Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 24 janvier 2002. – République de Finlande contre Commission des Communautés européennes. – FEOGA – Apurement des comptes – Exercices 1996 et 1997 – Primes spéciales pour les taureaux – Procédure à suivre par la Commission. – Affaire C-170/00.

Par un arrêt en date du 20 septembre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les modalités procédurales de l’apurement des comptes du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole. En l’espèce, les services de la Commission ont effectué en 1997 des vérifications concernant des primes agricoles versées par un État membre. À la suite de ce contrôle, une communication a été adressée par télécopie le 20 mai 1997 aux autorités nationales, faisant état de lacunes dans le système de contrôle et indiquant que la Commission se réservait le droit de refuser le financement de certaines dépenses. Une réponse était sollicitée dans un délai de deux mois. Postérieurement, par une lettre du 17 septembre 1998, la Commission a formellement notifié son intention d’écarter certaines dépenses, mais l’annexe détaillant les constatations n’a été transmise que le 11 décembre 1998.

L’État membre a saisi la Cour de justice d’une demande d’annulation de la décision de la Commission écartant des dépenses effectuées entre le 20 mai 1995 et le 21 décembre 1996. Il soutenait que le délai de forclusion de vingt-quatre mois, prévu par l’article 5, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 729/70, n’avait commencé à courir qu’à la date de réception de la communication complète, soit le 22 décembre 1998. Selon lui, le document du 20 mai 1997 ne constituait pas une communication écrite valide, faute de forme adéquate et en l’absence de référence expresse à l’article 8 du règlement d’application n° 1663/95. La Commission, pour sa part, estimait que la communication du 20 mai 1997 remplissait les conditions nécessaires pour faire courir le délai.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si une communication informant un État membre des résultats de vérifications, transmise par télécopie et omettant la référence à une disposition réglementaire spécifique, constitue une « communication écrite » apte à déclencher le délai de forclusion de vingt-quatre mois.

La Cour de justice a jugé que la communication du 20 mai 1997 avait valablement fait courir ce délai. Elle a considéré que l’envoi par télécopie répondait à l’exigence d’un support écrit à ce stade de la procédure, et que l’omission d’une référence réglementaire ne constituait pas une violation d’une formalité substantielle, dès lors que l’État membre avait été pleinement informé des griefs et des risques financiers encourus.

La solution retenue par la Cour de justice consacre une interprétation fonctionnelle des règles de procédure, privilégiant l’effectivité de l’information transmise à un formalisme strict. Cette approche mérite d’être analysée tant du point de vue de la qualification de l’acte interruptif de délai que de ses implications pour l’équilibre des relations entre la Commission et les États membres.

I. L’interprétation fonctionnelle des conditions de la communication

La Cour de justice examine successivement les exigences de forme et de fond de la communication pour conclure à sa validité. Elle admet d’une part une conception souple de la forme écrite (A) et évalue d’autre part le contenu de l’acte au regard de sa finalité informative (B).

A. La reconnaissance de la télécopie comme support écrit suffisant

L’État membre requérant soutenait qu’une télécopie ne pouvait satisfaire à l’exigence d’une « communication écrite » au sens de la réglementation. La Cour écarte cet argument en opérant une distinction utile entre les différentes étapes de la procédure d’apurement. Elle relève que l’article 8 du règlement n° 1663/95 différencie la « communication des constatations » de la « communication formelle des conclusions ». La première, qui initie la phase contradictoire, n’est pas soumise aux mêmes exigences que la seconde, qui clôt cette phase.

Pour la communication initiale, la Cour estime que la forme écrite remplit une simple « fonction probatoire dans la relation entre la Commission et l’État membre concerné ». Par conséquent, « cette fonction probatoire est assurée par tout procédé impliquant un support écrit », ce qui inclut expressément la télécopie ou le télex. Cette solution pragmatique reconnaît l’évolution des moyens de communication et aligne la procédure sur les pratiques administratives courantes. Elle évite qu’un État membre ne puisse se prévaloir d’un argument purement formel pour échapper aux conséquences d’un avertissement qu’il a effectivement reçu.

B. L’appréciation substantielle du contenu de l’acte

Le second argument de l’État membre portait sur l’absence, dans le document du 20 mai 1997, d’une référence explicite à l’article 8 du règlement n° 1663/95, pourtant requise par cette même disposition. La Cour reconnaît que la Commission est en principe tenue de respecter les règles qu’elle s’impose. Toutefois, elle refuse de sanctionner cette omission en l’espèce, au motif qu’il ne s’agit pas d’une violation d’une formalité substantielle.

Le raisonnement de la Cour se fonde sur la finalité de la communication. L’acte litigieux remplissait la « fonction d’avertissement » qui lui est impartie, car il donnait à l’État membre « une parfaite connaissance des réserves de la Commission et des corrections qui seraient vraisemblablement retenues ». Les droits de la défense de l’État ont donc été pleinement protégés. L’absence de la référence réglementaire n’a causé aucun préjudice à l’État membre, qui a d’ailleurs pu répondre aux observations de la Commission dans le délai imparti. En subordonnant la nullité d’un acte à la preuve d’une atteinte aux droits qu’il protège, la Cour confirme une jurisprudence bien établie qui privilégie la substance sur la forme.

Cette approche, si elle garantit l’efficacité de l’action administrative de la Commission, pose néanmoins la question de la sécurité juridique et de la prévisibilité des règles de procédure. La portée de cette décision dépasse ainsi le simple cadre technique de l’apurement des comptes.

II. La portée de la décision : un équilibre entre efficacité du contrôle et sécurité juridique

L’arrêt illustre la tension entre la nécessité d’un contrôle financier efficace et le respect des garanties procédurales accordées aux États membres. En refusant un formalisme excessif, la Cour renforce les prérogatives de la Commission (A), tout en encadrant cette souplesse par le respect effectif des droits de la défense (B).

A. Le rejet d’un formalisme paralysant au service de l’efficacité

La décision commentée s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui vise à empêcher que les procédures ne soient détournées de leur finalité par des arguments purement formels. La Cour énonce clairement que « les États membres ne sauraient adopter, dans leurs relations avec la Commission, des positions purement formalistes, lorsqu’il ressort des circonstances que leurs droits ont été pleinement protégés ». Ce principe de bonne foi procédurale est essentiel au bon fonctionnement des mécanismes de contrôle financier de l’Union.

En validant une communication rapide, même informelle dans sa présentation, la Cour permet à la Commission de faire courir le délai de forclusion dès la fin de ses investigations sur place. Cela évite que des retards dans la rédaction d’une communication formelle ne réduisent la période sur laquelle les corrections financières peuvent porter. La solution favorise ainsi la protection des intérêts financiers de l’Union, objectif central de la politique agricole commune. Elle incite les États membres à répondre avec diligence aux premières observations de la Commission, plutôt qu’à attendre une notification plus solennelle pour prendre conscience des risques.

B. La centralité du respect des droits de la défense comme garde-fou

Si la Cour fait preuve de souplesse, elle ne donne pas pour autant un blanc-seing à la Commission. La validité de la communication reste conditionnée au fait que l’État membre ait été mis en mesure de comprendre les griefs et de préparer sa défense. Le critère décisif demeure la protection effective des droits. Le document du 20 mai 1997 a été jugé suffisant car il était précis, détaillait les défaillances constatées et indiquait clairement les dépenses susceptibles d’être écartées.

La portée de cet arrêt est donc nuancée. Une communication de la Commission qui serait vague, imprécise ou qui n’indiquerait pas clairement les conséquences financières potentielles ne pourrait vraisemblablement pas faire courir le délai de forclusion, même si elle était transmise par un moyen de communication moderne. La flexibilité formelle est donc contrebalancée par une exigence de rigueur substantielle. L’équilibre trouvé par la Cour de justice vise à garantir que le dialogue entre la Commission et les États membres soit à la fois efficace et loyal, assurant ainsi une saine gestion des deniers publics européens.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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