Par un arrêt du 13 mars 1997, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la validité d’un règlement d’application au regard du règlement de base qu’il met en œuvre, ainsi que de plusieurs principes généraux du droit communautaire.
En l’espèce, une société avait importé du sucre brut de canne sous le régime du perfectionnement actif, dans le cadre du système de la suspension. Ce régime permet de transformer sur le territoire de la Communauté des marchandises non communautaires destinées à être réexportées, sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation. Pour apurer cette opération, la société a exporté du sucre blanc produit à partir de sucre brut de betterave, entendant ainsi bénéficier du mécanisme de la compensation à l’équivalent. L’administration douanière a cependant refusé le bénéfice de ce mécanisme.
L’administration a fait assigner la société devant le tribunal d’instance de Lille afin d’obtenir le paiement des droits et taxes considérés comme éludés. Devant cette juridiction, la société a soulevé l’invalidité de l’article 9 du règlement d’application n° 3677/86. Cette disposition subordonnait le recours à la compensation à l’équivalent à la condition que les marchandises équivalentes relèvent de la même sous-position du tarif douanier commun que les marchandises d’importation, une condition non explicitement prévue par le règlement de base n° 1999/85. Saisi de cette contestation, le tribunal d’instance a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était donc demandé à la Cour si une autorité communautaire, agissant en exécution d’un règlement de base, pouvait valablement restreindre l’accès à un régime douanier dérogatoire en ajoutant une condition non expressément prévue par la norme supérieure, et si une telle restriction ne portait pas atteinte aux principes de proportionnalité et de sécurité juridique. La Cour a répondu que l’examen des questions soulevées n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la disposition contestée. La Cour justifie la validité de la condition additionnelle par une interprétation des pouvoirs d’exécution (I), tout en écartant les violations alléguées des principes généraux du droit communautaire (II).
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I. La justification de la légalité de la condition additionnelle par une interprétation téléologique des pouvoirs d’exécution
La Cour de justice reconnaît à l’autorité d’exécution un pouvoir d’appréciation large pour préciser les modalités d’application d’un régime douanier (A), ce qui la conduit à valider le recours au critère de la classification tarifaire comme instrument de limitation (B).
A. L’affirmation d’un large pouvoir d’appréciation dans l’adoption des mesures d’application
La Cour rappelle d’emblée qu’« en arrêtant les dispositions d’application d’un règlement de base, l’autorité communautaire habilitée à cet effet est tenue de ne pas dépasser les pouvoirs qui lui sont conférés par ledit règlement ». Le règlement de base se contentait d’exiger que les marchandises équivalentes aient « la même qualité et possèdent les mêmes caractéristiques que les marchandises d’importation ». Le règlement d’application y a ajouté l’exigence d’une identité de classement dans la sous-position tarifaire. Pour autant, la Cour estime que le pouvoir d’exécution n’a pas été outrepassé.
Elle fonde son raisonnement sur l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base lui-même, qui prévoit que « des mesures visant à interdire ou à limiter le recours à la compensation à l’équivalent peuvent être arrêtées ». Cette disposition confère explicitement une habilitation à l’autorité d’exécution pour restreindre l’accès à ce mécanisme. En ajoutant une condition, le règlement d’application n’a fait qu’user de cette faculté de limitation. La Cour souligne par ailleurs le caractère dérogatoire du système de la compensation à l’équivalent au sein du régime du perfectionnement actif, ce qui justifie d’autant plus la possibilité d’en encadrer strictement l’usage. La mesure restrictive est donc conforme à la lettre et à l’esprit du règlement de base.
B. La légitimation du critère de la sous-position tarifaire comme instrument de limitation
Au-delà de la compétence de l’auteur de l’acte, la Cour se prononce sur la pertinence du critère retenu. L’identité de sous-position tarifaire constitue un critère « clair et précis », permettant de délimiter sans ambiguïté les marchandises susceptibles de faire l’objet d’une compensation. La Cour rejette l’argument selon lequel ce critère serait sans rapport avec la nature économique des marchandises.
Elle considère au contraire qu’il est « susceptible de contribuer à la réalisation notamment de l’objectif visé au quatrième considérant du règlement de base, consistant à empêcher l’utilisation abusive du régime du perfectionnement actif ». L’objectif général de promotion des exportations, bien que réel, ne saurait faire obstacle à la mise en place de garde-fous destinés à prévenir les détournements du régime. Le critère tarifaire, bien qu’externe au régime de perfectionnement actif, est ainsi validé comme un outil adéquat et légitime au service de la bonne gestion douanière. En validant le critère retenu, la Cour a également dû s’assurer de sa conformité avec les principes structurants de l’ordre juridique communautaire.
II. Le rejet des violations alléguées des principes généraux du droit communautaire
La Cour examine successivement les griefs tirés de la violation du principe de proportionnalité (A) et de ceux de sécurité juridique et de confiance légitime (B), pour les écarter l’un après l’autre.
A. L’examen de la proportionnalité de la mesure au regard de l’objectif de lutte contre la fraude
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le caractère potentiellement disproportionné de la mesure, celle-ci pouvant faire obstacle à des opérations économiquement justifiées. La Cour rappelle cependant que, l’autorité d’exécution disposant d’un large pouvoir d’appréciation, une mesure ne saurait être jugée invalide que si elle est « manifestement disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi ».
En l’espèce, l’exigence d’une identité de sous-position tarifaire n’apparaît pas manifestement excessive au regard de l’objectif de prévention des abus. Ce critère objectif permet d’éviter des compensations entre des produits qui, bien que présentant des qualités similaires, pourraient avoir des valeurs ou des statuts douaniers très différents, ouvrant la voie à des manœuvres frauduleuses. La Cour considère que le critère est apte à réaliser l’objectif visé. Le fait que des conditions supplémentaires existent pour d’autres produits, comme le riz, ne démontre pas l’inadéquation du critère de la sous-position, mais plutôt la volonté du législateur d’affiner encore les limitations lorsque cela s’avère nécessaire.
B. La sauvegarde des principes de sécurité juridique et de confiance légitime
Le dernier grief portait sur l’instabilité juridique créée par la succession de réglementations. La compensation entre sucre de canne et sucre de betterave, d’abord possible, est devenue impossible suite à une modification de la nomenclature douanière, avant d’être de nouveau autorisée par une disposition spécifique. La Cour écarte l’argument tiré de la violation de la confiance légitime. Elle souligne qu’en faisant dépendre le régime d’un critère externe, la nomenclature tarifaire, la réglementation expose les opérateurs économiques aux évolutions de cette dernière.
Un opérateur ne saurait donc nourrir « d’autre espoir légitime que celui de pouvoir recourir à la compensation à l’équivalent lorsque les marchandises concernées relèvent, selon la nomenclature en vigueur à l’époque de l’opération, de la même sous-position ». Quant au principe de sécurité juridique, la Cour estime qu’il n’est pas violé. Au contraire, le renvoi à la nomenclature fournit aux opérateurs un critère « clair et précis », leur permettant de déterminer à tout moment s’ils peuvent ou non réaliser l’opération envisagée. La prévisibilité de la règle est donc assurée, même si son contenu matériel peut évoluer avec la nomenclature elle-même.