Par un arrêt rendu en grande chambre le 4 mars 2000, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime juridique des taxes nationales perçues sur les produits exportés. En l’espèce, une société spécialisée dans l’exportation de tabacs s’était acquittée, durant plusieurs années, d’une taxe imposée par un État membre sur la valeur des tabacs destinés à l’exportation. Le produit de cette taxe était affecté à un organisme de sécurité sociale pour financer une branche d’assurance spécifique aux travailleurs du secteur du tabac. Cette imposition ne frappait ni les tabacs commercialisés sur le marché national, ni ceux importés d’autres États membres. Estimant cette taxe contraire au droit communautaire, la société exportatrice en a demandé le remboursement auprès de l’organisme social compétent. Suite au rejet de sa demande, d’abord par l’administration puis par la commission de recours compétente, la société a saisi une juridiction administrative nationale. Cette dernière, confrontée à l’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles. La première question visait à déterminer si une telle taxe devait être qualifiée de taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’exportation, prohibée par le traité, malgré son objectif social. La seconde question portait sur les conditions de restitution d’une taxe indûment perçue, notamment au regard de la notion d’enrichissement sans cause et des règles de preuve relatives à la répercussion de la charge fiscale sur les acheteurs. La Cour de justice a jugé qu’une taxe perçue uniquement sur les produits exportés constitue une taxe d’effet équivalent, son but social étant indifférent, à moins qu’elle ne s’intègre dans un système général d’impositions intérieures s’appliquant de manière identique aux produits nationaux et exportés. La Cour a ajouté que si un État membre peut refuser le remboursement en cas d’enrichissement sans cause de l’opérateur, le droit communautaire s’oppose à toute règle de preuve qui imposerait à ce dernier de démontrer qu’il n’a pas répercuté la taxe sur des tiers. Cette décision permet de réaffirmer avec force la prohibition des entraves pécuniaires à la libre circulation des marchandises (I), tout en encadrant strictement les conditions procédurales du remboursement des taxes contraires au droit communautaire (II).
I. La qualification rigoureuse de la taxe en charge d’effet équivalent
La Cour de justice adopte une approche stricte pour qualifier la taxe litigieuse, d’une part en écartant la pertinence de son objectif social (A) et d’autre part en la distinguant nettement d’un régime d’impositions intérieures (B).
A. L’indifférence de l’objectif social de la taxe
La Cour rappelle d’abord que l’interdiction des taxes d’effet équivalant à des droits de douane revêt un caractère absolu, ce qui rend inopérant l’argument tiré de la finalité de l’imposition. En effet, selon une jurisprudence constante, « les droits de douane sont interdits indépendamment de toute considération du but en vue duquel ils ont été institués et de la destination des recettes qu’ils procurent ». Cette approche est fondée sur la nécessité de garantir l’effet utile des dispositions du traité relatives à l’union douanière, qui constituent un fondement essentiel du marché intérieur. En l’espèce, l’argument selon lequel la taxe visait à financer un régime de sécurité sociale pour les travailleurs d’un secteur spécifique est donc jugé sans pertinence. La nature sociale de l’objectif poursuivi ne saurait soustraire une charge pécuniaire, qui frappe une marchandise en raison de son franchissement de la frontière, à la qualification de taxe d’effet équivalent. Par cette réaffirmation, la Cour prévient toute tentative des États membres de contourner les interdictions du traité en invoquant des motifs d’intérêt national, aussi légitimes soient-ils.
B. La distinction stricte avec le régime des impositions intérieures
La Cour examine ensuite si la taxe pouvait échapper à cette qualification en relevant d’un système général d’impositions intérieures au sens de l’article 95 du traité CE (devenu l’article 110 TFUE). Pour qu’une telle qualification soit retenue, la jurisprudence exige que la charge imposée au produit exporté appréhende systématiquement et selon les mêmes critères les produits nationaux et les produits importés ou exportés. La Cour précise les conditions de cette identité de traitement de manière particulièrement exigeante. Elle énonce que « la charge à laquelle est soumis le produit de tabac exporté doit frapper le produit intérieur et le produit exporté identique d’un même impôt au même stade de commercialisation, et que le fait générateur de l’impôt doit, lui aussi, être identique pour les deux produits ». Il ne suffit donc pas qu’une imposition similaire existe pour les produits nationaux ; il faut une parfaite symétrie dans les modalités d’application de la taxe. En posant ces critères cumulatifs, la Cour empêche qu’une taxe à l’exportation ne serve à compenser une charge fiscale interne frappant le produit à un stade de production ou de commercialisation antérieur, ce qui reviendrait à vider de sa substance l’interdiction des taxes d’effet équivalent.
II. L’encadrement communautaire des modalités de remboursement de la taxe indue
Après avoir qualifié la taxe, la Cour se prononce sur les conséquences de son incompatibilité avec le droit communautaire, en précisant d’une part les contours de l’exception liée à l’enrichissement sans cause (A) et en invalidant d’autre part les règles probatoires nationales qui y font obstacle (B).
A. L’admission conditionnée du refus de restitution pour enrichissement sans cause
La Cour réaffirme le principe selon lequel le droit d’obtenir le remboursement des taxes perçues en violation du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables. Toutefois, elle admet qu’un État membre puisse refuser la restitution si celle-ci devait conduire à un enrichissement sans cause de l’opérateur, notamment lorsque celui-ci a entièrement répercuté la charge de la taxe sur ses acheteurs. La Cour apporte cependant une nuance importante à cette exception. Elle précise que « si seule une partie de la charge de la taxe a été répercutée, il incombe aux autorités nationales de rembourser à l’opérateur le montant non répercuté ». De plus, le remboursement ne constitue pas nécessairement un enrichissement sans cause même si la taxe a été répercutée, car il convient de prendre en considération le préjudice que l’opérateur a pu subir du fait de la restriction du volume de ses ventes. Cette approche pragmatique vise à assurer une réparation juste, qui tienne compte de la réalité économique de la situation de l’opérateur.
B. Le rejet des présomptions probatoires faisant obstacle au remboursement
La Cour se montre particulièrement ferme sur le terrain de l’administration de la preuve, en application du principe d’effectivité du droit communautaire. Elle juge que sont incompatibles avec le droit communautaire les modalités de preuve qui ont pour effet de rendre « pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire ». La Cour en déduit une conséquence majeure concernant la charge de la preuve de la non-répercussion de la taxe. Elle « exclut l’application de toute présomption ou règle de preuve visant à rejeter sur l’opérateur concerné la charge d’établir que les taxes indûment payées n’ont pas été répercutées sur d’autres personnes ». C’est donc aux autorités nationales, si elles entendent se prévaloir de l’enrichissement sans cause, de prouver que l’opérateur a bien répercuté la taxe. De même, un justiciable doit pouvoir contester une prétendue répercussion en produisant tous les éléments de preuve pertinents, sans que les juridictions nationales ne puissent se limiter aux seuls documents produits par l’administration. Cette solution garantit que l’exercice des droits tirés de l’ordre juridique communautaire ne soit pas neutralisé par des règles procédurales nationales trop contraignantes.