Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 21 février 2002. – Arbetsmarknadsstyrelsen contre Petra Rydergård. – Demande de décision préjudicielle: Regeringsrätten – Suède. – Sécurité sociale – Prestations de chômage – Conditions du maintien du droit aux prestations pour un chômeur se rendant dans un autre Etat membre. – Affaire C-215/00.

Par un arrêt en date du 29 novembre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation des conditions de maintien des prestations de chômage pour un travailleur se déplaçant dans un autre État membre.

En l’espèce, une travailleuse inscrite au chômage dans un État membre avait perçu des prestations parentales temporaires pendant quelques jours pour soigner son enfant malade. Lorsqu’elle a demandé à conserver ses droits aux allocations de chômage pour se rendre dans un autre État membre afin d’y chercher un emploi, l’institution nationale compétente a rejeté sa demande. Cette institution estimait que la travailleuse n’avait pas été à la disposition des services de l’emploi pendant une période ininterrompue de quatre semaines avant son départ, comme elle l’estimait requis. La travailleuse a contesté cette décision devant les juridictions nationales. Les juridictions de première instance et d’appel lui ont donné raison, estimant la condition remplie. Saisie en dernier ressort, la juridiction administrative suprême a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice.

Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer, d’une part, si la condition de mise à disposition des services de l’emploi devait être appréciée au regard du droit national et, d’autre part, si la période de quatre semaines imposée par le droit communautaire devait être continue. À ces deux questions, la Cour a répondu que l’appréciation de la disponibilité du travailleur relève bien du droit national, mais que la période de quatre semaines requise n’a pas à être ininterrompue, un total cumulé étant suffisant.

Cette décision conduit à préciser l’articulation entre le droit communautaire et les législations nationales dans le cadre de la libre circulation des travailleurs (I), tout en clarifiant la portée temporelle des obligations incombant au chômeur avant son départ (II).

I. La détermination de la disponibilité du chômeur : un renvoi précisé au droit national

La Cour clarifie la répartition des compétences entre l’ordre juridique communautaire et les ordres juridiques nationaux. Elle réaffirme l’autonomie du régime de l’article 69 du règlement n° 1408/71, tout en reconnaissant la nécessité d’une application distributive des sources juridiques pour certaines conditions.

A. L’autonomie du régime communautaire et ses limites

L’article 69 du règlement n° 1408/71 établit un mécanisme spécifique permettant à un travailleur de conserver ses prestations de chômage tout en cherchant un emploi dans un autre État membre. La Cour rappelle que cette disposition « institue, en faveur des travailleurs qui en réclament le bénéfice, un régime autonome, dérogatoire aux règles du droit interne, qui doit être interprété de façon uniforme dans tous les États membres ». Cette autonomie implique que les conditions énumérées par l’article sont exhaustives, et que les autorités nationales ne sauraient y ajouter des exigences supplémentaires non prévues par le texte.

Toutefois, la Cour nuance immédiatement ce principe en précisant que cette autonomie n’exclut pas toute référence aux droits nationaux. L’application même de certaines conditions prévues par le règlement suppose un renvoi aux législations des États membres concernés. C’est le cas par exemple du contrôle organisé par les services de l’emploi de l’État d’accueil ou de la durée maximale d’indemnisation, qui est déterminée par la législation de l’État compétent. L’uniformité du régime communautaire ne signifie donc pas l’uniformisation de toutes les modalités d’application, lesquelles peuvent légitimement varier d’un État à l’autre.

B. L’application distributive des sources juridiques

Appliquant ce raisonnement à la première question posée, la Cour juge que la condition de « mise à la disposition des services de l’emploi » doit s’apprécier en fonction du droit de l’État compétent. Elle affirme que « l’appréciation de la question de savoir à quelles conditions une personne peut être considérée comme étant restée à la disposition des services de l’emploi de l’État compétent […] doit être faite en fonction des règles du droit national de cet État ». Cette solution pragmatique évite à la Cour de devoir élaborer une définition communautaire uniforme de la « disponibilité », notion intrinsèquement liée aux spécificités de chaque système national d’assurance chômage.

En conséquence, il appartient à la juridiction nationale de vérifier, selon son propre droit, si le fait de percevoir des prestations parentales temporaires suspend la disponibilité du travailleur vis-à-vis des services de l’emploi. La Cour opère ainsi une répartition claire : le droit communautaire fixe le cadre et les conditions générales du maintien du droit, mais l’appréciation concrète de certaines de ces conditions, comme la disponibilité, est laissée à l’appréciation des autorités et juridictions nationales, sur le fondement de leur propre législation. Cette méthode assure un équilibre entre l’objectif de libre circulation et le respect des compétences des États membres en matière de sécurité sociale.

II. L’assouplissement de la condition de durée : une interprétation téléologique

Après avoir clarifié la source du droit applicable à la condition de disponibilité, la Cour se penche sur la nature de la contrainte temporelle. Elle adopte une interprétation souple de la période de quatre semaines, rejetant une exigence de continuité non prévue par les textes pour consacrer une obligation de durée globale conforme à l’objectif de la norme.

A. Le rejet d’une exigence de continuité non textuelle

La juridiction de renvoi demandait si la période de quatre semaines pendant laquelle le chômeur doit être resté à la disposition des services de l’emploi devait être ininterrompue. La Cour répond par la négative en se fondant sur une lecture stricte du texte. Elle constate que l’article 69, paragraphe 1, sous a), du règlement « se borne à prévoir une période d’au moins quatre semaines après le début du chômage ». Le texte n’imposant aucune condition de continuité, la Cour refuse d’ajouter une exigence qui n’y figure pas.

Ce faisant, elle censure la position de l’institution nationale, qui cherchait à imposer une condition supplémentaire et plus rigoureuse que celle prévue par le droit communautaire. Cette interprétation est cohérente avec le caractère exhaustif des conditions posées par l’article 69, principe rappelé dans la première partie de l’arrêt. Exiger une période ininterrompue reviendrait à restreindre le droit à la libre circulation des travailleurs au-delà de ce que le législateur communautaire a expressément prévu, ce que la Cour se refuse à faire.

B. La consécration d’une obligation de durée globale au service de la libre circulation

Au-delà de l’argument textuel, la Cour justifie sa solution par une analyse de la finalité de la disposition. Elle explique que l’objectif de cette période de quatre semaines est de permettre aux autorités de l’État compétent de vérifier la réalité du chômage et, le cas échéant, de proposer un emploi au travailleur. Or, la Cour estime que « pour que ce but soit atteint, il n’est pas nécessaire d’exiger que la période de quatre semaines soit ininterrompue ». Une durée totale de quatre semaines est jugée suffisante pour atteindre cet objectif de contrôle.

La solution retenue est donc que le demandeur d’emploi « doit être resté à la disposition des services de l’emploi de l’État compétent pendant une période totale d’au moins quatre semaines après le début du chômage, peu important que cette période n’ait pas été ininterrompue ». Cette interprétation téléologique favorise l’effet utile du droit à la libre circulation. Elle empêche que des interruptions courtes et justifiées, telles que la nécessité de s’occuper d’un enfant malade, ne privent un travailleur de la possibilité de chercher un emploi dans un autre État membre, et ce, sans compromettre les objectifs de contrôle des autorités nationales. La Cour consacre ainsi une approche flexible et favorable au travailleur migrant.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture