Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 18 décembre 1997. – Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG contre Finanzamt Calau. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht des Landes Brandenburg – Allemagne. – TVA – Notion de prestation de services – Indemnité nationale à l’extensification de la production de pommes de terre. – Affaire C-384/95.

Par un arrêt en date du 8 octobre 1997, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa cinquième chambre, s’est prononcée sur l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée d’indemnités versées dans le cadre de politiques de maîtrise de la production agricole. En l’espèce, une entreprise agricole avait perçu en 1990 une indemnité d’une autorité nationale allemande en contrepartie de son engagement de réduire de vingt pour cent sa production de pommes de terre, spécifiquement en s’abstenant de récolter une partie de sa culture. L’exploitant n’avait pas soumis cette indemnité à la taxe sur le chiffre d’affaires lors de sa déclaration fiscale. L’administration fiscale, après un contrôle, a rectifié cette déclaration, considérant que l’indemnité constituait la contrepartie d’une prestation de services imposable et a émis un avis d’imposition modifié. L’entreprise agricole a contesté cette décision, d’abord par une réclamation administrative qui fut rejetée, puis en saisissant le Finanzgericht des Landes Brandenburg. Celui-ci, estimant que la solution du litige dépendait de l’interprétation du droit communautaire, a sursis à statuer pour poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était ainsi demandé si l’engagement pris par un exploitant agricole de limiter sa production en s’abstenant de procéder à une récolte, en échange d’une aide financière, constituait une prestation de services fournie à un bénéficiaire déterminé au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE. La question se posait également de savoir si l’indemnité versée représentait la contrepartie d’une opération imposable en vertu de l’article 11 de cette même directive. La Cour de justice répond par la négative en jugeant que « l’engagement, pris par un exploitant agricole dans le cadre d’un régime d’indemnité national, de s’abstenir de récolter au moins 20 % des pommes de terre qu’il a cultivées ne constitue pas une prestation de services au sens de la directive ». Elle en déduit logiquement que « l’indemnité perçue à cet effet n’est pas soumise à la taxe sur le chiffre d’affaires ». Cette solution repose sur une analyse stricte de la nature des opérations imposables à la taxe sur la valeur ajoutée, qui doit être comprise comme un impôt sur la consommation. La Cour précise ainsi la portée de la notion de prestation de services (I), ce qui confirme une interprétation téléologique du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (II).

I. La qualification de prestation de services subordonnée à l’existence d’une consommation

La Cour de justice, pour exclure l’opération du champ de la taxe sur la valeur ajoutée, s’appuie sur le critère essentiel de la consommation, qu’elle avait déjà mis en exergue dans une jurisprudence antérieure (A). L’application de ce critère au cas d’espèce la conduit à constater l’absence de bénéficiaire identifiable susceptible d’être qualifié de consommateur du service (B).

A. La réaffirmation du critère de la consommation comme condition de l’imposition

Le raisonnement de la Cour s’articule autour de l’idée fondamentale que la taxe sur la valeur ajoutée est un impôt général sur la consommation. Cette prémisse, bien que non explicitement formulée dans la définition des opérations imposables à l’article 2 de la sixième directive, en constitue le principe directeur. La Cour rappelle à cet égard sa décision antérieure dans l’affaire *Mohr*, où elle avait jugé que l’engagement d’abandonner la production laitière contre une indemnité communautaire ne constituait pas une prestation de services, faute de consommation. En l’espèce, la Cour transpose ce raisonnement à une indemnité d’origine nationale. Elle estime que, pour qu’une opération soit qualifiée de prestation de services au sens de la directive, elle doit impliquer une forme de consommation. Or, l’obligation de ne pas faire, telle que l’engagement de ne pas récolter une partie de sa production, ne conduit pas en elle-même à une consommation. La Cour souligne que pour relever du système commun de TVA, « un tel engagement doit impliquer une consommation ». C’est donc en se référant à la finalité même de l’impôt que les juges précisent les contours d’une notion qui, lue isolément, aurait pu inclure l’opération en cause.

B. L’absence de bénéficiaire identifiable consommant le service

L’analyse de la Cour se poursuit logiquement par la recherche d’un consommateur. Une prestation de services taxable implique l’existence d’un lien direct entre le service rendu et une contrepartie perçue, la contrepartie étant le paiement effectué par le bénéficiaire du service. Dans le cas présent, l’autorité publique verse une indemnité, mais elle ne saurait être considérée comme la consommatrice d’un service. La Cour relève en effet que l’engagement de l’agriculteur « ne fournit pas des services à un consommateur identifiable ni un avantage susceptible d’être considéré comme un élément constitutif du coût de l’activité d’une autre personne dans la chaîne commerciale ». L’autorité publique n’acquiert aucun bien ou service pour son propre usage ; elle agit dans un but d’intérêt général visant à réguler un marché agricole. L’avantage retiré par la collectivité de la réduction de la production est trop diffus et indirect pour être assimilé à une consommation. Faute de bénéficiaire identifiable consommant un service, l’une des conditions fondamentales de l’opération imposable fait défaut.

Cette analyse rigoureuse, fondée sur la nature profonde de la taxe sur la valeur ajoutée, témoigne d’une approche finaliste qui prévaut sur une lecture littérale des textes (II).

II. La confirmation d’une interprétation téléologique du système de taxe sur la valeur ajoutée

La décision commentée s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle qui privilégie la cohérence du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (A). Elle permet par ailleurs de tracer une frontière claire entre les subventions imposables et les indemnités qui, comme en l’espèce, se situent en dehors du champ de l’impôt (B).

A. La primauté de la logique systémique sur l’interprétation littérale

L’administration fiscale et le gouvernement allemand soutenaient une interprétation extensive de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, selon laquelle toute opération économique qui n’est pas une livraison de bien constitue une prestation de services. Cette approche, purement littérale, aurait conduit à considérer l’obligation de ne pas faire de l’agriculteur comme un service taxable, dès lors qu’elle était rémunérée. La Cour de justice écarte cette lecture en rappelant qu’il « convient d’examiner la transaction à la lumière des objectifs et des caractéristiques du système commun de TVA ». En agissant ainsi, elle refuse d’isoler une disposition de son contexte et de la finalité du système dont elle fait partie. Le principe, rappelé au considérant 22 de l’arrêt, est que la taxe sur la valeur ajoutée est un impôt sur la consommation proportionnel au prix des biens et des services. Une opération qui, par sa nature, ne s’insère pas dans un cycle de production et de distribution menant à une consommation finale ne peut être soumise à cet impôt. Cette approche téléologique assure la cohérence du système et évite de soumettre à la taxe des flux financiers qui ne correspondent pas à une transaction économique de consommation.

B. La distinction entre la subvention-prix et l’indemnité hors champ

La portée de cet arrêt réside également dans la clarification qu’il opère entre différentes formes d’aides publiques. L’article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive inclut dans la base d’imposition « les subventions directement liées au prix » des opérations. De telles subventions, qui permettent de vendre un bien ou un service à un prix inférieur, sont considérées comme un complément de prix et sont donc taxables. L’indemnité en cause dans l’affaire est d’une nature fondamentalement différente. Elle ne vient pas compléter le prix d’un produit vendu sur le marché. Au contraire, elle est versée pour qu’un produit n’atteigne jamais le marché. Elle ne rémunère pas une activité économique mais une absence d’activité. En la qualifiant de non-imposable, la Cour de justice établit une distinction durable entre les aides qui soutiennent le marché et celles qui visent à le réguler en amont, par une action sur les volumes de production. Cette solution renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques bénéficiant de régimes d’intervention, qu’ils soient d’origine nationale ou communautaire.

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