La Cour de justice des Communautés européennes, par un arrêt du 7 mai 1996, a statué sur une procédure en manquement engagée par la Commission à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État de ne pas avoir transposé dans son ordre juridique interne, dans les délais impartis, deux directives du Conseil relatives à la prévention et à la réduction de la pollution atmosphérique en provenance des installations d’incinération des déchets municipaux. Le délai de transposition pour ces deux textes, les directives 89/369/CEE et 89/429/CEE, était fixé au 1er décembre 1990. Saisie par la Commission, la Cour a été amenée à se prononcer sur les conséquences juridiques de cette inaction. Au cours de la procédure, l’État membre a informé la Cour avoir partiellement transposé la directive 89/429/CEE, conduisant la Commission à se désister de son recours sur ce point précis. Cependant, le manquement demeurait entier concernant la directive 89/369/CEE, ce que l’État membre ne contestait pas. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si l’absence d’adoption des dispositions nationales nécessaires à la transposition d’une directive dans le délai prescrit par celle-ci constitue un manquement d’un État membre à ses obligations communautaires. La Cour répond à cette question par l’affirmative, en déclarant que « en n’adoptant pas dans le délai imparti les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 89/369/CEE […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de cette même directive ». Cette décision, illustration classique de la procédure en manquement, rappelle avec force l’exigence fondamentale de transposition des directives (I), tout en tirant les conséquences de la défaillance de l’État membre sur le plan procédural (II).
I. La constatation objective du manquement d’État
L’arrêt rendu par la Cour de justice met en lumière le caractère automatique et rigoureux de la constatation du manquement, qui découle d’une obligation essentielle de l’ordre juridique communautaire (A) et reste indifférent aux justifications d’ordre interne avancées par l’État défaillant (B).
A. L’obligation de transposition, une exigence fondamentale de l’ordre juridique communautaire
La procédure en manquement constitue l’instrument par lequel la Commission, en sa qualité de gardienne des traités, assure le respect du droit communautaire par les États membres. L’arrêt commenté offre une application limpide de ce mécanisme s’agissant de l’obligation de transposition des directives. En vertu du traité CE, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Pour que la directive produise ses pleins effets et que le résultat soit atteint, sa transposition en droit interne est une condition impérative. L’article 12 de la directive 89/369/CEE fixait précisément ce cadre temporel en imposant aux États membres de prendre « les mesures nécessaires pour se conformer à celles-ci au plus tard le 1er décembre 1990 » et d’en « informer immédiatement la Commission ».
Le raisonnement de la Cour est donc d’une grande simplicité formelle. Elle se contente de confronter une obligation de résultat, claire et inconditionnelle, à une situation de fait. À la date butoir fixée par la directive, l’État membre n’avait pas adopté les mesures nationales requises. Cette seule constatation matérielle suffit à caractériser le manquement. La nature même de la directive comme source de droit impose cette discipline commune, sans laquelle l’uniformité d’application du droit communautaire et la réalisation des politiques communes, en l’espèce la protection de l’environnement, seraient compromises. L’obligation de transposition dans les délais n’est donc pas une simple formalité administrative, mais la condition de l’effectivité du droit dérivé.
B. L’indifférence des justifications internes au manquement constaté
Face au constat de sa défaillance, l’État membre mis en cause ne conteste pas les faits. Il se borne à faire valoir « qu’elle compte pouvoir communiquer sous peu l’acte qui la met en œuvre ». Cet argument, fréquemment invoqué dans le cadre du contentieux en manquement, est systématiquement écarté par la Cour de justice. La jurisprudence constante considère qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne, telles que des difficultés d’ordre politique, administratif ou budgétaire, pour justifier l’inexécution des obligations résultant d’une directive. Le manquement est constitué par le seul fait de l’expiration du délai, indépendamment des raisons qui ont conduit à ce retard.
En l’espèce, la Cour ne prend même pas la peine de discuter l’argument de l’État membre. Elle se limite à noter que « la transposition de la directive 89/369 n’ayant pas été réalisée dans le délai fixé par celle-ci, il y a lieu de considérer comme fondé le recours intenté à cet égard par la Commission ». Cette approche objective garantit la sécurité juridique et l’égalité des États membres devant les obligations découlant des traités. Admettre des justifications internes reviendrait à permettre à chaque État de moduler l’application du droit communautaire en fonction de ses propres contraintes, ce qui nierait la primauté et l’uniformité de cet ordre juridique. L’arrêt réaffirme donc avec force que la seule diligence pertinente est celle qui aboutit à la transposition complète et correcte dans le délai prescrit.
II. La portée et les conséquences procédurales du manquement
Au-delà de la constatation du manquement, l’arrêt précise les conséquences qu’il convient d’en tirer, tant en ce qui concerne le rôle de la procédure en manquement elle-même (A) que sur le sort des dépens de l’instance (B).
A. La portée réaffirmée du recours en manquement
Cette décision, par sa simplicité et son caractère presque didactique, illustre la fonction essentielle du recours en manquement. Il ne s’agit pas seulement de sanctionner un État, mais avant tout de garantir l’application effective et uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union. En l’espèce, le manquement porte sur une politique environnementale, domaine où l’action commune est indispensable pour éviter des distorsions de concurrence et assurer un niveau élevé de protection. Le fait pour un État de ne pas transposer une directive sur la pollution atmosphérique crée un risque pour l’environnement sur son territoire et peut conférer un avantage indu à ses industries par rapport à celles des États qui ont respecté leurs obligations.
L’arrêt a donc une portée qui dépasse le cas d’espèce. Il rappelle à tous les États membres la rigueur de leurs engagements et le contrôle exercé par la Commission et la Cour. Même si l’arrêt en manquement est de nature déclaratoire, il constitue la première étape d’une procédure qui peut, en cas de persistance de l’inexécution, conduire à une seconde condamnation assortie de sanctions pécuniaires. La portée de cet arrêt est donc préventive et comminatoire : il formalise une défaillance et oblige l’État membre à prendre sans plus tarder les mesures nécessaires pour y remédier, sous peine de s’exposer à des conséquences financières. Il confirme ainsi le rôle central du juge communautaire comme garant de la légalité et de la cohésion de l’ordre juridique intégré.
B. Les conséquences financières du manquement : la condamnation aux dépens
Un aspect particulièrement intéressant de l’arrêt réside dans le règlement de la question des dépens. La Commission s’était partiellement désistée de son recours après que l’État membre eut communiqué, dans son mémoire en défense, l’adoption de mesures transposant en partie la directive 89/429. En principe, selon l’article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure, la partie qui se désiste est condamnée aux dépens. Toutefois, cette règle est écartée si le désistement est justifié par l’attitude de l’autre partie. C’est précisément le raisonnement que suit la Cour dans cette affaire.
Elle relève que « ce n’est qu’après que [l’État membre] a communiqué, dans son mémoire en défense, les mesures qu’elle avait adoptées […] que la Commission a renoncé à certains griefs ». La Cour en déduit que « le désistement partiel de la Commission est justifié par l’attitude de [l’État membre] qui a, par ailleurs, succombé pour le surplus ». Par conséquent, elle condamne l’État membre à la totalité des dépens. Cette solution est parfaitement logique et équitable. Elle signifie qu’un État ne peut échapper aux conséquences financières d’une procédure en manquement en ne régularisant sa situation qu’après l’introduction du recours. L’introduction de l’instance est la conséquence directe de sa propre négligence. Cette condamnation aux dépens, bien que symbolique au regard des enjeux, renforce la responsabilité de l’État et l’incite à se conformer à ses obligations avant que le contentieux ne soit porté devant la Cour.