Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 septembre 2001. – Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne. – Manquement d’Etat – Directive 96/62/CE – Evaluation et gestion de la qualité de l’air ambiant – Absence de désignation des autorités compétentes et des organismes chargés de l’application de la directive. – Affaire C-417/99.

Par un arrêt en date du 11 octobre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les obligations incombant à un État membre dans le cadre de la transposition d’une directive relative à la qualité de l’air ambiant. En l’espèce, une directive-cadre de 1996 visait à établir une stratégie commune pour l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air, imposant notamment aux États membres de désigner les autorités et organismes compétents pour sa mise en œuvre. La Commission européenne, constatant qu’un État membre n’avait pas procédé à cette désignation dans le délai imparti, a engagé une procédure en manquement. L’État membre mis en cause soutenait, d’une part, que l’obligation de désignation était différée jusqu’à l’adoption par le Conseil de normes techniques plus spécifiques, et, d’autre part, que les structures administratives déjà existantes sur son territoire satisfaisaient aux exigences de la directive. Saisie du litige, la Cour a dû se prononcer sur la question de savoir si un État membre peut se prévaloir de la fixation future d’éléments techniques pour reporter l’exécution d’une obligation générale de transposition, et si des normes organisationnelles internes non spécifiques peuvent constituer une mesure de transposition suffisante. La Cour a jugé que l’obligation de désigner les autorités compétentes était une obligation générale et inconditionnelle, dont le délai d’exécution ne pouvait être reporté. Elle a en outre estimé que les mesures de transposition devaient créer une situation juridique suffisamment claire, précise et transparente, ce que ne permettaient pas les dispositions générales invoquées par l’État défendeur. La décision éclaire ainsi la rigueur de l’obligation de transposition qui s’impose aux États membres (I), tout en rappelant les exigences qualitatives indispensables à sa correcte exécution (II).

I. La rigueur de l’obligation temporelle de transposition

La Cour de justice affirme avec fermeté l’exigibilité immédiate des obligations générales contenues dans une directive, indépendamment des développements ultérieurs de la législation. Elle consacre ainsi l’autonomie de l’obligation de désignation des autorités compétentes (A) et rejette l’argument tiré du caractère prétendument incomplet de la réglementation communautaire (B).

A. L’autonomie de l’obligation de désignation

La Cour distingue soigneusement les différentes obligations imposées par la directive. Elle souligne que l’article 3, qui impose la désignation des autorités et organismes compétents, relève de la première étape de transposition, soumise à un délai de dix-huit mois. Cette obligation est qualifiée de « démarche préliminaire à la mise en œuvre des objectifs généraux de la directive » et est jugée « de nature purement générale ». Son accomplissement ne dépend donc pas d’un événement futur et incertain, comme la fixation de valeurs limites pour les polluants. Cette interprétation garantit que la structure administrative nécessaire à l’application de la politique environnementale soit en place sans délai. L’effectivité de la directive serait compromise si les États membres pouvaient attendre que tous les détails techniques soient finalisés avant de mettre en place les fondations institutionnelles requises pour son application.

B. Le rejet de l’argument tiré de l’incomplétude de la réglementation

L’État membre soutenait que l’obligation de désignation était liée à l’obligation d’information prévue à l’article 11 de la directive, dont l’échéance était plus lointaine. La Cour écarte cette thèse en se fondant sur une jurisprudence constante. Elle rappelle que « le fait qu’une directive prévoit la détermination future de certains éléments détaillés ne saurait, en l’absence de disposition expresse en ce sens, exonérer les États membres de leur obligation de prendre dans le délai prescrit les mesures nécessaires pour se conformer à la directive ». Cette solution est essentielle pour préserver le principe de coopération loyale et empêcher que les États membres ne prennent prétexte de la complexité ou de l’échelonnement du processus législatif de l’Union pour justifier leur propre inaction. La Cour confirme ainsi que la transposition doit s’effectuer au fur et à mesure des obligations exigibles, sans attendre que l’ensemble de l’édifice normatif soit achevé. Le caractère de directive-cadre du texte, destiné à être complété, ne suspend pas l’obligation de transposer ses dispositions déjà claires et inconditionnelles.

Au-delà du strict respect des délais, la Cour rappelle que l’obligation de transposition revêt également une dimension qualitative, dont les contours sont ici précisément définis.

II. Les exigences qualitatives d’une transposition conforme

L’arrêt réaffirme avec force que la transposition ne peut se satisfaire de mesures internes approximatives ou implicites. La Cour constate d’abord l’insuffisance de normes organisationnelles générales (A), avant de consacrer la primauté de l’exigence de sécurité juridique pour les particuliers (B).

A. L’insuffisance de normes organisationnelles générales

L’État défendeur faisait valoir que ses communautés autonomes disposaient déjà d’autorités compétentes en matière d’environnement. La Cour examine les textes nationaux produits et constate leur caractère inadéquat. Elle relève que ces normes sont soit silencieuses sur la protection contre la pollution atmosphérique, soit trop vagues pour être considérées comme une transposition fidèle. Certaines dispositions relatives à la « qualité environnementale » sont jugées « trop générales en ce sens qu’elles n’indiquent ni les tâches spécifiques attribuées ni les autorités concernées ». De plus, l’absence de toute référence à la directive dans les textes nationaux est perçue comme un indice que ces derniers n’ont pas été adoptés dans le but de se conformer au droit de l’Union. La Cour rappelle ainsi que la transposition exige une action positive et spécifique de l’État membre, qui ne peut se contenter d’invoquer une compatibilité fortuite de son droit interne préexistant avec les objectifs de la directive.

B. La primauté de l’exigence de sécurité juridique

Le principal apport de l’arrêt réside dans le rappel d’un principe fondamental du droit de l’Union. La Cour souligne que la transposition doit aboutir à « une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître leurs droits et leurs obligations ». Cette exigence de sécurité juridique est au cœur de l’obligation de transposition. Elle implique que les destinataires de la norme, y compris les citoyens et les entreprises, doivent pouvoir identifier sans ambiguïté les autorités responsables de l’application de la directive, les procédures à suivre et les droits qu’ils peuvent faire valoir. En l’espèce, le flou des compétences réparties entre les différentes administrations nationales et régionales ne permettait pas d’atteindre cet objectif. En conséquence, la Cour conclut que les dispositions de la directive « ne sauraient être considérées comme mises en œuvre par les normes espagnoles avec la précision, la clarté et la transparence requises ». Cet arrêt constitue un rappel sévère à l’ordre, signifiant que la répartition interne des compétences, même dans un État à structure fédérale ou régionale, ne le dispense pas d’assurer une transposition qui garantisse une application uniforme et effective du droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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