Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 16 septembre 1999. – Farmitalia Carlo Erba Srl. – Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof – Allemagne. – Spécialités pharmaceutiques – Certificat complémentaire de protection. – Affaire C-392/97.

Par un arrêt du 16 septembre 1999, la Cour de justice des Communautés européennes a apporté des précisions essentielles sur l’étendue de la protection conférée par le certificat complémentaire de protection pour les médicaments. En l’espèce, une juridiction nationale, le Bundesgerichtshof, a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle visant à interpréter le règlement n° 1768/92. Cette interrogation s’inscrivait dans le cadre d’un litige relatif à la portée de la protection d’un médicament pour lequel un certificat complémentaire avait été délivré sur le fondement d’un brevet de base et d’une autorisation de mise sur le marché.

La procédure nationale opposait le titulaire du certificat à une autre entité concernant la commercialisation d’une forme du médicament qui, bien que couverte par le brevet de base, n’était pas celle spécifiquement mentionnée dans l’autorisation de mise sur le marché ayant permis l’obtention dudit certificat. Les juges du fond allemands se sont donc interrogés sur l’articulation entre le brevet initial et l’autorisation de mise sur le marché pour délimiter le monopole conféré par le certificat complémentaire.

La question de droit soumise à la Cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la protection du certificat complémentaire est limitée à la forme pharmaceutique du produit telle qu’autorisée par la mise sur le marché, ou si elle s’étend à toutes les formes protégées par le brevet de base. D’autre part, la Cour était invitée à préciser en vertu de quelles règles, nationales ou communautaires, il convient d’apprécier si un produit est « protégé par un brevet de base en vigueur » au sens de l’article 3, sous a), du règlement.

À cette double interrogation, la Cour de justice répond de manière claire. Elle juge que le certificat couvre le produit sous toutes les formes relevant de la protection du brevet de base, et non uniquement celle visée par l’autorisation de mise sur le marché. Par ailleurs, elle établit que la question de savoir si un produit est protégé par un brevet de base doit être tranchée en se référant aux règles nationales qui régissent ce brevet, faute d’harmonisation communautaire en la matière.

Il convient ainsi d’analyser la solution de la Cour, qui consacre une conception large de la protection offerte par le certificat (I), tout en rappelant la compétence résiduelle du droit national pour l’appréciation des conditions initiales de cette protection (II).

I. L’extension de la protection conférée par le certificat complémentaire de protection

La Cour de justice opte pour une interprétation extensive du champ d’application du certificat, en refusant une lecture restrictive de ses effets (A) et en faisant prévaloir la finalité économique et sanitaire du règlement (B).

A. Le rejet d’une interprétation littérale de la condition d’autorisation de mise sur le marché

Une lecture stricte des dispositions du règlement n° 1768/92 aurait pu conduire à limiter la protection du certificat à la seule présentation pharmaceutique ayant fait l’objet de l’autorisation de mise sur le marché. Cette dernière constitue en effet une condition indispensable à l’obtention du certificat. Une telle approche aurait toutefois créé une dissociation entre l’étendue du brevet de base, qui peut couvrir plusieurs variantes ou formes d’une substance active, et celle du certificat, qui n’en aurait protégé qu’une seule.

La Cour écarte explicitement ce raisonnement restrictif. Elle considère que lier le monopole du certificat à la seule forme galénique visée dans l’autorisation de mise sur le marché serait contraire à l’esprit du texte. Le certificat n’est pas un nouveau titre de propriété industrielle autonome, mais une extension de la protection conférée par le brevet. Il vise à compenser la durée de protection effective perdue du fait des délais nécessaires à l’obtention de l’autorisation administrative de commercialisation, et non à créer un droit fragmenté et limité.

B. La primauté de l’objectif d’encouragement de la recherche pharmaceutique

Le raisonnement de la Cour est avant tout téléologique, fondé sur la finalité du règlement. Elle souligne qu’une « interprétation différente ne permettrait pas d’atteindre l’objectif fondamental du règlement consistant à garantir une protection suffisante pour encourager la recherche dans le domaine pharmaceutique ». En effet, limiter le certificat à une seule forme du produit aurait considérablement affaibli l’incitation à investir dans le développement de nouvelles formulations ou applications d’une même substance active, qui sont pourtant essentielles à l’amélioration thérapeutique.

En affirmant que « le certificat complémentaire de protection est susceptible de couvrir le produit, en tant que médicament, sous toutes les formes relevant de la protection du brevet de base », la Cour garantit au titulaire une protection robuste et cohérente. Cette solution assure la rentabilité des investissements en recherche et développement, favorisant ainsi l’innovation et contribuant, selon les propres termes de l’arrêt, « à l’amélioration continue de la santé publique ». La portée du certificat est donc logiquement alignée sur celle du brevet qu’il prolonge.

II. Le renvoi au droit national pour l’appréciation de la protection par le brevet

Après avoir défini l’étendue de la protection, la Cour précise la méthode pour en vérifier la condition première, à savoir l’existence d’une protection par un brevet de base. Elle constate pour cela l’absence d’harmonisation du droit des brevets (A), ce qui la conduit logiquement à consacrer la compétence des règles nationales en la matière (B).

A. Le constat de l’absence d’harmonisation du droit substantiel des brevets

La Cour fonde la seconde partie de sa décision sur un constat pragmatique. Elle rappelle qu’« en l’état actuel du droit communautaire, les dispositions relatives aux brevets n’ont pas encore fait l’objet d’une harmonisation dans le cadre de la Communauté ou d’un rapprochement des législations ». Bien que le règlement n° 1768/92 ait créé un titre uniforme dans ses effets, le certificat complémentaire de protection, il se greffe sur des droits nationaux, les brevets, dont les conditions de validité et l’étendue de la protection ne sont pas unifiées au niveau communautaire.

Cette situation, qui prévalait à l’époque de l’arrêt, empêche la Cour de justice de dégager une définition autonome et communautaire de la notion de « produit protégé par un brevet de base ». Tenter de le faire aurait empiété sur la compétence des États membres et créé des incohérences avec les systèmes nationaux de propriété industrielle. La Cour reconnaît ainsi les limites de l’intégration européenne dans ce domaine technique et respecte la répartition des compétences existante.

B. La compétence déterminante des règles nationales pour définir l’étendue du brevet

La conséquence directe de ce constat est la solution énoncée par la Cour. Pour vérifier la condition posée à l’article 3, sous a), du règlement, il est nécessaire de se tourner vers le droit applicable au brevet lui-même. La Cour juge ainsi que pour déterminer « si un produit est protégé par un tel brevet, il y a lieu de se référer aux règles non communautaires qui régissent ce dernier ». Cette solution de renvoi est une application classique du principe de subsidiarité en l’absence de législation communautaire exhaustive.

Ce faisant, l’appréciation de l’étendue de la protection conférée par un brevet de base, étape préalable à l’octroi d’un certificat, relève de la compétence des juridictions et des offices nationaux, appliquant leur propre droit. Le règlement communautaire fournit le cadre et les effets de la protection complémentaire, mais le périmètre initial du monopole reste défini par le droit national des brevets. L’arrêt établit ainsi une articulation claire entre deux ordres juridiques, le droit communautaire intervenant pour prolonger une protection dont les contours sont d’abord dessinés par le droit national.

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Hassan KOHEN
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