L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, tranche une question relative au régime des quotas de production et de livraison d’acier institué dans le cadre du traité CECA.
Une entreprise sidérurgique, dont l’activité consistait majoritairement en la transformation de produits pour le compte d’un tiers, a vu son modèle économique bouleversé par la faillite de ce dernier. Contrainte de vendre désormais sa production pour son propre compte, elle s’est vu notifier par la Commission des Communautés européennes un quota de livraison sur le marché commun pour le troisième trimestre de 1981. Ce quota, fixé sur la base d’une période de référence où l’entreprise agissait principalement comme sous-traitant, s’avérait manifestement inadapté à sa nouvelle situation commerciale.
L’entreprise a immédiatement informé la Commission du caractère inéquitable de ce quota par une lettre en date du 28 août 1981, à laquelle aucune réponse ne fut donnée. La Commission a par la suite modifié la réglementation générale afin de pouvoir ajuster les quotas dans de telles situations. Ce n’est toutefois que le 4 novembre 1981, soit après la fin du trimestre concerné, que la Commission a notifié à l’entreprise un nouveau quota de livraison, substantiellement relevé. Ayant malgré tout dépassé ce second quota, l’entreprise s’est vu infliger une amende. L’entreprise a alors saisi la Cour d’un recours en annulation de la décision lui infligeant l’amende et, subsidiairement, en réduction de son montant.
La question de droit soumise à la Cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si le dépassement d’un quota trimestriel de livraison pouvait être légalement compensé par une sous-consommation volontaire lors d’un trimestre ultérieur. D’autre part, il convenait d’apprécier l’influence du comportement de la Commission, et notamment son retard à rectifier une situation qu’elle reconnaissait elle-même comme inéquitable, sur la validité et le montant de la sanction. En réponse, la Cour de justice a rejeté la demande d’annulation de la décision, confirmant ainsi le principe de l’infraction, mais a procédé à une réduction très significative de l’amende, considérant que la Commission portait une part importante de responsabilité dans le dépassement constaté.
Si la Cour consacre une application stricte du régime des quotas en confirmant la matérialité de l’infraction (I), elle en tempère rigoureusement les conséquences en retenant une responsabilité partagée avec l’autorité de régulation (II).
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I. La confirmation du principe de l’infraction en dépit du comportement de la Commission
La Cour adopte une position rigoureuse quant à l’existence de l’infraction, en s’appuyant sur une interprétation stricte de la réglementation et des règles de procédure. Elle valide ainsi le raisonnement de la Commission sur le plan formel, en constatant d’abord le caractère incontestable du dépassement des quotas trimestriels (A), avant de rejeter les justifications procédurales avancées par l’entreprise (B).
A. Le caractère incontestable du dépassement des quotas trimestriels
Le système de gestion de la crise sidérurgique reposait sur une discipline de marché stricte, organisée selon un calendrier précis. La Cour rappelle que le respect des quotas de production et de livraison s’apprécie dans le cadre temporel pour lequel ils sont fixés, à savoir le trimestre. L’offre de l’entreprise de compenser le surplus de livraisons constaté au troisième trimestre 1981 par une réduction équivalente lors d’un trimestre futur est donc jugée inopérante pour effacer l’infraction initiale.
Le juge communautaire énonce clairement que la régularité des opérations doit être parfaite pour chaque période. La compensation entre trimestres introduirait une flexibilité que le système n’autorise pas, car elle nuirait à l’objectif de stabilisation du marché sur des périodes courtes. L’arrêt le formule sans ambiguïté : « une diminution des livraisons au cours d’un trimestre ulterieur n’est pas de nature a corriger l’irregularite anterieure, etant donne que la periode determinante pour l’application du regime de quotas est trimestrielle ». Le dépassement est donc matériellement constitué et l’infraction, sur ce point, avérée.
B. Le rejet des moyens de justification avancés par l’entreprise
L’entreprise requérante tentait de contester la base même du calcul de l’infraction en arguant de l’iniquité du premier quota et du caractère rétroactif du second. La Cour écarte ces arguments en appliquant une règle fondamentale du contentieux de la légalité. Les décisions fixant les quotas pour le troisième trimestre, qu’il s’agisse de la communication du 10 août 1981 ou de celle du 4 novembre 1981, constituaient des décisions individuelles créant des droits et des obligations.
Elles auraient dû, à ce titre, faire l’objet d’un recours en annulation dans les délais impartis par le traité. En l’absence d’un tel recours, ces actes sont devenus définitifs et ne peuvent plus être contestés par la voie d’une exception d’illégalité à l’occasion du recours contre la décision infligeant l’amende. Le raisonnement de la Cour est ici purement procédural mais imparable : « les deux premiers de ces moyens ne sauraient etre accueillis, car ils concernent les deux decisions individuelles qui n’ont pas ete attaquees devant la cour en temps utile ». L’infraction étant ainsi définitivement établie en droit, la Cour se penche alors sur la question de la sanction.
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II. La sanction de l’infraction atténuée par une responsabilité partagée
Après avoir confirmé la légalité de la constatation de l’infraction, la Cour examine les circonstances de l’espèce pour apprécier le montant de l’amende. C’est sur ce terrain qu’elle opère un revirement majeur par rapport à la position de la Commission. En exerçant son pouvoir de pleine juridiction, la Cour sanctionne le manque de diligence de l’autorité administrative en reconnaissant une faute de sa part (A), ce qui la conduit logiquement à une réduction substantielle de la pénalité (B).
A. La reconnaissance d’une faute de la Commission dans la gestion du dossier
La Cour ne se contente pas d’analyser le comportement de l’entreprise ; elle examine également avec soin celui de la Commission. Or, il ressort de l’arrêt que cette dernière a manqué à ses obligations de bonne administration. La Commission a admis elle-même que le premier quota était « inéquitable » et que sa correction était intervenue trop tardivement. Plus encore, l’entreprise l’avait alertée de ses « difficultés exceptionnelles » dès le mois d’août 1981.
La Cour estime que, face à une situation aussi singulière et à une iniquité manifeste, la Commission se devait de réagir avec diligence. Elle aurait dû informer l’entreprise des mesures qu’elle comptait prendre et lui fournir des indications sur la manière de gérer la période transitoire. Son silence puis sa réponse tardive ont placé l’entreprise dans une situation d’incertitude juridique qui a contribué au dépassement. La Cour conclut que « la commission aurait du indiquer, en temps utile, quelles etaient ses intentions en vue de remedier a cette situation inequitable et de quelle maniere l’entreprise pouvait faire face a ses difficultes sans risque de depasser le quota definitif ». Cette carence constitue une faute qui engage sa responsabilité dans la survenance du dommage, à savoir le dépassement.
B. L’exercice du pouvoir de pleine juridiction pour une réduction de l’amende
Tirant les conséquences de ce partage de responsabilité, la Cour use du pouvoir de pleine juridiction que lui confère l’article 36 du traité CECA en matière de sanctions. Ce pouvoir lui permet de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission et de réformer la décision non seulement en droit, mais aussi dans son montant. L’analyse des juges ne se limite pas à la simple vérification arithmétique du dépassement, mais intègre une appréciation globale des faits et des comportements respectifs.
La réduction de l’amende de 180 150 écus à 20 000 écus, soit une diminution de près de 90 %, est spectaculaire. Elle n’est pas un simple geste d’équité, mais la traduction juridique du fait que « la commission doit assumer une grande partie de la responsabilite du depassement constate ». Cette décision illustre la fonction régulatrice du juge communautaire, qui ne se positionne pas seulement comme un censeur de la légalité, mais aussi comme un gardien des principes de bonne administration et de confiance légitime. Elle rappelle ainsi aux institutions que leurs prérogatives s’accompagnent de devoirs de diligence et de clarté envers les administrés.