Un manquement aux obligations contractuelles avait conduit un organisme national à déclarer acquise la caution constituée par une entreprise dans le cadre d’un régime d’aide communautaire au stockage privé. Cette décision administrative fut contestée devant la juridiction nationale, laquelle a sursis à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle mesure avec le droit communautaire. Les faits à l’origine du litige concernaient une entreprise s’étant engagée à stocker une quantité de viande bovine fraîche en contrepartie d’aides financières, conformément au règlement n°1071/68 de la Commission. Pour garantir l’exécution de ses obligations, elle avait constitué une caution sous forme de garantie bancaire. À l’issue de la période de stockage contractuelle, l’organisme national compétent avait procédé à la libération de cette caution. Cependant, une enquête ultérieure révéla que l’opérateur économique avait en réalité stocké un produit non conforme, en l’occurrence de la viande congelée provenant d’un pays tiers. L’organisme national décida alors de retirer sa décision de libération de la caution et de déclarer celle-ci acquise, procédant à une compensation avec une autre créance que l’entreprise détenait à son encontre. Saisie d’un recours par l’entreprise, la juridiction de renvoi a exprimé des doutes quant à l’existence d’une base juridique en droit communautaire autorisant une telle récupération a posteriori, une fois la période de stockage expirée. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le règlement communautaire organisant le régime de cautionnement permettait à une autorité nationale, après l’expiration de la période de stockage, de recouvrer une caution indûment libérée ou d’imposer une sanction pécuniaire équivalente. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant que le droit communautaire ne prévoyait pas une telle faculté de récupération, mais a souligné que cette situation laissait intacte l’obligation pour les autorités nationales de poursuivre les manœuvres frauduleuses sur le fondement de leur droit interne.
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte de la finalité du mécanisme de cautionnement (I), tout en opérant une distinction claire entre le régime de garantie communautaire et la répression des fraudes qui relève de la compétence nationale (II).
I. La conception restrictive du régime de cautionnement
La Cour de justice encadre précisément le mécanisme de la caution, en en limitant la fonction à la seule période d’exécution de l’engagement (A) et en refusant de lui attacher le caractère d’une sanction pécuniaire autonome en l’absence de fondement textuel clair (B).
A. Une garantie limitée à la période d’exécution de l’engagement
La Cour analyse la caution comme un instrument préventif destiné à garantir l’accomplissement effectif des obligations assumées par l’opérateur économique. Elle précise que ce régime vise à « garantir la realite des importations et exportations », un raisonnement qu’elle transpose au stockage privé pour assurer le respect de l’engagement pris. La nature même de la garantie s’oppose à ce qu’elle puisse être mobilisée une fois le risque qu’elle couvre entièrement réalisé ou, comme en l’espèce, une fois la période contractuelle achevée. La Cour considère que l’engagement de stockage ne peut plus être exécuté après l’expiration du délai, rendant sans objet une garantie qui visait précisément à en assurer la bonne fin. Ainsi, exiger la reconstitution ou le paiement d’un montant équivalent à la caution ne servirait plus à garantir l’opération de stockage, mais prendrait la nature d’une sanction pour sa non-exécution. La Cour affirme donc clairement qu’« il N ‘ est pas possible D ‘ exiger la reconstitution D ‘ une garantie lorsque le risque pour lequel elle avait ete constituee S ‘ est deja realise ». Cette position ancre la fonction de la caution dans une temporalité stricte, celle de l’exécution du contrat, et lui refuse toute capacité à produire des effets au-delà.
B. Le rejet d’une sanction en l’absence de base légale explicite
Poursuivant son raisonnement, la Cour examine si, au-delà de la garantie elle-même, la réglementation contient une obligation distincte de payer une pénalité en cas de manquement. Elle rappelle avec force un principe fondamental selon lequel « une sanction , meme de caractere non penal , ne peut etre infligee que si elle repose sur une base legale claire et non ambigue ». Or, l’analyse de l’article 4 du règlement n°1071/68 ne révèle aucune disposition expresse permettant d’imposer une sanction pécuniaire équivalente à la caution après la libération de cette dernière. Les juges rejettent ainsi l’idée que le système contiendrait une pénalité contractuelle implicite qui survivrait à la libération de la garantie. La Cour refuse de combler ce qu’elle reconnaît pourtant comme une potentielle « lacune dans le regime du cautionnement », considérant que l’argument de l’efficacité ne peut suffire à créer une base légale pour une sanction. Cette approche légaliste et protectrice des droits des opérateurs économiques empêche les autorités nationales d’extrapoler les textes communautaires pour imposer des charges non explicitement prévues.
En définissant ainsi les limites strictes du régime de cautionnement, la Cour se tourne vers la répartition des compétences pour déterminer comment les manquements frauduleux doivent être traités.
II. La répartition des compétences répressives entre l’ordre juridique communautaire et les ordres nationaux
La Cour affirme que le règlement constitue un système complet ne pouvant être amendé par les droits nationaux (A), mais elle rappelle que ces derniers conservent la compétence et le devoir de sanctionner les fraudes sur leur propre fondement (B).
A. L’affirmation du caractère complet du système communautaire
La Cour de justice établit que la réglementation sur les aides au stockage forme un « systeme complet en ce sens qu ‘ il ne laisse pas aux etats membres la faculte de prevoir dans leur droit national […] une obligation pour les operateurs economiques qui N ‘ a pas de fondement dans la reglementation communautaire ». Cette affirmation est capitale car elle consacre la primauté et l’uniformité du droit communautaire dans ce domaine. Une législation nationale qui autoriserait le retrait d’une décision de libération de caution et la récupération de son montant serait incompatible avec le droit communautaire. La Cour écarte également l’applicabilité de l’article 8 du règlement n°729/70 relatif au financement de la politique agricole commune, considérant que l’obligation de récupérer les sommes indûment versées ne peut s’étendre au recouvrement d’une pénalité dépourvue de base légale dans la réglementation sectorielle. En conséquence, les États membres ne peuvent unilatéralement instaurer des mécanismes de sanction pour combler les silences des textes communautaires, garantissant ainsi une application homogène des règles à travers l’Union.
B. Le renvoi au droit national pour la sanction des manœuvres frauduleuses
Si le droit communautaire ne permet pas de récupérer la caution, il n’offre pas pour autant une impunité à l’opérateur frauduleux. La Cour opère une distinction fondamentale en précisant que sa décision « laisse entiers le droit et le devoir des autorites nationales de poursuivre , selon leur droit national , un operateur economique qui a obtenu la liberation de la caution par des manoeuvres frauduleuses ». Cette précision est essentielle : elle réaffirme que la lutte contre les irrégularités et la fraude portant atteinte aux finances communautaires relève de la compétence des États membres. Ces derniers doivent utiliser les instruments de leur propre ordre juridique, qu’ils soient de nature pénale ou administrative, pour sanctionner de tels comportements. La Cour souligne ainsi que la solution aux agissements illicites ne se trouve pas dans une extension prétorienne du mécanisme de cautionnement, mais dans la mise en œuvre effective des prérogatives de puissance publique nationales, conformément au principe de coopération loyale. La sanction de la fraude est ainsi assurée, mais sur un fondement juridique distinct de celui du régime de garantie.