une documentation transparente permettant une vérification efficace, et que le manquement à cette obligation constitue une infraction sanctionnable.

Cette infraction étant la seule subsistant à l’issue du contrôle de la Cour, la question de la proportionnalité de la sanction initialement infligée se posait avec acuité.

B. L’appréciation souveraine du montant de l’amende

La Cour rappelle d’abord les critères pertinents pour la fixation d’une amende. Elle admet qu’il est loisible de prendre en compte « aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fut-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l’objet de l’infraction ». Cependant, elle souligne qu’aucun de ces chiffres ne doit avoir une importance disproportionnée et que la fixation de l’amende ne saurait résulter d’un simple calcul mathématique. Puisque seule l’infraction de tenue d’une comptabilité secrète a été retenue, la Cour estime que le montant fixé par la Commission n’est plus justifié. Tout en reconnaissant que l’infraction restante conserve « un caractère de gravité certaine puisqu’elle affecte l’exercice des pouvoirs de contrôle dévolus à la commission », elle décide, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, de réduire l’amende de plus des deux tiers. Cet ajustement majeur démontre que la Cour n’hésite pas à substituer sa propre appréciation à celle de la Commission pour assurer une juste proportionnalité entre la gravité des faits définitivement établis et la sanction pécuniaire infligée.

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Hassan KOHEN
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