Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Hoge Raad des Pays-Bas, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à préciser la notion de « travail à façon » en matière de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une société réalisant la remise en état de livres scolaires usagés pour le compte de tiers s’était acquittée de la taxe au taux réduit applicable aux livraisons de livres. L’administration fiscale, estimant qu’il s’agissait d’une prestation de services soumise au taux normal, a procédé à un redressement fiscal. Saisie du litige, une juridiction inférieure a confirmé la position de l’administration en jugeant que les opérations, bien qu’importantes, ne menaient pas à la fabrication d’un bien nouveau et ne constituaient donc pas une livraison. La société s’est alors pourvue en cassation, soutenant que la transformation de livres usagés en livres propres à un nouvel usage s’analysait comme la fabrication d’un nouveau bien, et donc comme une livraison. Face à cette argumentation, la juridiction suprême néerlandaise a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous d), de la deuxième directive et de l’article 5, paragraphe 5, sous a), de la sixième directive. La question posée était de savoir si des opérations de réparation ou de rénovation d’un bien meuble doivent, pour être qualifiées de travail à façon, aboutir à la création d’un bien nouveau, et selon quels critères cette nouveauté devait être appréciée. La Cour de justice répond qu’« il n’y a travail à façon […] que si un entrepreneur obtient un bien nouveau à partir des matériaux que le client lui a confiés ». Elle ajoute que la nouveauté est établie lorsque le travail de l’entrepreneur donne naissance à un bien ayant une fonction différente, aux yeux du public, de celle des matériaux initialement fournis. La solution retenue par la Cour de justice établit ainsi une définition communautaire et restrictive de la notion de travail à façon (I), fondée sur un critère fonctionnel et objectif qui en clarifie la portée (II).
I. La définition communautaire et restrictive du travail à façon
La Cour de justice, en réponse à la question préjudicielle, établit d’abord le caractère autonome de la notion de travail à façon en droit communautaire (A), avant de la définir de manière restrictive par le critère essentiel de la création d’un bien nouveau (B).
A. L’autonomie de la notion en droit communautaire
La Cour de justice écarte d’emblée l’argument selon lequel la qualification de travail à façon relèverait de la compétence des ordres juridiques nationaux. Elle affirme avec force que « le conseil a entendu donner un sens communautaire a la notion de travail a facon », en se fondant sur la rédaction même des directives qui en proposent une définition. Cette approche garantit une application uniforme de la taxe sur la valeur ajoutée au sein du marché commun, objectif central des directives d’harmonisation fiscale. En définissant elle-même la notion, la Cour empêche que des opérations identiques soient qualifiées de livraison de biens dans un État membre et de prestation de services dans un autre, ce qui créerait des distorsions de concurrence. Le raisonnement de la Cour confirme que les concepts clés du système commun de TVA doivent recevoir une interprétation uniforme pour assurer la neutralité et la cohérence de l’impôt.
B. Le critère déterminant de la création d’un bien nouveau
Pour définir le travail à façon, la Cour se réfère au sens usuel des termes employés par les directives. Elle constate que le verbe « fabriquer » ne peut être interprété qu’en se référant au langage courant, selon lequel « la fabrication implique l’idée de la création d’un bien qui n’existait pas encore ». Cette interprétation téléologique et littérale permet de distinguer clairement la fabrication de la simple réparation. La Cour en déduit qu’une opération ne peut être qualifiée de travail à façon, et donc de livraison de biens, que si elle aboutit à l’émergence d’un objet substantiellement différent de celui qui a été confié à l’entrepreneur. Ainsi, la remise en état, même profonde, d’un bien existant ne saurait suffire. Cette exigence de nouveauté constitue le pivot de la distinction et conditionne l’application du régime fiscal.
Après avoir posé le principe de la création d’un bien nouveau comme condition sine qua non du travail à façon, la Cour de justice en précise les contours, ce qui permet de mesurer la valeur et la portée de sa décision.
II. La portée du critère fonctionnel et objectif du bien nouveau
La Cour ne se contente pas d’exiger la création d’un bien nouveau ; elle fournit également le mode d’emploi pour identifier cette nouveauté à travers une approche fonctionnelle (A), ce qui a pour effet de clarifier durablement la frontière entre livraison de biens et prestation de services (B).
A. L’appréciation de la nouveauté par l’analyse fonctionnelle
Afin de rendre le critère du bien nouveau opérant, la Cour établit une méthode d’appréciation. Elle précise que la nouveauté « sera presente lorsque, du travail de L ‘ entrepreneur , resultera un bien dont la fonction , aux yeux du public qui L ‘ utilise , est differente de celles qu ‘ avaient les materiaux confies ». Ce critère est double : il est à la fois fonctionnel et objectif. Il est fonctionnel car il s’attache à l’usage du bien plutôt qu’à sa matérialité ou à la valeur ajoutée par l’entrepreneur. Il est objectif car cette fonction doit être appréciée « aux yeux du public », et non selon la perception subjective des parties au contrat. Dans le cas d’espèce, un livre réparé, même de manière extensive, conserve sa fonction de livre ; il ne devient pas un bien nouveau. Cette méthode d’analyse confère aux juges nationaux un outil clair pour trancher les cas limites.
B. La clarification de la distinction entre livraison de biens et prestation de services
En définitive, la portée de cet arrêt réside dans la ligne de partage nette qu’il établit. La Cour conclut logiquement que « les remises en etat et les reparations qui , quelle que soit leur importance , rendent simplement au bien confie la fonction qu ‘ il avait anterieurement sans aboutir a la creation D ‘ un bien nouveau ne constituent pas un travail a facon ». Cette solution met fin aux incertitudes et prévient les contentieux fiscaux en la matière. Toutes les opérations qui visent à restaurer, maintenir ou améliorer un bien existant sans en altérer la fonction première relèvent de la catégorie des prestations de services. Seules les opérations qui aboutissent à un produit fonctionnellement nouveau, à partir d’éléments fournis par un client, peuvent être assimilées à une livraison de biens. La Cour harmonise ainsi de manière pragmatique un aspect technique mais essentiel de l’assiette de la taxe sur la valeur ajoutée.