Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 27 février 2002. – Abfall Service AG (ASA) contre Bundesminister für Umwelt, Jugend und Familie. – Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof – Autriche. – Environnement – Déchets – Règlement (CEE) nº 259/93 relatif aux transferts de déchets – Compétence de l’autorité d’expédition pour contrôler la qualification de l’objet du transfert (valorisation ou élimination) et s’opposer à un transfert reposant sur une qualification erronée – Directive 75/442/CEE relative aux déchets – Qualification du dépôt de déchets dans une mine désaffectée. – Affaire C-6/00.

Par un arrêt rendu le 13 décembre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a apporté des clarifications essentielles sur le régime des transferts transfrontaliers de déchets. En l’espèce, une entreprise établie dans un État membre avait notifié à son autorité nationale compétente un projet de transfert de scories et de cendres vers une entreprise située dans un autre État membre. La finalité déclarée de l’opération était une valorisation, les déchets devant servir de matériau de remblai dans une ancienne mine de sel. L’autorité compétente d’expédition s’est cependant opposée à ce transfert, estimant qu’il ne s’agissait pas d’une opération de valorisation mais d’une opération d’élimination. Saisie du litige, la juridiction administrative suprême de l’État d’expédition a adressé à la Cour plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si l’autorité compétente d’expédition est fondée à contrôler la qualification de l’opération et à s’y opposer, et d’autre part, selon quels critères le dépôt de déchets dans une mine doit être qualifié soit d’élimination, soit de valorisation. En réponse, la Cour a jugé que l’autorité d’expédition est bien compétente pour vérifier l’exactitude de la qualification retenue par le notifiant et doit s’opposer au transfert si cette qualification est erronée. Elle a en outre précisé que le dépôt de déchets en mine ne constitue pas systématiquement une élimination, sa qualification dépendant de son objectif principal, qui doit être d’offrir au déchet une fonction utile en substitution d’autres matériaux. La décision structure ainsi tant la répartition des compétences de contrôle entre autorités nationales que la définition matérielle des opérations de traitement de déchets.

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I. La consolidation du pouvoir de contrôle de l’autorité d’expédition

La Cour reconnaît à l’autorité compétente de l’État d’expédition un rôle actif dans la surveillance des transferts, en affirmant sa compétence pour vérifier la qualification de l’opération (A) et en précisant les modalités de son opposition en cas d’erreur (B).

A. L’affirmation d’une compétence de contrôle partagée

La Cour de justice établit que le contrôle de la finalité d’un transfert de déchets ne relève pas de la seule compétence de l’autorité de destination. Elle juge en effet que « toutes les autorités compétentes destinataires de ladite notification doivent vérifier que la qualification retenue par le notifiant est conforme aux dispositions du règlement ». Cette responsabilité partagée découle des obligations générales imposées aux États membres par le droit communautaire. En particulier, l’article 30 du règlement n° 259/93 leur impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la conformité des transferts. De plus, l’obligation de sanctionner le trafic illégal, défini notamment comme un transfert consenti sur la base d’une fausse déclaration, implique logiquement un pouvoir de vérification en amont.

Cette solution prévient le risque qu’une qualification erronée, qu’elle soit intentionnelle ou non, permette à un transfert de déchets de bénéficier indûment de la procédure assouplie réservée aux opérations de valorisation. En conférant cette prérogative à l’autorité d’expédition, la Cour garantit un double niveau de contrôle et renforce l’effectivité du règlement. Elle écarte par là même l’argument selon lequel un tel pouvoir créerait une incertitude juridique due à des possibles divergences d’appréciation, considérant ce risque comme inhérent au système de surveillance mis en place par le législateur.

B. La définition d’un motif d’objection autonome

Après avoir consacré la compétence de contrôle de l’autorité d’expédition, la Cour en précise les modalités d’exercice. Elle indique que si l’autorité « estime que la finalité d’un transfert a été qualifiée de manière erronée dans la notification, [elle] doit fonder son objection au transfert sur le motif tiré de cette erreur de qualification ». Cette objection n’a donc pas à se fonder sur l’un des motifs limitativement énumérés par le règlement pour les transferts destinés à la valorisation. L’erreur de qualification constitue en soi un fondement suffisant et autonome pour interdire le transfert.

Cette approche présente une grande cohérence juridique. Elle évite de devoir recourir à des interprétations extensives ou analogiques des autres motifs d’objection qui ne sont pas prévus pour une telle situation. La Cour ajoute qu’il n’appartient pas à l’autorité de procéder elle-même à une requalification d’office, une telle action unilatérale étant incompatible avec le système du règlement. Le notifiant conserve ainsi la faculté de présenter une nouvelle notification sous la qualification adéquate ou de contester la décision d’opposition. L’objection doit par ailleurs être soulevée dans les délais stricts prévus par le règlement, garantissant ainsi la sécurité juridique pour l’opérateur économique.

II. La clarification de la frontière entre valorisation et élimination

Au-delà de la question procédurale, l’arrêt apporte une contribution fondamentale à la distinction de fond entre les opérations de valorisation et d’élimination, en écartant une approche purement formelle (A) pour lui préférer un critère fonctionnel et finaliste (B).

A. Le rejet d’une qualification par nature du dépôt en mine

La Cour était interrogée sur le point de savoir si le dépôt de déchets dans une mine devait être systématiquement considéré comme une opération d’élimination. Elle répond par la négative, affirmant que « le dépôt de déchets dans une mine désaffectée ne constitue pas nécessairement une opération d’élimination ». Ce faisant, elle refuse de s’en tenir à une lecture littérale des annexes de la directive de 1975, qui mentionnent le « stockage permanent (par exemple, placement de conteneurs dans une mine, etc.) » au titre des opérations d’élimination. La Cour constate que les listes d’opérations visent à récapituler les pratiques existantes sans pour autant être exhaustives ni exclusives.

Une même opération physique peut donc, selon les circonstances, relever de l’une ou l’autre catégorie. Cette analyse pragmatique permet d’éviter qu’une opération vertueuse sur le plan environnemental ne soit qualifiée d’élimination au seul motif de sa ressemblance formelle avec une opération listée à l’annexe II A. En imposant une appréciation au cas par cas, la Cour favorise une application intelligente de la réglementation, capable de s’adapter à l’évolution des techniques de traitement et aux spécificités de chaque projet. Elle confirme ainsi qu’une même opération ne peut être qualifiée simultanément d’élimination et de valorisation.

B. La consécration du critère de la substitution à une ressource

Pour guider l’appréciation au cas par cas, la Cour de justice dégage un critère directeur clair pour distinguer la valorisation de l’élimination. Elle énonce qu’une opération « constitue une valorisation si son objectif principal est que les déchets puissent remplir une fonction utile, en se substituant à l’usage d’autres matériaux qui auraient dû être utilisés pour remplir cette fonction ». L’élément déterminant est donc la finalité de substitution, qui permet de préserver les ressources naturelles, conformément aux objectifs de la directive. Le déchet cesse d’être un simple résidu à gérer pour devenir une ressource alternative.

Ce critère fonctionnel est au cœur de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Il permet de distinguer une véritable valorisation-matière d’une élimination déguisée, où le principal objectif resterait de se débarrasser du déchet. La Cour précise que ni le caractère dangereux du déchet, ni l’existence d’un traitement préalable ne sont des conditions déterminantes pour qualifier l’opération. L’essentiel réside dans l’utilité réelle et la fonction de remplacement du déchet. Il appartient dès lors à la juridiction nationale, et par extension aux autorités compétentes, d’évaluer, au regard des faits de l’espèce, si le dépôt en mine vise principalement à combler un vide ou à utiliser les propriétés du déchet comme substitut à des matériaux vierges.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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