Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 février 2003. – Commission des Communautés européennes contre Grand-duché de Luxembourg. – Manquement d’État – Article 7, paragraphes 2 et 4, du règlement (CEE) nº 259/93 – Qualification de la finalité d’un transfert de déchets (valorisation ou élimination) – Déchets incinérés – Point R 1 de l’annexe II B de la directive 75/442/CEE – Notion d’utilisation principale comme combustible ou autre moyen de produire de l’énergie. – Affaire C-458/00.

Par un arrêt du 24 juin 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les critères de distinction entre les opérations de valorisation et d’élimination des déchets. Saisie d’un recours en manquement à l’encontre du Grand-duché de Luxembourg, la Cour devait se prononcer sur la légalité du refus des autorités luxembourgeoises d’autoriser un transfert de déchets ménagers vers une usine d’incinération située en France. Une société établie au Luxembourg avait notifié aux autorités compétentes son intention de transférer ces déchets afin qu’ils y soient incinérés avec récupération d’énergie, qualifiant l’opération de valorisation au sens de la réglementation européenne. Les autorités luxembourgeoises ont cependant procédé d’office à une requalification, considérant qu’il s’agissait d’une opération d’élimination. Elles ont motivé cette décision en affirmant que « l’incinération des déchets dans une installation dont la finalité primaire est le traitement thermique en vue de la minéralisation de ces déchets […] est considérée au Luxembourg comme une opération d’élimination ». En conséquence, elles se sont opposées au transfert envisagé. La Commission, estimant cette position contraire au droit communautaire, a introduit un recours en manquement, arguant que le refus luxembourgeois était fondé sur une interprétation erronée de la notion de valorisation. Le litige posait ainsi à la Cour la question de savoir à quelles conditions la combustion de déchets peut être qualifiée d’opération de valorisation, et non d’élimination. La Cour de justice rejette le recours de la Commission en validant l’approche des autorités nationales. Elle juge que pour distinguer la valorisation de l’élimination, il est déterminant de rechercher si l’objectif principal de l’opération est de permettre aux déchets de remplir une fonction utile de production d’énergie, en se substituant à une source d’énergie primaire. La simple récupération de chaleur, si elle n’est qu’un effet secondaire d’une opération visant principalement à éliminer les déchets, ne suffit pas à modifier sa nature juridique.

L’arrêt apporte des clarifications essentielles tant sur les pouvoirs de contrôle des autorités nationales que sur les critères de fond permettant de distinguer les régimes applicables aux transferts de déchets. La Cour encadre ainsi la procédure de surveillance des transferts (I), avant de définir les conditions matérielles de la qualification d’une opération de valorisation énergétique (II).

I. Le contrôle procédural de la qualification des transferts de déchets

La Cour précise d’abord le rôle des autorités nationales dans le système de surveillance des transferts de déchets, en reconnaissant leur pouvoir de vérifier la qualification de l’opération, tout en posant des limites à leur capacité d’intervention.

A. La prérogative de vérification de la qualification notifiée

La Cour reconnaît que l’efficacité du système de contrôle des transferts de déchets repose sur la capacité des autorités compétentes à s’assurer de la pertinence de la qualification retenue par le notifiant. Elle affirme sans ambiguïté que « toutes les autorités compétentes destinataires de la notification d’un projet de transfert de déchets doivent vérifier que la qualification retenue par le notifiant est conforme aux dispositions du règlement ». Cette obligation de vérification est fondamentale pour garantir l’application correcte des procédures distinctes prévues pour les opérations de valorisation et d’élimination, ces dernières étant soumises à un régime plus strict.

Si une autorité estime que la qualification est incorrecte, elle doit soulever une objection fondée sur cette erreur. La Cour précise que cette objection n’a pas à se fonder sur les motifs limitativement énumérés par le règlement pour les transferts de déchets destinés à la valorisation. Le fait que la qualification soit erronée constitue en soi un motif suffisant pour s’opposer au projet. Cette solution garantit que les principes d’autosuffisance et de proximité, qui sous-tendent la gestion des déchets destinés à l’élimination, ne soient pas contournés par une simple déclaration erronée du notifiant.

B. La prohibition d’une requalification unilatérale de l’opération

Si le pouvoir de contrôle est affirmé, la Cour y apporte une nuance procédurale importante en précisant qu’« il n’appartient pas à une autorité compétente de procéder d’office à la requalification de la finalité d’un transfert de déchets ». Le rôle de l’autorité n’est donc pas de se substituer au notifiant en modifiant la nature de la notification, mais de l’accepter ou de la refuser. Bien que dans les faits, les autorités luxembourgeoises aient procédé à une telle requalification, la Cour examine leur décision comme une objection fondée sur une qualification erronée.

Cette distinction préserve l’équilibre du système de notification, où l’initiative appartient au notifiant. En cas de désaccord sur la nature de l’opération, la voie ouverte à l’autorité est celle de l’objection, qui peut alors faire l’objet d’un dialogue ou d’un contentieux. Cette interdiction d’une modification unilatérale protège la sécurité juridique et les droits du notifiant, qui doit pouvoir connaître les motifs précis d’un éventuel refus afin de pouvoir y répondre ou de corriger sa notification. La Cour consacre ainsi un formalisme strict qui garantit la transparence et la prévisibilité de la procédure de contrôle.

II. La distinction matérielle entre valorisation et élimination

Au-delà des aspects procéduraux, l’apport majeur de l’arrêt réside dans la définition des critères de fond permettant de qualifier une opération de combustion de déchets. La Cour combine une approche finaliste avec des conditions matérielles précises pour identifier une véritable opération de valorisation.

A. Le critère déterminant de la finalité principale de l’opération

La Cour établit que la caractéristique essentielle d’une opération de valorisation est que son « objectif principal est que les déchets puissent remplir une fonction utile, en se substituant à l’usage d’autres matériaux qui auraient dû être utilisés pour remplir cette fonction ». Pour la combustion, cela signifie que le but premier doit être la production d’énergie, et non le traitement des déchets en tant que tel. Ce critère finaliste permet de dépasser une analyse purement technique qui se contenterait de constater une production d’énergie.

Pour apprécier cette finalité, les caractéristiques de l’installation de traitement sont un indice pertinent. La Cour a ainsi validé le raisonnement des autorités luxembourgeoises, qui s’étaient fondées sur la finalité première de l’incinérateur, conçu pour le traitement thermique en vue de la minéralisation des déchets. La logique est claire : un transfert vers une installation dont la raison d’être est l’élimination peut difficilement être considéré comme une opération de valorisation, même si une récupération d’énergie a lieu.

B. Les conditions effectives de l’utilisation énergétique des déchets

L’approche finaliste est complétée par des conditions matérielles strictes. La Cour précise qu’une simple récupération de chaleur ne suffit pas. Au contraire, « lorsque la récupération de la chaleur produite par la combustion ne constitue qu’un effet secondaire d’une opération dont la finalité principale est l’élimination des déchets, elle ne saurait remettre en cause la qualification de cette opération comme opération d’élimination ». La valorisation doit être réelle et non marginale.

Pour ce faire, trois conditions cumulatives doivent être remplies. Premièrement, l’opération doit générer un bilan énergétique positif. Deuxièmement, la majeure partie des déchets doit être consumée pendant l’opération. Troisièmement, une part substantielle de l’énergie dégagée doit être effectivement récupérée et utilisée. Ces exigences concrètes visent à éviter que des opérations d’élimination soient artificiellement déguisées en opérations de valorisation pour bénéficier d’un cadre réglementaire plus souple, préservant ainsi la cohérence de la hiérarchie des modes de traitement des déchets.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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