Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 27 février 1992. – Bremer Rolandmühle Erling & Co. et Kurt A. Becher GmbH & Co. KG contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas. – Demandes de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Paiement à l’avance des restitutions à l’exportation – Produit exporté dont les caractéristiques sont différentes de celles mentionnées dans la déclaration de paiement – Conséquences. – Affaires jointes C-5/90 et C-206/90.

Par un arrêt rendu dans des affaires jointes, la Cour de justice des Communautés européennes, sur renvoi préjudiciel du Bundesfinanzhof allemand, a interprété la réglementation communautaire relative au paiement à l’avance des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles. Les faits à l’origine du litige concernent un opérateur économique ayant bénéficié d’un préfinancement pour l’exportation de farine de froment d’une qualité spécifique, définie par une faible teneur en cendres. Cependant, des contrôles ultérieurs ont révélé que la farine effectivement exportée présentait une teneur en cendres supérieure, ce qui correspondait à une catégorie ouvrant droit à une restitution d’un montant inférieur.

L’autorité douanière nationale a alors exigé le remboursement intégral des sommes avancées, considérant que l’engagement initial n’avait pas été respecté. Saisi du litige, le Finanzgericht Hamburg a jugé que l’opérateur ne devait rembourser que la différence entre le montant perçu et celui auquel il avait réellement droit. Les parties ont interjeté appel de cette décision devant le Bundesfinanzhof. Face à l’incertitude sur l’interprétation des dispositions pertinentes du règlement communautaire, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles.

Il s’agissait de déterminer si un opérateur, dans une telle situation, est tenu de rembourser la totalité du montant préfinancé, ou s’il doit uniquement restituer la part indûment perçue. La question se posait également de savoir quel taux de restitution devait être utilisé pour calculer le montant réellement dû à l’opérateur. La Cour de justice a répondu que seul le remboursement de la différence entre la somme avancée et la restitution effectivement due pouvait être exigé, et que le calcul de cette dernière devait s’opérer selon les règles propres au régime de préfinancement.

La solution de la Cour de justice repose sur une interprétation finaliste des textes, qui clarifie la nature de la sanction applicable en cas de non-conformité partielle du produit exporté. Elle écarte une pénalité excessive (I) pour asseoir une sanction qui préserve la cohérence du régime des restitutions (II).

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I. La clarification du régime des sanctions en cas de non-conformité

La Cour précise la sanction applicable en distinguant nettement l’hypothèse d’une non-conformité des caractéristiques du produit de celle d’un non-respect des délais. Elle rejette ainsi une sanction assimilable à la déchéance totale de l’aide (A) au profit d’une approche proportionnée à l’avantage réellement perçu par l’opérateur (B).

A. Le rejet d’une sanction assimilable à la déchéance totale de l’aide

La Commission et l’autorité douanière soutenaient que le cas d’espèce devait relever de l’article 10, paragraphe 4, sous a), du règlement n° 798/80, qui impose le remboursement d’un montant égal à la caution lorsque les délais d’exportation ne sont pas respectés. Leur raisonnement assimilait l’exportation d’un produit aux caractéristiques différentes à un non-respect des obligations fondamentales de l’opérateur, justifiant la sanction la plus sévère. La Cour écarte cette interprétation en soulignant que la lettre et l’objet de la réglementation distinguent clairement ces deux situations.

Elle juge en effet que « ni la lettre ni l’objet des dispositions de l’article 10, paragraphe 4, sous b) et c), ne permettent d’exclure le cas visé par le juge national de leur champ d’application ». Ces dispositions visent spécifiquement les cas où « le montant de la restitution est inférieur à celui visé au paragraphe 1, sous b) », ce qui correspond précisément à la situation où la qualité du produit exporté justifie une aide moindre. L’analyse de la Cour est rigoureuse : elle refuse d’étendre le champ d’application d’une disposition relative aux délais à une question de conformité matérielle du produit. La différence de nature entre les farines n’est pas considérée comme une différence de produit, mais comme une variation de caractéristiques au sein de la même catégorie de marchandises, ce qui appelle une sanction graduée et non une disqualification complète.

B. L’adoption d’une sanction proportionnée à l’enrichissement indu

En écartant la sanction maximale, la Cour s’oriente vers une solution fondée sur le principe de proportionnalité, en lien direct avec la finalité du régime des restitutions. L’objectif de la réglementation est d’éviter un enrichissement sans cause de l’opérateur, et non de le punir de manière disproportionnée pour une exécution imparfaite de ses engagements. La Cour rappelle sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt du 5 février 1987, Plange Kraftfutterwerke, où elle avait déjà estimé que le crédit injustifié ne portait pas sur la totalité de l’avance, mais uniquement sur la différence entre le montant versé et le montant réellement dû.

La Cour transpose ce raisonnement en l’espèce et conclut qu’il est « conforme à la finalité de la réglementation en cause d’appliquer les dispositions de l’article 10, paragraphe 4, sous b) ou sous c), du règlement n° 798/80 qui limitent, dans un tel cas, le montant des sommes à rembourser au crédit injustifié dont a bénéficié l’opérateur, augmenté d’une majoration qui remplit la fonction d’une pénalité ». La sanction est donc double : la restitution de l’indu et une majoration à caractère de pénalité. Cette approche garantit que la sanction est économiquement corrélée au seul avantage dont l’opérateur a indûment bénéficié, tout en maintenant un effet dissuasif.

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II. La consolidation de la cohérence interne du système de préfinancement

Au-delà du principe de la sanction, l’arrêt renforce la logique du mécanisme de préfinancement en précisant les modalités de calcul de la restitution due (A), apportant ainsi une sécurité juridique accrue aux opérateurs économiques (B).

A. La détermination de la restitution réelle au sein du régime de préfinancement

La seconde question majeure était de savoir comment calculer la « restitution réelle » à laquelle l’opérateur pouvait prétendre pour le produit effectivement exporté. Deux méthodes étaient envisageables : appliquer le taux du jour de l’exportation selon le droit commun, ou utiliser le taux applicable dans le cadre du régime de préfinancement, c’est-à-dire celui préfixé ou celui en vigueur au jour du placement sous contrôle douanier. La Cour opte sans équivoque pour la seconde solution, afin de maintenir la cohérence du système.

Elle juge que l’enrichissement injustifié correspond à « la différence, calculée sur la base du taux de restitution prévu par l’article 4 du règlement n° 565/80, entre le montant de la restitution payée à l’avance et celui de la restitution qu’il aurait dû obtenir pour le produit effectivement exporté ». Pour évaluer l’avantage indu, il faut comparer des montants calculés sur une base homogène, celle du régime spécial dont a bénéficié l’opérateur. La Cour souligne en outre qu’une solution contraire pourrait produire des effets pervers. En effet, « l’application du taux de restitution défini par l’article 3 du règlement n° 2730/79 pourrait, en effet, constituer non pas une sanction mais un avantage pour l’opérateur », si les taux avaient augmenté entre-temps. Cette interprétation garantit donc l’effectivité de la sanction.

B. La portée de la solution : une contribution à la sécurité juridique des opérateurs

En apportant une réponse claire et motivée, la Cour de justice ne se contente pas de trancher un cas d’espèce mais énonce une règle de portée générale pour l’application du régime de préfinancement. L’arrêt offre une prévisibilité bienvenue pour les opérateurs économiques qui recourent à ce mécanisme complexe. Ils savent désormais qu’une erreur sur les caractéristiques qualitatives du produit exporté ne les expose pas à la perte totale de l’aide, mais à une sanction financière calculable et proportionnée.

Cette solution établit un équilibre juste entre la nécessité de protéger les deniers communautaires et celle de ne pas pénaliser de manière excessive des opérateurs qui ont, pour l’essentiel, rempli leur obligation d’exporter. En liant la sanction à l’avantage indûment perçu et en maintenant le calcul dans le cadre normatif du préfinancement, la Cour renforce la rationalité économique et la cohérence juridique du système. La décision contribue ainsi à la sécurité juridique, indispensable au bon fonctionnement des échanges commerciaux au sein de la politique agricole commune.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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