Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 22 septembre 1988. – Union nationale interprofessionnelle des légumes de conserve (Unilec) contre Établissements Larroche Frères. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance d’Agen – France. – Accords interprofessionnels des produits agricoles – Prix minimaux d’achat – Légalité des redevances. – Affaire 212/87.

Par un arrêt du 13 juillet 1988, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant sur renvoi préjudiciel d’une juridiction française, a précisé la portée des réglementations communautaires relatives à l’organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes. L’affaire trouve son origine dans un litige opposant une organisation interprofessionnelle agricole à une entreprise de transformation non-adhérente. Conformément à une législation nationale, l’organisation avait conclu des accords fixant des prix d’achat minimaux pour certains légumes, accords qui furent ensuite étendus par l’autorité administrative à l’ensemble des producteurs et transformateurs du secteur. L’organisation a alors réclamé à l’entreprise non-membre le paiement de cotisations destinées à financer ses activités, ce que cette dernière a refusé.

Saisi du litige, le tribunal de grande instance d’Agen a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. L’entreprise transformatrice soutenait que l’extension réglementaire d’un accord fixant des prix minimaux et le prélèvement de cotisations obligatoires étaient contraires aux règles de la politique agricole commune et à la libre concurrence au sein du marché commun. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si une réglementation nationale pouvait étendre à tous les opérateurs d’un secteur des règles de prix définies par une organisation interprofessionnelle, alors même qu’une organisation commune des marchés existait déjà pour les produits concernés. Il s’agissait plus précisément de savoir si les États membres conservaient une compétence pour réguler les prix en complément ou en marge des mécanismes prévus par le droit communautaire.

En réponse, la Cour a jugé que la réglementation communautaire portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes était exhaustive. Elle a affirmé que le règlement n° 1035/72, dans sa version applicable aux faits, « doit être interprété en ce sens qu’il ne laissait aucune compétence aux États membres pour étendre aux producteurs et aux transformateurs nationaux, non affiliés à une organisation interprofessionnelle de secteur, les règles établies par cette dernière dans le cadre d’accords portant fixation des prix minimaux d’achat pour certains légumes ». La Cour en déduit logiquement que l’obligation pour les producteurs non affiliés de financer des activités jugées contraires au droit communautaire est elle-même illégale. La Cour affirme ainsi avec force le caractère exclusif de la réglementation communautaire en matière d’organisation commune des marchés (I), avant de tirer les conséquences logiques de cette prééminence sur les obligations financières imposées aux opérateurs économiques (II).

I. L’affirmation du caractère exclusif de l’organisation commune des marchés

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation stricte des compétences respectives de la Communauté et des États membres, en commençant par délimiter précisément le champ d’application de la réglementation pertinente (A), pour ensuite exclure toute intervention étatique parallèle en matière de prix (B).

A. La délimitation du champ d’application matériel de la réglementation communautaire

La première étape du raisonnement de la Cour consiste à identifier le texte communautaire applicable aux produits en cause. L’organisation interprofessionnelle soutenait que les légumes étant destinés à la transformation, ils devaient relever du règlement n° 516/77 relatif aux produits transformés, et non du règlement n° 1035/72 visant les fruits et légumes frais. Cette argumentation tendait à dissocier les relations entre producteurs et transformateurs de l’organisation du marché des produits frais. La Cour écarte fermement cette interprétation.

Elle juge en effet que les produits doivent être considérés à l’état où ils font l’objet de la transaction litigieuse, c’est-à-dire à l’état frais, indépendamment de leur destination finale. Elle estime que la normalisation et la régulation des prix, objectifs centraux du règlement n° 1035/72, ne peuvent atteindre leur plein effet que si elles s’appliquent « à tous les stades de la commercialisation ». Retirer les produits destinés à la transformation du champ de ce règlement en amont de leur transformation reviendrait à priver l’organisation commune des marchés d’une part substantielle de son efficacité. Cette clarification confirme que la nature du produit au moment de l’échange prime sur son usage futur.

B. Le rejet de toute compétence étatique complémentaire en matière de prix

Une fois le cadre réglementaire établi, la Cour examine la compatibilité de la mesure nationale d’extension avec celui-ci. Elle rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle l’établissement d’une organisation commune de marché impose aux États membres une obligation de s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte. Le règlement n° 1035/72 instaurait un système complet et détaillé, notamment en ce qui concerne les mécanismes d’intervention sur les prix, comme les prix de retrait que les organisations de producteurs peuvent imposer à leurs seuls adhérents.

La législation française, en permettant l’extension d’un prix minimal d’achat à tous les opérateurs, a créé un système de prix garantis uniforme qui se substitue aux mécanismes prévus par le droit communautaire. La Cour juge qu’un État membre n’est pas compétent pour généraliser des règles d’intervention que le législateur communautaire a volontairement limitées aux membres des organisations de producteurs. En agissant ainsi, l’État membre porte atteinte à la cohérence et à l’uniformité de l’organisation commune des marchés. La solution réaffirme donc le principe de préemption du droit communautaire dans les domaines où il a établi une réglementation exhaustive.

II. Les conséquences de la primauté du droit communautaire sur les dispositifs nationaux

La reconnaissance de l’incompatibilité de principe de l’extension des accords (A) entraîne inévitablement l’illégalité des contributions financières destinées à la mise en œuvre de ces mêmes accords (B).

A. L’incompatibilité des extensions d’accords interprofessionnels avec le marché commun

La décision de la Cour ne se limite pas à une simple question technique de répartition des compétences. Elle réaffirme que le système d’accords interprofessionnels étendus, tel qu’il est appliqué en l’espèce, est fondamentalement incompatible avec la structure même du marché commun agricole. En fixant un prix d’achat minimal obligatoire pour tous, la mesure nationale entrave le libre jeu de l’offre et de la demande que l’organisation commune des marchés vise précisément à encadrer, mais non à supprimer. Elle crée une rigidité des prix sur le marché national qui est étrangère au système communautaire.

Par cette décision, la Cour censure indirectement la législation nationale qui autorise de telles extensions sans s’assurer de leur conformité avec les règles supérieures du droit communautaire. Bien que le règlement n° 3284/83 ait ultérieurement ouvert une possibilité d’extension sous des conditions strictes, la Cour souligne que, pour la période litigieuse, cette faculté n’existait pas. L’arrêt illustre ainsi la vigilance de la Cour face aux tentatives des États membres de maintenir des instruments de politique agricole nationale dans des secteurs entièrement réglementés au niveau communautaire.

B. L’illégalité du financement obligatoire d’activités contraires au droit communautaire

La seconde partie du dispositif de l’arrêt découle logiquement de la première. La question se posait de savoir si une organisation pouvait contraindre des non-membres à financer ses activités, même si l’une de ces activités principales, la fixation de prix étendus, était jugée illégale. La Cour y répond par la négative en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure. Elle énonce clairement que l’obligation de participer au financement « est illégale dans la mesure où elle sert à financer des activités qui sont elles-mêmes jugées contraires au droit communautaire ».

Ce principe de l’accessoire qui suit le principal est d’une grande portée pratique. Il signifie que la légalité d’une cotisation obligatoire est directement conditionnée par la légalité des fins qu’elle poursuit. La Cour renvoie ainsi à la juridiction nationale le soin d’apprécier concrètement « quelle est la partie de la contribution financière, exigée des producteurs non affiliés, qui sert à financer de telles activités ». Cette solution protectrice des opérateurs économiques empêche que des fonds prélevés de manière obligatoire ne soient utilisés pour maintenir en place des systèmes nationaux qui faussent le fonctionnement du marché commun.

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