Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 14 juillet 1998. – Aher-Waggon GmbH contre Bundesrepublik Deutschland. – Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht – Allemagne. – Mesures d’effet équivalent – Directives sur les émissions sonores d’aéronefs – Limites nationales plus strictes – Entrave à l’importation d’un aéronef – Protection de l’environnement. – Affaire C-389/96.

Par un arrêt en date du 16 juillet 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut déroger à la libre circulation des marchandises pour des motifs de protection de l’environnement. En l’espèce, une société avait acquis au Danemark un aéronef à hélices immatriculé dans cet État depuis 1974. Souhaitant obtenir une immatriculation en Allemagne, la société s’est heurtée au refus de l’office fédéral de l’aviation. Cette administration a motivé sa décision par le fait que l’appareil, bien que conforme aux normes sonores minimales fixées par la directive 80/51/CEE, dépassait les seuils plus stricts imposés par la réglementation allemande pour toute nouvelle immatriculation.

Saisie du litige, la société a contesté la décision administrative devant les juridictions allemandes. Elle a fait valoir que le refus d’immatriculation constituait une mesure discriminatoire contraire au droit communautaire, dès lors que des aéronefs de même type, déjà immatriculés en Allemagne avant l’entrée en vigueur des normes nationales plus sévères, pouvaient continuer à voler sans restriction malgré un niveau sonore équivalent. Après l’échec de ses recours en première instance et en appel, l’affaire fut portée devant le Bundesverwaltungsgericht. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il était donc demandé à la Cour si l’article 30 du traité CE s’oppose à une réglementation nationale qui, tout en exemptant les aéronefs déjà immatriculés sur son territoire, subordonne toute nouvelle immatriculation d’un aéronef provenant d’un autre État membre au respect de normes acoustiques plus sévères que celles prévues par le droit communautaire dérivé.

À cette question, la Cour répond par la négative, considérant qu’une telle réglementation, bien que restrictive, peut être justifiée et proportionnée à l’objectif de protection de la santé publique et de l’environnement. La solution retenue par la Cour repose ainsi sur une justification classique de l’entrave à la libre circulation (I), tout en validant une dérogation d’apparence discriminatoire dont la portée doit être appréciée (II).

***

I. La justification de l’entrave à la libre circulation par la protection de l’environnement

La Cour de justice suit un raisonnement en deux temps pour admettre la compatibilité de la mesure nationale avec le droit communautaire. Elle reconnaît d’abord que la réglementation allemande constitue bien une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative (A), avant de la justifier par l’existence d’une exigence impérieuse de protection de l’environnement (B).

A. La reconnaissance d’une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative

La Cour constate sans difficulté que la réglementation en cause constitue une entrave au commerce intracommunautaire. En subordonnant l’immatriculation d’aéronefs importés à des conditions techniques plus strictes que celles de leur État membre d’origine, la législation allemande rend leur mise sur le marché national plus difficile, voire impossible. Une telle mesure relève donc de la qualification de mesure d’effet équivalent, conformément à la jurisprudence constante de la Cour depuis l’arrêt du 11 juillet 1974, qui définit celle-ci comme « toute mesure susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire ».

Le fait que la directive 80/51/CEE, qui vise à harmoniser les normes d’émissions sonores, ne prévoie que des exigences minimales n’exclut pas cette qualification. En effet, l’article 3 de la directive autorise expressément les États membres à adopter ou à maintenir des normes plus sévères. Cependant, la Cour rappelle que cette faculté doit être exercée dans le respect des règles du traité, et notamment de l’article 30. La mesure nationale, même prise dans le cadre d’une harmonisation minimale, doit donc être examinée au regard des principes de la libre circulation des marchandises. C’est pourquoi, après avoir caractérisé l’entrave, la Cour en examine la justification possible.

B. L’admission de la protection de la santé et de l’environnement comme exigence impérieuse

L’entrave aux échanges étant établie, la Cour examine si elle peut être justifiée. Elle écarte l’application de l’article 36 du traité, car la mesure est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés. Elle se tourne vers la théorie des exigences impérieuses d’intérêt général, développée depuis l’arrêt du 20 février 1979. Parmi ces exigences figurent la protection de la santé publique et la protection de l’environnement, que la Cour reconnaît comme des objectifs légitimes susceptibles de justifier des restrictions à la libre circulation.

Dans le cas d’espèce, le gouvernement allemand avait fait valoir que la densité de sa population rendait la lutte contre les nuisances sonores particulièrement importante. La Cour accepte cet argument, estimant que « la limitation des émissions sonores des avions est le moyen le plus efficace et le plus commode de lutter contre la pollution sonore qui découle de ces derniers ». La justification de principe étant admise, il restait à la Cour de vérifier si la mesure, et notamment la différence de traitement qu’elle instaure, était proportionnée à l’objectif poursuivi.

***

II. L’appréciation de la proportionnalité de la dérogation accordée aux aéronefs nationaux

L’aspect le plus délicat de l’affaire résidait dans l’apparente discrimination créée par la réglementation nationale. La Cour examine avec attention la proportionnalité de cette différence de traitement (A), ce qui conduit à retenir une solution pragmatique dont la portée doit être mesurée (B).

A. L’application du contrôle de proportionnalité à la différence de traitement

La requérante au principal soutenait que la mesure était disproportionnée car elle exemptait de ses exigences les aéronefs du même type déjà immatriculés en Allemagne. Cette clause de droits acquis créait une différence de traitement au détriment des aéronefs importés. La Cour ne nie pas cette différence, mais elle en évalue la justification au regard de l’objectif de réduction progressive des nuisances sonores. Elle observe que le nombre d’aéronefs nationaux non conformes est un parc fermé, dont les autorités connaissent l’effectif.

Dès lors, les autorités nationales ont pu « valablement considérer que le nombre d’avions ne remplissant pas les normes acoustiques plus sévères allait nécessairement diminuer et, partant, que le niveau global de pollution sonore ne pourrait que se réduire graduellement ». Permettre l’importation de nouveaux aéronefs bruyants, même provenant d’autres États membres, compromettrait cet objectif. La Cour conclut que « l’efficacité de cette politique d’élimination progressive du parc national des avions ne respectant pas les normes sonores plus sévères serait compromise si, dans une mesure que ne peuvent prévoir les autorités nationales, des avions en provenance d’autres États membres pouvaient en augmenter le nombre ». La mesure est donc jugée proportionnée.

B. La portée limitée d’une solution pragmatique

En validant une clause de droits acquis qui bénéficie uniquement au parc national existant, la Cour adopte une solution pragmatique mais qui doit être interprétée strictement. La portée de cet arrêt n’est pas d’autoriser toute forme de discrimination à rebours pour des motifs environnementaux. La solution est conditionnée par les circonstances très particulières de l’espèce : le caractère fini et connu du parc d’aéronefs exemptés, et la certitude de sa diminution progressive. De plus, la Cour relève que ces aéronefs nationaux ne bénéficient pas d’une immunité totale, puisqu’ils doivent se conformer aux normes plus strictes en cas de modification technique ou de remise en service.

Cet arrêt illustre ainsi la souplesse du contrôle de proportionnalité exercé par la Cour, qui accepte une distorsion temporaire de la concurrence pour permettre la réalisation d’un objectif d’intérêt général. Il ne s’agit pas d’un arrêt de principe consacrant une nouvelle exception à la libre circulation, mais plutôt d’une décision d’espèce où la balance des intérêts penche en faveur de la protection de l’environnement, face à une entrave jugée limitée et temporaire. La Cour montre qu’une politique environnementale nationale ambitieuse peut coexister avec les exigences du marché unique, à condition qu’elle soit cohérente, transparente et qu’elle ne crée pas de barrières arbitraires ou permanentes.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture