Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 26 septembre 2000. – IGI – Investimentos Imobiliários SA contre Fazenda Pública. – Demande de décision préjudicielle: Supremo Tribunal Administrativo – Portugal. – Directive 69/335/CEE – Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux – Droits d’inscription à un registre national des personnes morales – Droits ayant un caractère rémunératoire. – Affaire C-134/99.

Par un arrêt rendu le 21 mars 2000, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime des impositions frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une société de capitaux avait procédé à une augmentation de son capital social, une opération soumise à une obligation d’inscription auprès d’un registre national des personnes morales. L’administration nationale compétente avait alors liquidé des droits d’inscription calculés sur une base proportionnelle au montant de l’augmentation de capital, à un taux de 0,5 %, en sus d’une somme fixe. La société s’est acquittée du montant réclamé avant de contester la légalité de cette perception au regard du droit communautaire, et notamment de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969. Saisie en dernier ressort, la juridiction administrative suprême de l’État membre concerné a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé en substance si la perception d’un droit d’enregistrement, dont le montant est proportionnel à l’augmentation de capital, est compatible avec la directive qui vise à harmoniser les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. La Cour de justice a jugé qu’une telle perception constitue une imposition prohibée par l’article 10 de la directive et ne peut être qualifiée de droit ayant un caractère rémunératoire au sens de son article 12. Elle a par ailleurs confirmé que les justiciables peuvent se prévaloir de ces dispositions devant les juridictions nationales pour faire écarter une législation interne contraire. La solution clarifie la nature des prélèvements interdits par la directive (I), tout en définissant de manière restrictive la dérogation admise pour les droits rémunérant un service (II).

I. L’assimilation du droit d’enregistrement proportionnel à une imposition prohibée

La Cour de justice adopte une lecture finaliste de la directive pour qualifier la nature du prélèvement litigieux, en retenant une conception large de la notion d’imposition (A) et en l’appliquant à une formalité essentielle de la vie sociale (B).

A. Une conception extensive de la notion d’imposition

La Cour de justice considère que les droits perçus pour l’inscription d’une augmentation de capital constituent bien une imposition au sens de la directive 69/335/CEE. Elle relève que ces droits, « dus en application d’une règle de droit édictée par l’État, sont versés par une personne privée à l’État pour financer des missions de cet État ». Ce faisant, la Cour écarte la qualification de simple redevance administrative que la législation nationale pouvait suggérer. Elle se fonde sur les objectifs de la directive, qui visent à la suppression des impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que le droit d’apport, afin de ne pas entraver la libre circulation des capitaux. Peu importe donc la dénomination du prélèvement en droit interne ; dès lors qu’il alimente les finances publiques et frappe une opération liée aux rassemblements de capitaux, il entre dans le champ d’application de la directive. Cette approche matérielle et téléologique assure l’effet utile du texte en prévenant les contournements par les États membres au moyen de qualifications juridiques alternatives.

B. Une formalité constitutive d’un acte prohibé

Après avoir qualifié le prélèvement d’imposition, la Cour examine s’il tombe sous le coup de l’interdiction de principe posée à l’article 10 de la directive. Cette disposition prohibe toute imposition, en dehors du droit d’apport, perçue pour « l’immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité, à laquelle une société […] peut être soumise en raison de sa forme juridique ». La Cour confirme que cette interdiction s’applique non seulement à la constitution des sociétés, mais aussi aux augmentations de capital. Elle juge que l’inscription de l’augmentation de capital au registre national est une « formalité essentielle liée à la forme juridique de la société et qu’elle conditionne l’exercice et la poursuite de l’activité de celle-ci ». L’analyse dépasse ainsi le seul moment de la création de l’entreprise pour englober les actes fondamentaux qui jalonnent son existence et conditionnent son financement. Une telle formalité, parce qu’elle est un passage obligé pour la société, ne saurait donner lieu à une taxation qui reconstituerait l’obstacle que la directive a précisément pour but d’éliminer.

La qualification d’imposition prohibée étant établie, il restait à déterminer si le prélèvement pouvait néanmoins être sauvé par l’une des dérogations prévues par la directive.

II. Le rejet de la qualification de droit à caractère rémunératoire

La Cour de justice ferme la porte à la justification du prélèvement en tant que droit rémunérant un service, en rappelant les critères stricts de cette exception (A) et en constatant l’impossibilité pour un droit proportionnel et non plafonné de les satisfaire (B).

A. La définition stricte de la contrepartie d’un service

L’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive autorise les États membres à percevoir des « droits ayant un caractère rémunératoire ». La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cette notion ne couvre que les « seules rétributions dont le montant est calculé sur la base du coût du service rendu ». Un prélèvement dont le montant serait sans lien avec le coût de la prestation administrative particulière ou qui serait calculé en fonction des coûts de fonctionnement généraux d’une administration ne saurait bénéficier de cette dérogation. La Cour admet que le coût puisse être évalué de manière forfaitaire, en prenant en compte des éléments raisonnables comme le temps passé par les agents ou les frais matériels. Toutefois, le lien avec le coût du service demeure le critère dirimant. Cette interprétation restrictive est indispensable pour préserver la portée de l’interdiction posée à l’article 10 ; une acception trop souple de la notion de « droit rémunératoire » permettrait en effet de vider de sa substance le principe de suppression des taxes sur les rassemblements de capitaux.

B. L’incompatibilité d’un droit proportionnel avec la notion de service rendu

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour constate que le droit litigieux ne peut avoir un caractère rémunératoire. Le fait que son montant « augmente directement et sans limites en proportion du capital nominal souscrit » est jugé par nature incompatible avec la notion de rémunération d’un service. La Cour expose en effet que le coût administratif de l’enregistrement d’une augmentation de capital n’est pas corrélé à l’importance des capitaux souscrits. La complexité de la formalité n’augmente pas proportionnellement au montant de l’opération, et un tel droit est donc « généralement sans rapport avec les frais concrètement exposés par l’administration ». La structure même du prélèvement révèle qu’il ne s’agit pas de couvrir un coût, mais bien de taxer le capital. Enfin, en réaffirmant l’effet direct de l’article 10 de la directive, la Cour garantit aux justiciables le droit d’obtenir le remboursement des sommes indûment perçues, consacrant ainsi la pleine effectivité de la norme communautaire dans les ordres juridiques nationaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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