Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 septembre 1996. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Manquement d’Etat – Discrimination indirecte en raison de la nationalité – Enfants de travailleurs migrants – Avantages sociaux – Jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi – Accès aux programmes spéciaux en matière d’emploi. – Affaire C-278/94.

Par un arrêt du 29 mai 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de l’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux et d’accès à l’emploi pour les jeunes à la recherche de leur premier travail. En l’espèce, la législation d’un État membre subordonnait l’octroi d’allocations, dites d’attente, à la condition que le jeune demandeur ait achevé ses études secondaires dans un établissement reconnu ou subventionné par cet État. Par ailleurs, des dispositifs spécifiques incitaient les employeurs à recruter les bénéficiaires de ces allocations en prévoyant une prise en charge par l’État de leur rémunération et de leurs cotisations sociales.

La Commission des Communautés européennes a engagé un recours en manquement contre l’État membre concerné. Elle soutenait, d’une part, que la condition relative au lieu d’achèvement des études pour l’obtention des allocations d’attente constituait une discrimination indirecte à l’encontre des enfants des travailleurs migrants, en violation de l’article 48 du traité CE et de l’article 7 du règlement n° 1612/68. D’autre part, elle estimait que les programmes spéciaux de mise au travail, en favorisant les bénéficiaires de ces allocations, entravaient l’accès à l’emploi pour les autres jeunes ressortissants communautaires, contrevenant ainsi à l’article 3 du même règlement.

Le litige posait donc à la Cour une double question juridique. Il s’agissait premièrement de déterminer si une condition d’études suivie sur le territoire national pour l’octroi d’un avantage social aux enfants de travailleurs migrants constitue une discrimination prohibée par le droit communautaire. Il convenait, deuxièmement, de savoir si des programmes de mise au travail de jeunes chômeurs, financés par l’État, relèvent des règles sur l’accès à l’emploi ou d’un autre régime juridique, notamment celui de l’assurance chômage.

La Cour de justice a répondu de manière distincte à chacun des griefs. Elle a jugé que la condition d’études pour l’octroi des allocations d’attente constituait bien un manquement aux obligations de l’État membre, car elle représente une forme de discrimination dissimulée. En revanche, elle a rejeté le second grief, considérant que les programmes spéciaux de mise au travail ne relèvent pas de l’accès à l’emploi au sens du règlement n° 1612/68, mais de l’assurance chômage, dont le bénéfice est conditionné à l’acquisition préalable de la qualité de travailleur.

La décision opère une distinction nette entre le droit à l’égalité de traitement pour les avantages sociaux, interprété largement au profit des enfants de travailleurs (I), et les conditions d’accès à des dispositifs publics d’emploi, dont le champ d’application est défini de manière plus restrictive (II).

I. La confirmation d’une protection étendue des enfants de travailleurs migrants face aux discriminations dissimulées

La Cour rappelle d’abord que les allocations d’attente constituent un avantage social au sens du droit communautaire (A), avant de sanctionner la condition d’études imposée par la législation nationale, qu’elle analyse comme une mesure indirectement discriminatoire (B).

A. La qualification d’avantage social appliquée aux allocations pour jeunes primo-demandeurs

L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence établie qui interprète de façon large la notion d’avantage social prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68. La Cour réaffirme que les allocations d’attente, bien que destinées à des jeunes n’ayant pas encore intégré le marché du travail, entrent dans cette catégorie. Elle confirme ainsi sa solution antérieure selon laquelle de telles allocations constituent « un avantage social aux termes de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 ». Le droit à ces allocations n’est donc pas un droit propre du jeune demandeur, mais un droit dérivé de la qualité de travailleur migrant de son parent résidant dans l’État d’accueil.

Cette qualification emporte une conséquence majeure. La situation du jeune demandeur ne doit pas être examinée au regard des droits qu’il aurait pu faire valoir dans son État d’origine. Le fait qu’il n’ait éventuellement pas droit à des prestations similaires dans son pays n’est pas pertinent. Le principe d’égalité de traitement impose à l’État d’accueil d’accorder aux membres de la famille du travailleur migrant les mêmes avantages qu’à ses propres nationaux, sans considération du système de protection sociale de l’État de provenance.

B. La censure d’une condition de scolarisation assimilée à une exigence de résidence

La Cour applique avec rigueur le principe de prohibition des discriminations fondées sur la nationalité. Elle rappelle que ce principe « prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent, en fait, au même résultat ». Le critère de l’achèvement des études dans un établissement de l’État membre d’accueil, bien qu’applicable sans distinction de nationalité, est analysé comme une telle mesure.

La Cour considère en effet qu’une telle condition « sera plus facilement remplie par les enfants de ressortissants belges que par ceux d’un ressortissant d’un autre État membre ». Elle l’assimile à une condition de résidence préalable, dont elle a déjà jugé par le passé qu’elle était, par sa nature même, susceptible de défavoriser plus particulièrement les travailleurs migrants. Il n’est pas nécessaire pour la Commission de prouver qu’un nombre substantiel de ressortissants étrangers est effectivement affecté. La simple potentialité de l’effet discriminatoire suffit à rendre la mesure contraire au droit communautaire. Cette approche pragmatique garantit l’effet utile du principe de libre circulation.

II. L’interprétation stricte du champ d’application de la libre circulation pour les non-travailleurs

Si la Cour se montre protectrice s’agissant des droits dérivés des travailleurs, elle adopte une lecture plus littérale des dispositions relatives à l’accès au marché du travail pour les personnes qui n’ont pas encore cette qualité. Elle exclut ainsi les programmes spéciaux de mise au travail du champ de l’accès à l’emploi (A), pour les rattacher à un régime de sécurité sociale dont l’accès est conditionné (B).

A. L’exclusion des programmes d’emploi aidé du domaine de l’accès à l’emploi

La Cour analyse la nature des programmes de mise au travail en cause. Elle observe que l’État prend en charge tout ou partie de la rémunération et des cotisations sociales, et que l’office national de l’emploi est réputé être l’employeur au regard du droit social et fiscal. Elle en déduit que ces dispositifs « constituent le volet actif de l’assurance chômage ». Par conséquent, ils ne sauraient être regardés comme des offres d’emploi classiques sur le marché du travail.

Cette analyse conduit la Cour à considérer que ces programmes « dépassent le domaine de l’accès à l’emploi proprement dit, tel que couvert par le titre I du règlement n° 1612/68 ». La Commission ne pouvait donc utilement fonder son grief sur l’article 3 de ce règlement. La Cour établit ainsi une frontière claire entre, d’une part, l’accès au marché général du travail, où le principe de non-discrimination s’applique pleinement aux offres d’emploi, et d’autre part, les mesures de politique sociale visant à la réinsertion des chômeurs, qui obéissent à un régime juridique distinct.

B. L’exigence de la qualité de travailleur comme préalable à l’application du droit communautaire

La qualification des programmes en tant que mesures relevant de l’assurance chômage a une conséquence décisive. Pour invoquer le bénéfice du droit communautaire en matière de sécurité sociale, et notamment contester une éventuelle discrimination dans ce domaine, le demandeur doit posséder une qualité spécifique. La Cour énonce clairement que « l’application du droit communautaire relatif à la libre circulation des travailleurs, à propos d’une réglementation nationale touchant à l’assurance chômage, requiert, dans le chef de la personne qui l’invoque, qu’elle ait déjà accédé au marché du travail ».

Cette accession doit s’être matérialisée par « l’exercice d’une activité professionnelle réelle et effective, lui ayant conféré la qualité de travailleur au sens communautaire ». Or, la catégorie de personnes visée par le recours, à savoir les jeunes à la recherche de leur premier emploi, ne remplit par définition pas cette condition. Elles ne peuvent donc se prévaloir d’un droit propre à l’égalité de traitement pour l’accès à ces programmes spécifiques. La protection communautaire ne s’étend pas aux individus qui n’ont pas encore objectivement participé au marché du travail d’un État membre.

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Hassan KOHEN
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