Par un arrêt en date du 25 novembre 1999, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conséquences du non-respect par un État membre du délai de transposition d’une directive relative à la protection des jeunes au travail. En l’espèce, une directive communautaire imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nécessaires pour s’y conformer avant le 22 juin 1996. Constatant l’absence de communication de mesures de transposition de la part d’un État membre à l’expiration de ce délai, la Commission des Communautés européennes a engagé une procédure précontentieuse.
Après une lettre de mise en demeure restée sans effet concret, suivie d’un avis motivé, la Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice. La partie requérante soutenait que l’État défendeur avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et de la directive. L’État membre ne contestait pas le retard dans la transposition, mais justifiait ce délai par la complexité des travaux préparatoires ayant nécessité la mise en place d’un groupe interministériel. Il demandait en conséquence à la Cour de suspendre la procédure ou de rejeter la requête. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un État membre pouvait justifier un manquement à son obligation de transposition en invoquant des difficultés liées à son ordre juridique interne.
La Cour de justice a répondu par la négative, considérant que le simple constat objectif du non-respect du délai suffisait à caractériser le manquement. La solution retenue, tout en étant classique, réaffirme avec force les exigences inhérentes à l’ordre juridique communautaire (I), et illustre la portée spécifique du recours en manquement (II).
I. La caractérisation classique du manquement d’État
La Cour rappelle la rigueur avec laquelle elle apprécie les obligations pesant sur les États membres, en retenant une conception objective du manquement (A) qui rend inopérants les arguments tirés de l’ordre juridique interne (B).
A. La constatation objective du manquement
La Cour de justice fonde sa décision sur un raisonnement d’une grande sobriété, se limitant à constater l’expiration du délai imparti pour la transposition. Elle relève que « la transposition de la directive n’a pas été réalisée dans le délai imparti ». Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle le manquement est constitué indépendamment de la cause du retard, de la volonté de l’État ou des difficultés rencontrées. Le seul fait matériel de l’absence de mise en œuvre des dispositions nationales nécessaires à la date butoir fixée par la directive suffit à engager la responsabilité de l’État.
Le dialogue précontentieux entre la Commission et l’État membre, ainsi que les éventuels délais supplémentaires accordés par la Commission, n’ont pas pour effet de modifier le délai de transposition initial. Ces étapes visent à permettre à l’État de régulariser sa situation, mais ne sauraient le délier de son obligation première. En se prononçant de la sorte, la Cour réaffirme que les délais fixés par les actes de droit dérivé sont impératifs et contribuent à la sécurité juridique ainsi qu’à l’application uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union.
B. Le rejet des justifications tirées de l’ordre interne
Face au manquement constaté, l’État défendeur avançait la complexité de la procédure législative interne, l’envergure des travaux et la nécessité de consultations interministérielles. La Cour de justice écarte fermement ces arguments, sans même les discuter en détail. En effet, selon une jurisprudence établie de longue date, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire.
Cette solution est une manifestation fondamentale du principe de primauté du droit de l’Union. Permettre à un État de se prévaloir de ses propres contraintes institutionnelles ou administratives reviendrait à subordonner l’application du droit communautaire au bon vouloir des administrations nationales. Une telle situation porterait atteinte à l’homogénéité et à l’effectivité de l’ordre juridique communautaire. La Cour rappelle ainsi que chaque État membre est tenu d’adapter son droit et ses procédures internes pour garantir la pleine exécution des obligations qui découlent de son appartenance à l’Union.
Cette condamnation, fondée sur des principes bien établis, s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à garantir l’effectivité du droit communautaire. Elle met en lumière la nature et la fonction du contentieux en manquement.
II. La portée de l’arrêt en manquement
L’arrêt commenté, par sa nature déclaratoire, constitue un rappel pédagogique de la force obligatoire du droit communautaire (A) et s’inscrit dans un mécanisme contentieux dont la finalité est d’assurer l’exécution effective des obligations des États (B).
A. Une décision à la valeur pédagogique
La décision ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans le fil d’une solution solidement ancrée. Sa valeur n’est donc pas tant dans l’innovation que dans la réaffirmation claire et sans équivoque des obligations fondamentales des États membres. Cet arrêt illustre le rôle de la Cour en tant que gardienne de la légalité communautaire, rappelant que l’engagement des États dans le projet européen implique des contraintes concrètes et non négociables, telle que la transposition des directives en temps utile.
Le raisonnement de la Cour, en se refusant à toute suspension de la procédure, souligne l’urgence qu’il y a à mettre fin au manquement. La protection des jeunes au travail, objet de la directive en cause, ne peut être retardée par des considérations procédurales nationales. La Cour envoie ainsi un signal fort : les droits que les directives entendent conférer aux particuliers doivent devenir une réalité juridique dans tous les États membres de manière simultanée, afin d’éviter des distorsions de concurrence ou des inégalités de traitement.
B. La nature déclaratoire du contentieux en manquement
L’arrêt se borne à déclarer que l’État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent ». Le recours en manquement, dans le cadre de l’article 226 du Traité CE (devenu article 258 TFUE), n’a en effet qu’une portée déclaratoire. La Cour ne peut ni annuler une mesure nationale contraire, ni enjoindre à l’État de prendre des mesures spécifiques. Elle se contente de constater officiellement la violation du droit de l’Union.
Cependant, la portée de cet arrêt n’est pas purement symbolique. En vertu de l’article 228 du Traité CE (devenu article 260 TFUE), l’État membre dont le manquement a été constaté est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. S’il ne se conforme pas à l’arrêt, la Commission peut saisir à nouveau la Cour en vue de lui infliger des sanctions pécuniaires, sous la forme d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte. L’arrêt en manquement constitue donc la première étape d’un processus coercitif qui garantit, en dernier ressort, la soumission des États au droit de l’Union.