Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 23 mars 2000. – Commission des Communautés européennes contre République française. – Manquement d’Etat – Directive 93/15/CEE. – Affaire C-327/98.

La Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt rendu le 2 décembre 1999, a statué sur un recours en manquement initié par la Commission à l’encontre d’un État membre. Cet arrêt porte sur l’absence de transposition de plusieurs dispositions d’une directive du 5 avril 1993, relative à l’harmonisation des règles de mise sur le marché et de contrôle des explosifs à usage civil. La Commission, après avoir constaté que l’État membre n’avait pas mis en vigueur l’ensemble des mesures nécessaires dans le délai imparti, expirant le 30 septembre 1993, a engagé la procédure prévue à l’article 169 du traité CE.

Les faits à l’origine du litige sont caractérisés par une inaction prolongée. Suite à une lettre de mise en demeure d’avril 1994, le gouvernement de l’État mis en cause avait invoqué l’élaboration en cours des textes de transposition. Près de trois ans plus tard, un décret fut communiqué, mais la Commission l’estima partiel, considérant que plusieurs articles de la directive, notamment ceux régissant le transfert des explosifs et des munitions, n’étaient toujours pas transposés. Elle adressa en conséquence un avis motivé en avril 1997, lequel demeura sans réponse, la conduisant à saisir la Cour. Devant celle-ci, l’État défendeur a soutenu, d’une part, que des difficultés pratiques et le manque de précision de la directive justifiaient l’absence de transposition concernant les explosifs. D’autre part, il a affirmé avoir transposé les dispositions relatives aux munitions par un décret du 6 mai 1995, tout en reconnaissant que l’application effective de ce dernier était subordonnée à un arrêté d’application non encore adopté à l’expiration du délai fixé par l’avis motivé.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si un État membre peut se prévaloir de difficultés d’application pour justifier un défaut de transposition, et si l’adoption d’une législation nationale qui renvoie à des actes d’application ultérieurs non édictés constitue une transposition adéquate. La Cour de justice a répondu par la négative à ces deux interrogations, constatant le manquement de l’État à ses obligations. Elle juge que ni les difficultés pratiques ni le caractère prétendument imprécis d’une directive ne peuvent exonérer un État de son obligation de transposition. De surcroît, elle précise qu’une transposition n’est ni pleine ni précise si les dispositions nationales adoptées ne sont pas entrées en vigueur, leur effectivité dépendant d’actes réglementaires qui n’ont pas été pris dans les délais.

L’analyse de cette décision conduit à examiner le caractère dirimant des justifications présentées par l’État membre (I), avant d’étudier la portée de cet arrêt qui constitue une réaffirmation de principes fondamentaux du droit de l’Union (II).

I. L’inopposabilité des justifications avancées par l’État membre

La Cour de justice rejette sans équivoque les deux lignes d’argumentation développées par l’État défendeur. Elle écarte d’abord la justification fondée sur les difficultés matérielles d’exécution de la directive (A), puis celle tirée de l’existence d’une transposition formelle mais incomplète (B).

A. Le rejet des difficultés pratiques comme moyen d’exonération

L’État membre soutenait ne pas avoir manqué à ses obligations au motif que certaines dispositions de la directive n’étaient pas suffisamment précises pour être transposées, notamment en l’absence d’un document commun de transfert des explosifs au niveau communautaire. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « les difficultés d’application apparues au stade de l’exécution d’un acte communautaire ne sauraient permettre à un État membre de se dispenser unilatéralement de l’observation de ses obligations ». Cette position de principe vise à garantir l’effectivité et l’application uniforme du droit de l’Union. Accepter qu’un État puisse unilatéralement juger une directive inapplicable reviendrait à compromettre l’ensemble de l’édifice juridique communautaire, fondé sur le respect mutuel des engagements.

En outre, la Cour précise que l’absence d’un document harmonisé au niveau de l’Union, même si ce dernier pouvait faciliter les transferts, « ne saurait empêcher un État membre d’adopter les dispositions législatives et réglementaires nécessaires à la transposition de la directive ». Par cette formule, elle souligne que l’obligation de résultat qui incombe aux États en vertu de l’article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) impose de prendre toutes les mesures internes propres à atteindre les objectifs fixés, indépendamment des éventuelles mesures d’harmonisation complémentaires que la Commission pourrait adopter. L’État membre ne peut donc se retrancher derrière une prétendue carence des institutions communautaires pour masquer sa propre défaillance.

B. L’insuffisance d’une transposition formelle et inachevée

Concernant le transfert de munitions, le gouvernement défendeur faisait valoir l’adoption d’un décret visant à transposer la directive. Cependant, l’article 95 de ce texte renvoyait à un arrêté d’application la définition des conditions de mise en œuvre des procédures de permis et d’autorisation. Or, cet arrêté n’avait pas été adopté dans le délai imparti. La Cour constate que de telles dispositions ne sauraient trouver application en l’absence de l’acte réglementaire nécessaire. Elle en déduit qu’une législation nationale « renvoyant ainsi à une réglementation devant ultérieurement mettre en oeuvre les dispositions destinées à transposer » la directive « ne saurait être considérée comme en opérant une transposition pleine et précise ».

Cette solution est essentielle pour garantir l’effet utile des directives. Une transposition n’est effective que lorsque les normes nationales créent une situation juridique suffisamment claire et précise pour permettre aux justiciables de connaître leurs droits et obligations. Un simple renvoi à des textes futurs laisse perdurer une incertitude juridique incompatible avec les exigences du droit de l’Union. Tant que les mesures d’application ne sont pas en vigueur, les dispositions de la directive ne sont pas réellement intégrées dans l’ordre juridique interne et les objectifs qu’elle poursuit ne sont pas atteints. Par conséquent, la Cour juge que les actes de transposition qui dérogent ou complètent une règle générale elle-même non transposée sont « dénués de pertinence ».

II. La réaffirmation des principes fondamentaux du droit de l’Union

Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt est l’occasion pour la Cour de justice de rappeler avec fermeté deux principes cardinaux qui structurent les rapports entre l’Union et ses membres : le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition (A) et le cadre temporel strict de l’appréciation du manquement (B).

A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition

Cet arrêt illustre la nature impérative de l’obligation de transposer les directives. Cette obligation, qui découle directement du traité, est la condition nécessaire à la réalisation des objectifs de l’Union, notamment le fonctionnement du marché intérieur. En harmonisant les législations nationales, les directives visent à supprimer les entraves aux échanges et à garantir des conditions de concurrence équitables. Le défaut de transposition par un seul État membre crée une rupture d’égalité et une distorsion qui affectent l’ensemble du système. C’est pourquoi la Cour se montre particulièrement rigoureuse et refuse de reconnaître quelque justification que ce soit, qu’elle soit d’ordre pratique, politique ou juridique interne.

La décision commentée s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle bien établie qui confère une portée absolue à l’obligation de transposition. Le manquement est constitué par le simple fait de ne pas avoir atteint le résultat prescrit par la directive dans le délai imparti, sans qu’il soit besoin de prouver un préjudice ou une intention fautive. En réitérant que l’imprécision alléguée d’une directive ne saurait justifier sa non-transposition, la Cour rappelle implicitement que les États membres disposent d’autres voies, comme le recours en annulation, s’ils estiment qu’un acte des institutions est illégal. Se soustraire à l’obligation de transposition s’analyse en un acte de désobéissance à la règle de droit commune.

B. Le cadre temporel de l’appréciation du manquement

La Cour prend soin de préciser le moment auquel elle se place pour évaluer l’existence d’une infraction aux traités. L’État défendeur ayant fait état de l’adoption de l’arrêté d’application après l’expiration du délai de l’avis motivé, la Cour énonce de manière péremptoire que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé par l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour ». Cette règle procédurale est d’une importance capitale pour l’efficacité des recours en manquement.

Elle a pour double effet de cristalliser le litige à une date précise et d’inciter les États membres à régulariser leur situation au plus tard durant la phase précontentieuse. Si la Cour tenait compte des modifications législatives postérieures à l’expiration du délai de l’avis motivé, les États pourraient être tentés de ne légiférer que sous la menace imminente d’une condamnation, ce qui priverait l’avis motivé de son effet utile et prolongerait indûment les situations d’infraction. En figeant l’analyse à l’issue de cette étape, la Cour confère toute sa force à la procédure précontentieuse et assure une application rapide et effective du droit de l’Union. Le manquement est ainsi consommé dès l’expiration du délai, et toute régularisation ultérieure ne peut effacer la violation passée des obligations issues du traité.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture