Un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu par sa cinquième chambre, a fourni des éclaircissements substantiels sur les conditions dans lesquelles un importateur peut être exempté du recouvrement a posteriori de droits de douane. En l’espèce, une société importatrice portugaise avait importé des téléviseurs en provenance de Turquie, en bénéficiant d’un régime tarifaire préférentiel sur la base de certificats de circulation des marchandises A.TR.1 délivrés par les autorités turques. Plusieurs années après le dédouanement, les autorités douanières nationales ont réclamé le paiement des droits de douane, au motif que les marchandises n’étaient pas éligibles au traitement préférentiel en raison de l’absence de perception d’un prélèvement compensateur en Turquie sur des composants originaires de pays tiers. L’importateur a contesté cette rectification devant la juridiction nationale compétente. Celle-ci, confrontée à des questions d’interprétation du droit communautaire, a saisi la Cour de justice à titre préjudiciel. Le problème de droit central portait sur la possibilité pour les autorités douanières de ne pas procéder au recouvrement a posteriori des droits lorsque leur non-perception initiale résultait d’une erreur commise par les autorités de l’État d’exportation, et que cette erreur ne pouvait être raisonnablement décelée par l’opérateur économique de bonne foi. Il s’agissait de déterminer si une pratique erronée, systématique et prolongée des autorités d’un pays tiers partenaire pouvait constituer une « erreur des autorités compétentes » au sens de la réglementation communautaire, justifiant la protection de la confiance légitime de l’importateur. La Cour a répondu par l’affirmative, en considérant que l’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 devait être interprété de manière à protéger l’opérateur dans de telles circonstances. Elle a jugé que la notion d’« autorités compétentes » englobe les autorités de l’État d’exportation qui délivrent les certificats. De plus, elle a estimé que la délivrance systématique de certificats invalides, alors que ces autorités connaissaient la non-conformité de la situation au regard de l’accord d’association, constituait bien une erreur qui leur était imputable. Enfin, cette erreur ne pouvait raisonnablement être décelée par l’importateur, notamment en raison de la non-publication de certaines dispositions pertinentes et de la durée de la pratique incorrecte.
L’analyse de la Cour se fonde sur une interprétation extensive des conditions permettant de déroger au principe du recouvrement a posteriori, ce qui renforce la protection de la confiance légitime de l’opérateur (I). Néanmoins, cette solution n’altère pas les principes fondamentaux du droit douanier quant à la détermination du débiteur de la dette et à l’autonomie des procédures de recouvrement (II).
I. Une consécration de la protection de la confiance légitime de l’opérateur
L’arrêt commenté se distingue par la souplesse avec laquelle il apprécie les conditions de non-recouvrement, en se concentrant sur le comportement des autorités (A) et sur la situation de l’opérateur économique (B).
A. L’élargissement de la notion d’« erreur des autorités compétentes »
La première condition posée par l’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 est que les droits n’aient pas été perçus « par suite d’une erreur des autorités compétentes elles-mêmes ». La Cour adopte une approche large en affirmant que, « pour apprécier s’il y a «erreur des autorités compétentes elles-mêmes», il convient de tenir compte tant du comportement des autorités douanières qui ont délivré le titre justificatif permettant l’application d’un régime préférentiel que de celui des autorités douanières centrales ». Cette position inclut explicitement les autorités de l’État tiers exportateur dans le champ des entités dont l’erreur peut bénéficier au redevable. L’erreur ne se limite donc pas à une simple action positive erronée, mais peut résulter d’une pratique administrative généralisée. En effet, la Cour considère que constitue un élément déterminant « la délivrance systématique, par les autorités du pays exportateur, de titres justifiant l’application d’un régime préférentiel », alors même que ces autorités ne pouvaient ignorer l’incompatibilité de cette pratique avec les obligations découlant de l’accord d’association. Par cette analyse, la Cour ne se contente pas d’examiner la validité formelle d’un certificat, mais prend en compte le contexte dans lequel il a été émis, imputant ainsi la responsabilité de l’erreur à un manquement actif et conscient des autorités de l’État partenaire.
B. L’appréciation concrète du caractère indécelable de l’erreur
La deuxième condition exige que l’erreur commise « ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable ». L’appréciation de ce caractère indécelable est effectuée par la Cour au regard de plusieurs facteurs concrets, ce qui témoigne d’une volonté de protéger l’opérateur qui ne dispose pas de tous les moyens de vérification. La Cour relève que « constituent des éléments permettant de considérer qu’une telle erreur ne pouvait être raisonnablement décelée par le redevable le fait qu’une partie des dispositions applicables du régime d’association n’ont pas été publiées au Journal officiel des Communautés européennes et la circonstance que lesdites dispositions n’ont pas été mises en oeuvre, ou l’ont été incorrectement, dans le pays d’exportation pendant une période de plus de vingt ans ». L’absence de publication d’actes juridiques est un argument puissant, car un opérateur ne saurait être tenu de connaître des règles qui ne sont pas portées à sa connaissance par les voies officielles. De surcroît, la persistance de l’erreur sur une très longue durée crée une apparence de légalité qui fonde la confiance légitime de l’opérateur. Un professionnel, même diligent et expérimenté, peut raisonnablement se fier à une pratique administrative constante et ancienne, validée par la délivrance de documents officiels par les autorités d’un État partenaire, sans avoir à suspecter une irrégularité systémique.
II. La portée maîtrisée de la solution au regard des principes du droit douanier
Si la Cour fait prévaloir la protection de l’opérateur de bonne foi, elle veille cependant à ne pas remettre en cause les structures fondamentales du droit douanier, en réaffirmant la distinction entre le débiteur de la dette et la responsabilité étatique (A) ainsi que l’autonomie des procédures de recouvrement (B).
A. Le maintien de la figure du déclarant comme débiteur de la dette
La Cour, en réponse à la question de savoir si l’État exportateur pouvait être tenu pour responsable du paiement, écarte clairement cette possibilité dans le cadre de la procédure de recouvrement. Elle rappelle que le débiteur de la dette douanière est déterminé par la réglementation communautaire, à savoir le déclarant ou la personne pour le compte de laquelle la déclaration est faite. Ainsi, « le comportement des autorités du pays d’exportation est sans incidence sur la détermination du débiteur de la dette douanière et sur la possibilité pour les autorités du pays d’importation de procéder au recouvrement a posteriori de celle-ci ». Cette clarification a une valeur de principe : la faute d’une autorité tierce ne modifie pas la relation juridique entre l’opérateur importateur et les autorités douanières de l’Union. La protection de l’opérateur ne passe donc pas par un transfert de la dette, mais par le mécanisme dérogatoire du non-recouvrement. L’éventuelle action en responsabilité que pourrait engager l’importateur contre l’État tiers relève d’une procédure distincte et n’interfère pas avec la naissance et l’exigibilité de la dette douanière au sein de l’Union.
B. L’inefficacité des procédures de règlement des différends de l’accord d’association
Enfin, la Cour examine la validité de la procédure de recouvrement au regard des mécanismes de règlement des différends prévus par l’accord d’association. Elle conclut que « les articles 22 et 25 de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie n’imposent pas aux autorités douanières nationales d’un État membre […] de recourir à la procédure qu’ils prévoient préalablement à un recouvrement a posteriori des droits à l’importation ». La saisine du conseil d’association, prévue par l’accord, constitue une simple faculté et non une obligation. Cette solution confirme l’autonomie de la sphère administrative de l’Union pour l’application de son droit douanier. Les procédures de recouvrement, qui sont une prérogative des autorités nationales agissant en application du droit de l’Union, ne sont pas subordonnées à l’engagement préalable de mécanismes de nature politique ou diplomatique prévus dans un accord international. La Cour préserve ainsi l’efficacité et l’immédiateté des règles douanières, tout en offrant, sur le fond, une voie de droit à l’opérateur pour faire valoir sa confiance légitime.