Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 16 décembre 1993. – Marie-Hélène Leguaye-Neelsen contre Bundesversicherungsanstalt für Angestellte. – Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Reutlingen – Allemagne. – Sécurité sociale – Fonctionnaire – Remboursement de cotisations. – Affaire C-28/92.

Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit communautaire d’une législation nationale limitant le remboursement de cotisations de sécurité sociale. En l’espèce, une ressortissante d’un État membre avait exercé une activité salariée dans un autre État membre, où elle avait cotisé à un régime d’assurance pension obligatoire. Devenue par la suite fonctionnaire dans son État d’origine, elle a sollicité le remboursement des cotisations versées antérieurement. L’organisme de sécurité sociale compétent a rejeté sa demande en se fondant sur la législation nationale, qui réservait ce droit aux travailleurs devenant fonctionnaires dans ce même État, au motif que seuls ces derniers perdaient le droit à une affiliation volontaire. La juridiction nationale saisie du litige a alors interrogé la Cour de justice sur la conformité de cette législation avec les dispositions du règlement n° 1408/71 relatives à l’égalité de traitement et à la coordination des régimes de sécurité sociale. Il s’agissait de déterminer si le principe de non-discrimination s’opposait à ce qu’une législation nationale module le droit au remboursement de cotisations selon que l’assuré intègre la fonction publique nationale ou celle d’un autre État membre. La Cour a jugé que les dispositions du droit communautaire ne faisaient pas obstacle à une telle législation, car les situations visées n’étaient pas objectivement comparables. Cette solution, fondée sur une analyse rigoureuse de la notion de discrimination (I), réaffirme la distinction fondamentale entre la coordination des systèmes de sécurité sociale et leur harmonisation (II).

I. La justification de la différence de traitement par l’absence de situation comparable

La Cour de justice valide la législation nationale en écartant l’application du principe de non-discrimination. Pour ce faire, elle s’attache d’abord à confirmer que le litige entre bien dans le champ d’application matériel du règlement de coordination (A), avant de démontrer que la différence de traitement observée repose sur une différence objective de situation (B).

A. Le champ d’application matériel du règlement de coordination

Le gouvernement de l’État membre concerné soutenait que le droit au remboursement constituait un élément du régime spécial de prévoyance des fonctionnaires, lequel est exclu du champ d’application du règlement n° 1408/71 par son article 4, paragraphe 4. La Cour écarte cet argument en relevant que la condition déterminante pour le remboursement n’est pas la qualité de fonctionnaire en soi. Le droit au remboursement est en réalité « la contrepartie de l’absence du droit à l’assurance volontaire continuée », un mécanisme qui ne concerne pas uniquement les fonctionnaires, mais également d’autres catégories de personnes cessant leur affiliation obligatoire sans avoir accumulé suffisamment de droits à pension. Le litige ne porte donc pas sur les spécificités du régime des fonctionnaires, mais sur les conséquences de la sortie du régime général d’assurance, ce qui justifie l’application du règlement de coordination.

B. L’appréciation de la discrimination au regard de la comparabilité des situations

Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur l’article 3 du règlement, qui consacre le principe d’égalité de traitement. La Cour examine si la situation d’un travailleur devenant fonctionnaire dans l’État où il a cotisé est comparable à celle d’un travailleur accédant à la fonction publique d’un autre État membre. Elle conclut par la négative. Le travailleur qui intègre la fonction publique nationale perd ses droits à une affiliation volontaire au régime général et, de ce fait, toute perspective de pension future au titre des cotisations versées pour une courte période. Le remboursement constitue alors une compensation pour cette perte. En revanche, le travailleur qui part exercer dans la fonction publique d’un autre État membre conserve, en vertu de la législation nationale en cause, le droit de continuer à cotiser volontairement. La Cour estime donc que « la situation de ces travailleurs n’est pas comparable à celle des travailleurs qui, dans les mêmes circonstances, entrent dans l’administration publique d’un autre État membre ». Faute de situations comparables, le principe de non-discrimination ne trouve pas à s’appliquer et la différence de traitement est jugée admissible.

En validant ce raisonnement, la Cour de justice apporte des clarifications importantes sur la portée du principe d’égalité de traitement et l’autonomie laissée aux États membres dans l’organisation de leur système de protection sociale.

II. La portée de la décision quant à l’articulation entre coordination et autonomie des systèmes nationaux

L’arrêt commenté s’inscrit dans une jurisprudence constante qui interprète de manière stricte le principe d’égalité de traitement (A) et réaffirme que les règlements de coordination n’ont pas pour objet d’harmoniser les régimes nationaux de sécurité sociale (B).

A. La confirmation d’une interprétation stricte du principe d’égalité de traitement

La décision illustre que toute différence de traitement n’est pas nécessairement une discrimination. Pour qu’il y ait discrimination, il faut que des situations comparables soient traitées différemment sans justification objective. Or, en l’espèce, la Cour met en évidence une différence objective et déterminante : la conservation ou la perte de droits futurs. Accorder le remboursement à la requérante l’aurait placée dans une situation plus favorable que celle du travailleur national, puisqu’elle aurait pu cumuler le remboursement de ses cotisations et la conservation de son droit à une affiliation volontaire. La Cour refuse ainsi de sanctionner une législation dont l’objectif est d’éviter un traitement inégal. Elle souligne par ailleurs que si le législateur national a entendu prévenir des situations de double assurance sur son territoire, « le législateur allemand n’est pas tenu de prendre en considération des situations de double assurance qui sont la conséquence de l’application simultanée de son propre système de sécurité sociale et d’un régime spécial de sécurité sociale existant dans un autre État membre ».

B. La réaffirmation de l’absence d’harmonisation des régimes de sécurité sociale

Cette affaire rappelle la distinction fondamentale entre coordination et harmonisation. Le règlement n° 1408/71 vise à coordonner les systèmes nationaux pour garantir que l’exercice du droit à la libre circulation ne pénalise pas les travailleurs migrants, notamment en leur faisant perdre des droits acquis. Il n’impose cependant pas aux États membres de modifier la substance de leurs régimes. Ces derniers restent libres de définir les conditions d’affiliation, les prestations et leurs modalités, y compris le remboursement de cotisations. La solution retenue par la Cour est une application directe de ce principe. Le droit de l’Union assure à la travailleuse la possibilité de conserver ses droits en Allemagne par une affiliation volontaire, conformément aux objectifs de coordination. Il n’impose pas, en revanche, de créer un droit au remboursement là où la législation nationale ne le prévoit pas pour la situation spécifique dans laquelle elle se trouve. La décision confirme ainsi que l’autonomie des États membres demeure la règle, la coordination n’intervenant que pour en aménager les effets dans un contexte transfrontalier.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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