Par un arrêt en date du 19 mars 2003, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’État français, s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 93/16/CEE relative à la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes. En l’espèce, une ressortissante belge, titulaire d’un diplôme de docteur en médecine obtenu en Algérie, a acquis la nationalité belge et a poursuivi ses études de médecine dans une université belge. Cette dernière a validé les six premières années de sa formation acquise hors de la Communauté et, après une septième et dernière année d’études en Belgique, lui a délivré un diplôme de médecin. Ayant souhaité exercer en France, elle a sollicité son inscription au tableau de l’ordre des médecins. Les autorités françaises, constatant que la majeure partie de la formation n’avait pas été effectuée au sein de la Communauté, ont refusé l’inscription.
La praticienne a contesté cette décision devant les juridictions ordinales. Le conseil régional de l’ordre des médecins a d’abord infirmé le refus d’inscription, se fondant sur une attestation des autorités belges confirmant que la formation respectait les exigences de la directive. Saisi par le conseil national, la section disciplinaire de ce dernier a finalement annulé l’inscription, ce qui a conduit la requérante à former un pourvoi devant le Conseil d’État. La haute juridiction administrative française a alors sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur deux points essentiels. Il s’agissait premièrement de déterminer si la formation médicale exigée par la directive, comprenant au moins six années d’études ou 5 500 heures d’enseignement, doit être suivie intégralement dans un État membre ou si elle peut intégrer une formation reçue dans un État tiers. Secondement, il était demandé si les autorités d’un État membre d’accueil sont liées par un certificat de conformité délivré par l’État membre d’origine, ou si elles conservent un pouvoir d’appréciation autonome sur le respect des exigences de formation.
À ces questions, la Cour de justice répond de manière claire. D’une part, elle juge que la formation médicale peut être constituée, même de manière prépondérante, d’une formation reçue dans un pays tiers, à la condition que l’autorité compétente de l’État membre qui délivre le diplôme ait pu valider cette formation et la considérer comme conforme aux exigences de la directive. D’autre part, elle affirme que les autorités de l’État membre d’accueil sont liées par le certificat de conformité, tout en leur reconnaissant la faculté de saisir à nouveau les autorités de l’État membre d’origine en cas de doutes sérieux. La solution retenue par la Cour repose ainsi sur une double clarification : d’une part, elle précise les conditions de validation d’une formation partiellement acquise en pays tiers (I), et d’autre part, elle réaffirme la force contraignante du certificat de conformité dans le cadre de la confiance mutuelle (II).
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I. La reconnaissance de la formation médicale acquise en pays tiers subordonnée à la validation par l’État de diplomation
La Cour de justice clarifie les modalités d’application de la directive 93/16/CEE en rejetant une interprétation restrictive fondée sur le lieu de la formation (A) et en consacrant la pleine responsabilité de l’État membre qui délivre le diplôme (B).
A. Le rejet du critère de la formation prépondérante au sein de la Communauté
Plusieurs gouvernements et la Commission soutenaient qu’une partie prépondérante de la formation médicale devait nécessairement être acquise à l’intérieur de la Communauté. Cet argument s’appuyait sur une analogie avec les directives relatives au système général de reconnaissance des diplômes, notamment la directive 89/48/CEE, qui contient une telle exigence. Ces intervenants considéraient que cette condition était une garantie indispensable pour assurer la qualité de la formation et justifier le mécanisme de reconnaissance automatique. La Cour écarte fermement cette argumentation en soulignant d’abord que la directive 93/16, qui établit un régime sectoriel fondé sur l’harmonisation des formations, « ne contient aucune référence, ni même aucune allusion, à une condition de prépondérance ».
De plus, la Cour insiste sur la différence de nature entre le système sectoriel de reconnaissance automatique et le système général. Le premier repose sur une harmonisation préalable des exigences de formation, créant une confiance mutuelle, tandis que le second, applicable à des formations non harmonisées, permet à l’État d’accueil d’imposer des mesures de compensation. Transposer la condition de prépondérance du système général au système sectoriel serait donc juridiquement inapproprié. La Cour ajoute qu’une telle notion, par son imprécision, nuirait à la sécurité juridique, car elle serait « susceptible de recevoir plusieurs interprétations très différentes », ce qui est incompatible avec l’objectif de reconnaissance automatique et inconditionnelle des diplômes de médecin.
B. La consécration de la responsabilité de l’autorité compétente de l’État membre de délivrance
En écartant le critère géographique, la Cour de justice recentre le débat sur la fonction de l’autorité qui délivre le diplôme. Ce qui importe n’est pas le lieu où la formation a été dispensée, mais la capacité de cette autorité à s’assurer que la formation, dans sa globalité, répond aux standards qualitatifs et quantitatifs fixés par la directive. La responsabilité de cette vérification « pèse intégralement sur l’autorité compétente de l’État membre qui délivre le diplôme ». Cette autorité doit exercer ses compétences en gardant à l’esprit que le diplôme qu’elle délivre constitue un « passeport de médecin » permettant à son titulaire de circuler et de pratiquer dans toute l’Union.
La solution est donc fondée sur le principe de confiance mutuelle, qui est la pierre angulaire du système de reconnaissance automatique. Dès lors que l’université d’un État membre a validé une formation suivie dans un pays tiers et a estimé qu’elle satisfaisait aux exigences européennes, les autres États membres doivent s’en remettre à cette appréciation. La Cour précise ainsi que « la formation médicale exigée par l’article 23, paragraphe 2, de la directive 93/16 […] peut être constituée, même de manière prépondérante, d’une formation reçue dans un pays tiers, à condition que l’autorité compétente de l’État membre qui délivre le diplôme soit en mesure de valider cette formation ». Cette approche pragmatique et responsabilisante garantit à la fois la mobilité des professionnels et le respect des normes harmonisées.
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II. La force contraignante du certificat de conformité, expression de la confiance mutuelle
Après avoir validé le principe d’une formation partiellement extra-communautaire, la Cour se prononce sur la valeur juridique des documents qui en attestent la conformité. Elle réaffirme le caractère liant du certificat délivré par l’État membre d’origine (A), tout en ménageant une soupape de sécurité en cas de doutes sérieux (B).
A. Le principe du caractère liant du certificat pour l’État membre d’accueil
La seconde question portait sur la marge d’appréciation de l’État membre d’accueil face à un certificat délivré par l’État d’origine en application de l’article 9, paragraphe 5, de la directive. Ce certificat a pour objet d’attester qu’un diplôme, dont la dénomination ne figure pas dans les listes de la directive, sanctionne bien une formation conforme et est assimilé par l’État d’origine aux titres qui y sont mentionnés. La Cour rappelle que le système de reconnaissance automatique serait « gravement compromis s’il était loisible aux États membres de remettre en question, à leur discrétion, le bien-fondé de la décision de l’institution compétente d’un autre État membre de délivrer le diplôme ».
En conséquence, le certificat de conformité constitue une « preuve suffisante » pour l’État d’accueil. La Cour est catégorique sur ce point : « Les autorités de l’État membre d’accueil sont liées par un certificat, émis conformément à l’article 9, paragraphe 5, de la directive 93/16 ». Accepter le contraire reviendrait à vider de sa substance le principe de confiance mutuelle et à réintroduire des contrôles nationaux qui sont précisément ce que la directive visait à supprimer. Le certificat agit comme un instrument de liaison entre les administrations nationales, garantissant la fluidité de la reconnaissance et, par conséquent, l’effectivité de la libre circulation des médecins.
B. La réserve de la saisine pour vérification en cas de doutes sérieux
Le caractère contraignant du certificat n’est cependant pas absolu. La Cour, soucieuse d’éviter les abus et de préserver l’intégrité du système, reconnaît une faculté d’action limitée à l’État membre d’accueil. Ce dernier n’est pas totalement démuni s’il nourrit des inquiétudes légitimes. Cependant, il ne peut procéder à sa propre évaluation du parcours du praticien. La seule voie qui lui est ouverte est de se tourner à nouveau vers les autorités de l’État membre d’origine.
Cette possibilité est strictement encadrée. Elle ne peut être exercée que « en cas d’apparition d’éléments nouveaux donnant lieu à des doutes sérieux quant à l’authenticité du diplôme […] ou à sa conformité avec la réglementation applicable ». Dans une telle hypothèse, il est « loisible de saisir de nouveau d’une demande de vérification les autorités de l’État membre émetteur du diplôme en cause ». Ce mécanisme de coopération administrative permet de résoudre les difficultés sans rompre la logique de confiance mutuelle. Il maintient la responsabilité finale de la certification entre les mains de l’État d’origine tout en offrant à l’État d’accueil un recours en cas de suspicion fondée, assurant ainsi un juste équilibre entre la facilitation de la libre circulation et le maintien d’un niveau élevé de protection de la santé publique.