Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 20 juin 1996. – Wellcome Trust Ltd contre Commissioners of Customs and Excise. – Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, London – Royaume-Uni. – Sixième directive TVA – Notion d’activité économique. – Affaire C-155/94.

Par un arrêt du 7 décembre 1995, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Value Added Tax Tribunal de Londres, a précisé l’interprétation de la notion d’activités économiques au sens de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L’affaire concernait un trust caritatif, chargé de gérer un important portefeuille de titres hérité de son fondateur, afin d’en affecter les revenus à la recherche médicale. Dans le cadre de la diversification de ses actifs, ce trust a procédé à une cession massive d’actions, une opération d’envergure nécessitant des préparatifs complexes et l’intervention de nombreux conseillers. Le trust a ensuite sollicité le remboursement partiel de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur les honoraires de ces conseillers, au motif que les actions avaient été cédées à des acquéreurs situés hors de la Communauté européenne. L’administration fiscale nationale a rejeté cette demande, considérant que la cession ne relevait pas d’une activité économique, mais d’une simple gestion de patrimoine. Le litige a ainsi conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour sur le point de savoir si l’achat et la vente de titres par un trust caritatif dans le cadre de la gestion de son patrimoine constituent une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant que de telles opérations ne sauraient être incluses dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée.

Cette solution conduit à circonscrire la notion d’activité économique par une interprétation stricte de ses éléments constitutifs (I), tout en clarifiant la distinction fondamentale entre la gestion de patrimoine et l’exercice d’une activité commerciale (II).

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I. Une conception restrictive de l’activité économique appliquée à la gestion de portefeuille

La Cour de justice confirme que la simple détention et cession de participations financières ne suffit pas à caractériser une activité économique (A), et ce, indépendamment de l’ampleur des moyens mis en œuvre pour réaliser ces opérations (B).

A. La confirmation de l’exclusion du simple exercice du droit de propriété

La Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle « le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne saurait, en lui-même, être considéré comme constituant une activité économique ». En se fondant sur des arrêts antérieurs relatifs aux sociétés holding, elle transpose ce raisonnement à la gestion d’un portefeuille de titres par un trust. L’activité de l’entité en cause, qui consistait à acquérir et céder des actions « en vue de maximiser les dividendes ou les rendements du capital », s’apparente à celle d’un investisseur privé gérant son propre patrimoine. La finalité de l’opération, à savoir le financement d’une activité caritative, est indifférente, car l’analyse doit se concentrer sur la nature même de l’activité de gestion des titres.

Cette analyse s’inscrit dans une logique de distinction entre l’exploitation active d’un bien pour en retirer des recettes ayant un caractère de permanence et la simple jouissance des fruits de la propriété. Le fait de vendre des actions pour en réinvestir le produit dans d’autres titres ne constitue pas une exploitation commerciale, mais une modalité de gestion patrimoniale. Ainsi, de telles opérations ne dépassent pas le cadre de la gestion d’un portefeuille d’investissements, ce qui les place hors du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée. La Cour refuse d’étendre la notion d’activité économique à des actes qui, bien que générant des revenus, ne correspondent pas à une participation au marché en tant que producteur, commerçant ou prestataire de services.

B. L’indifférence de l’ampleur et de la complexité de l’opération

La demanderesse au principal soutenait que la dimension exceptionnelle de la vente d’actions et le recours à des méthodes sophistiquées, telles que la procédure de « bookbuilding », devaient conduire à qualifier l’opération d’activité économique. La Cour écarte fermement cet argument en jugeant que « ni l’ampleur d’une vente d’actions (…) ni le recours, dans le cadre d’une telle vente, à des sociétés de conseil ne sauraient constituer des critères de distinction ». Admettre le contraire aurait pour conséquence de faire dépendre la qualification juridique d’une opération de l’habileté de l’investisseur ou de l’importance des capitaux engagés, et non de sa nature intrinsèque.

Une telle approche introduirait une insécurité juridique considérable, en rendant la frontière entre l’investisseur privé et l’opérateur économique fluctuante et subjective. La Cour préserve ainsi un critère objectif et clair : la qualification d’activité économique ne dépend pas des moyens déployés, mais de la nature de l’activité elle-même. Que la cession de titres soit massive et organisée par des professionnels ou qu’elle soit modeste et réalisée par l’investisseur lui-même ne change rien à sa nature fondamentale. Il s’agit dans les deux cas d’un acte de disposition de son patrimoine, qui ne constitue pas, en soi, une activité économique taxable.

II. La portée de la distinction entre gestion patrimoniale et activité commerciale

La décision de la Cour a pour effet de consolider la frontière entre l’investisseur privé et l’opérateur économique (A), tout en précisant l’application du principe de neutralité fiscale dans ce contexte (B).

A. La consolidation de la frontière entre l’investisseur et le commerçant

L’arrêt précise que les opérations sur titres peuvent relever de la taxe sur la valeur ajoutée dans des circonstances spécifiques. Ce serait le cas si elles étaient « effectuées dans le cadre d’une activité commerciale de négociation de titres ou pour réaliser une immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés dans lesquelles s’est opérée la prise de participation ». Or, en l’espèce, la juridiction de renvoi avait relevé que le trust était précisément contraint de s’abstenir de se livrer au commerce et de détenir des participations majoritaires. La nature de son activité était donc exclusive de toute intention commerciale ou d’immixtion dans la gestion.

Cette décision a une portée significative car elle établit une ligne de partage claire. D’un côté, l’investisseur, même institutionnel et puissant, qui se limite à gérer son portefeuille pour en tirer des revenus passifs, reste en dehors du champ de la taxe. De l’autre, l’opérateur qui achète et vend des titres de manière habituelle dans un but commercial, ou qui utilise ses participations pour influencer la gestion des entreprises, accomplit une activité économique. La solution protège ainsi de l’assujettissement à la taxe une vaste catégorie d’acteurs, tels que les fondations, les fonds de pension ou les investisseurs privés, dont l’activité principale n’est pas la négociation de titres.

B. Une application rigoureuse du principe de neutralité fiscale

La demanderesse invoquait le principe de neutralité fiscale pour soutenir que ses opérations devaient être taxées de la même manière que celles d’un professionnel. La Cour rejette cette argumentation en rappelant la condition préalable à l’application de ce principe. Elle énonce en effet que si le principe « implique que toutes les activités économiques doivent être traitées de la même manière, il suppose également que l’activité en cause puisse être qualifiée d’activité économique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ». Le principe de neutralité ne peut donc être invoqué pour attirer dans le champ de la taxe une activité qui, par nature, s’en trouve exclue.

La Cour souligne en outre qu’un assujettissement du trust aurait créé une distorsion de concurrence à son avantage. En effet, en lui permettant de déduire la taxe payée en amont, on l’aurait favorisé par rapport aux autres investisseurs privés qui ne disposent pas d’un tel droit à déduction. La solution retenue garantit donc une égalité de traitement entre tous les investisseurs privés, qu’ils soient des personnes physiques ou des entités institutionnelles comme le trust. Elle empêche que le régime de la taxe sur la valeur ajoutée ne soit détourné pour subventionner indirectement la gestion de portefeuilles privés, même lorsque celle-ci sert des objectifs d’intérêt général.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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