Par un arrêt du 11 mai 1999, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la notion d’acte authentique au sens de l’article 50 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. En l’espèce, un établissement de crédit danois était créancier d’un débiteur en vertu de trois titres de créance de droit privé. Ces documents, signés par le débiteur, stipulaient expressément qu’ils pouvaient servir de base à une exécution forcée, conformément à la législation danoise. Le débiteur ayant déménagé du Danemark vers l’Allemagne, le créancier a cherché à obtenir l’exécution de ces titres sur le territoire allemand en application de la procédure simplifiée prévue par la convention.
La juridiction allemande de première instance a initialement autorisé l’exécution. Saisie d’un recours du débiteur, la juridiction d’appel a infirmé cette décision. Le créancier a alors formé un pourvoi devant le Bundesgerichtshof, la plus haute juridiction fédérale allemande. Cette dernière, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si un titre de créance, bien qu’exécutoire dans son État d’origine, mais établi sans l’intervention d’une autorité publique, pouvait être qualifié d’acte authentique au sens de l’article 50 de la convention.
La Cour a répondu par la négative, jugeant qu’un tel titre ne constitue pas un acte authentique au sens de la disposition précitée. Pour la Cour, le bénéfice de la procédure d’exécution simplifiée est conditionné au fait que l’authenticité de l’acte a été formellement établie par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à cet effet par l’État d’origine. Cette solution consacre une conception stricte de l’acte authentique, fondée sur la nécessité de garantir la confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États contractants.
La Cour fonde sa décision sur une interprétation rigoureuse de la notion d’acte authentique, conditionnant son statut à l’intervention d’une autorité étatique (I). Cette exigence, qui vise à préserver la sécurité juridique au sein de l’espace judiciaire européen, délimite clairement le champ d’application du mécanisme d’exécution simplifié (II).
I. L’exigence d’une intervention publique pour la qualification d’acte authentique
La Cour de justice subordonne la qualification d’acte authentique à une condition formelle tenant à l’origine de l’acte. Elle justifie cette condition par la finalité même de l’article 50 de la convention (A), une interprétation qu’elle conforte par une analyse comparative avec des textes connexes (B).
A. Une condition inhérente à la finalité de l’article 50
L’article 50 de la convention de Bruxelles offre une procédure d’exequatur simplifiée pour les actes authentiques, les assimilant en pratique aux décisions de justice. Cette facilité de circulation repose sur une confiance élevée accordée à de tels actes. La Cour en déduit que le caractère authentique doit être d’une fiabilité incontestable, afin que la juridiction de l’État requis n’ait pas à procéder à des vérifications qui annuleraient le bénéfice de la procédure rapide.
La Cour énonce ainsi que « le caractère authentique de ces actes doit être établi de manière incontestable de façon telle que la juridiction de l’État requis est en mesure de s’en remettre à l’authenticité de ceux-ci ». Un acte simplement conclu entre des particuliers, même s’il est reconnu comme exécutoire par le droit de l’État d’origine, ne présente pas par lui-même une telle garantie. L’intervention d’un tiers, investi d’une autorité publique par l’État d’origine, est donc indispensable pour conférer à l’acte cette qualité supérieure qui justifie sa reconnaissance facilitée. Cette intervention constitue le sceau de confiance que l’État d’origine appose sur le document.
B. La confirmation par une approche comparative et téléologique
Pour asseoir son raisonnement, la Cour se réfère au rapport Jenard-Möller relatif à la convention de Lugano, dont l’article 50 est rédigé en des termes quasi identiques. Ce rapport explicite les conditions nécessaires pour qu’un acte soit considéré comme authentique au sens de la convention. Il y est clairement indiqué que « l’authenticité de l’acte doit avoir été établie par une autorité publique ».
Bien que ce rapport commente la convention de Lugano, la Cour estime cette interprétation transposable à la convention de Bruxelles, soulignant la volonté des États contractants d’aligner les deux textes pour assurer une application uniforme des règles de reconnaissance et d’exécution. En adoptant cette approche, la Cour ne se contente pas d’une analyse littérale du terme « authentique » mais en recherche le sens à la lumière des objectifs du système conventionnel. La solution retenue assure ainsi une cohérence d’ensemble entre les instruments régissant l’espace judiciaire européen, en consacrant une définition unique et exigeante de l’acte authentique.
II. La portée de la définition au service de la confiance mutuelle
En définissant strictement l’acte authentique, la Cour opère un arbitrage clair entre la rapidité des échanges et la sécurité juridique (A), ce qui a pour effet de délimiter précisément le périmètre de la procédure d’exécution simplifiée (B).
A. La primauté de la sécurité juridique sur la célérité des échanges
La décision de la Cour aurait pu, dans une autre perspective, privilégier une conception plus souple, favorisant la circulation de tous les titres considérés comme exécutoires dans leur État d’origine. Une telle approche aurait sans doute facilité les recouvrements de créances transfrontaliers pour les opérateurs économiques. Cependant, la Cour a fait prévaloir l’impératif de sécurité juridique, qui constitue le fondement de la confiance mutuelle entre les autorités judiciaires des États membres.
Admettre qu’un acte sous seing privé puisse bénéficier du même régime qu’une décision de justice ou qu’un acte notarié aurait affaibli la garantie attachée à la notion d’authenticité. Cela aurait obligé les juridictions de l’État requis à faire preuve de méfiance et potentiellement à engager des vérifications, allant à l’encontre de l’esprit de la convention. En liant l’authenticité à une garantie étatique, la Cour renforce la fiabilité du système de reconnaissance et préserve l’intégrité de la procédure simplifiée, réservée aux seuls actes dont la validité et la force probante sont établies de manière irréfutable dès leur origine.
B. Une clarification délimitant le champ de l’exécution simplifiée
La portée de cet arrêt est avant tout clarificatrice. Il établit une frontière nette entre les actes pouvant bénéficier de la procédure de l’article 50 et ceux qui en sont exclus. Les titres de créance résultant d’un simple accord privé, comme le *Gældsbrev* danois en cause, ne peuvent circuler par cette voie rapide. Leurs titulaires doivent recourir aux procédures de droit commun pour obtenir une décision de justice exécutoire, comme la procédure d’injonction de payer européenne, ou obtenir un jugement au fond dans l’État d’origine avant de le faire reconnaître.
Cette solution ne ferme pas la porte à l’exécution de tels titres, mais elle les oriente vers les voies procédurales adéquates, qui incluent les garanties juridictionnelles appropriées pour le débiteur. En définitive, l’arrêt consolide l’architecture de l’espace judiciaire européen en confirmant que les mécanismes d’exécution simplifiée sont des procédures d’exception, dont l’accès est strictement conditionné à un niveau de fiabilité formelle que seule l’intervention d’une autorité publique peut conférer.