Par un arrêt en date du 2 juillet 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a interprété les dispositions de la directive relative aux produits cosmétiques, précisant les limites du pouvoir des États membres en matière de contrôle de la publicité de ces produits. En l’espèce, une société commercialisait sur le territoire autrichien un dentifrice légalement fabriqué et distribué dans un autre État membre, en l’occurrence l’Allemagne. L’étiquetage de ce produit, ainsi que sa promotion publicitaire, mentionnaient une efficacité dans la prévention de la parodontose et la formation de tartre. Une entreprise concurrente a alors engagé une action devant les juridictions autrichiennes afin d’obtenir la cessation de ces allégations publicitaires, au motif qu’elles étaient contraires à la législation nationale.
La procédure a été initiée devant le Handelsgericht Wien. La société demanderesse soutenait que la réglementation autrichienne, et plus précisément une ordonnance sur les produits cosmétiques, établissait une liste exhaustive des substances actives autorisées pour revendiquer certains effets, dont la prévention du tartre. Or, le dentifrice litigieux ne contenait aucune des substances figurant sur cette liste pour l’effet allégué. La société défenderesse opposait que cette réglementation nationale constituait une entrave à la libre circulation des marchandises, garantie par le traité, et que la matière était entièrement harmonisée par la directive communautaire 76/768/CEE. Face à ce conflit entre le droit national et les principes du droit communautaire, la juridiction autrichienne a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle.
Il était ainsi demandé à la Cour si la directive relative aux produits cosmétiques, lue à la lumière du principe de libre circulation, s’opposait à une réglementation nationale qui interdit la publicité pour un produit cosmétique revendiquant un effet prophylactique, au seul motif que sa composition n’inclut pas de substances issues d’une liste nationale limitative, et sans que le fabricant ait obtenu une autorisation dérogatoire.
La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle réglementation nationale est contraire à la directive. Elle juge qu’un système national instaurant une interdiction de publicité fondée sur une liste exhaustive de substances autorisées, sans égard à la véracité de l’allégation, méconnaît le principe de proportionnalité et constitue une restriction injustifiée à la libre circulation des marchandises. La protection des consommateurs peut en effet être assurée par des moyens moins contraignants.
Cette solution, fondée sur une application rigoureuse du principe de proportionnalité dans le cadre d’un marché harmonisé (I), conduit à une censure claire des systèmes nationaux de contrôle a priori qui se révèlent trop restrictifs (II).
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I. L’application du principe de proportionnalité au contrôle des allégations cosmétiques
La décision de la Cour repose entièrement sur l’articulation entre l’objectif de protection des consommateurs fixé par la directive et le respect nécessaire du principe de proportionnalité. Elle rappelle ainsi que si les États membres doivent agir contre les publicités trompeuses (A), leurs mesures ne sauraient excéder ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (B).
A. L’encadrement de la publicité par la directive
L’arrêt s’appuie sur l’article 6, paragraphe 3, de la directive 76/768, qui impose aux États membres de prendre « toute disposition utile » pour que la publicité ne soit pas utilisée « pour attribuer à ces produits des caractéristiques qu’ils ne possèdent pas ». La Cour reconnaît que cette disposition poursuit un triple objectif : la protection des consommateurs, la loyauté des transactions commerciales et, indirectement, la protection de la santé publique. En ce sens, elle légitime une intervention des autorités nationales pour vérifier la véracité des allégations publicitaires.
Cependant, la Cour rappelle que la directive a procédé à une harmonisation exhaustive des règles relatives à l’emballage et à l’étiquetage des produits cosmétiques. Les États membres ne peuvent donc pas, pour des motifs couverts par la directive, refuser ou restreindre la mise sur le marché de produits conformes. L’article 6, paragraphe 3, définit le cadre de l’action nationale, mais il ne donne pas carte blanche aux États pour édicter n’importe quelle forme de contrôle. La mesure nationale doit rester un instrument au service de l’objectif de la directive, qui est d’assurer la véracité de l’information, et non d’établir des barrières techniques au commerce.
B. La soumission des mesures nationales à un contrôle de proportionnalité
Le point central du raisonnement de la Cour est que les mesures prises par les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité. Pour être conforme à ce principe, une réglementation nationale doit être à la fois apte à réaliser l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Or, la réglementation autrichienne est jugée disproportionnée. En effet, elle instaure une présomption irréfragable de fausseté pour toute allégation relative à un produit dont les composants ne figurent pas sur une liste préétablie.
Ce système est censuré car il interdit la publicité pour des produits dont les allégations pourraient être exactes, comme la Cour le souligne en relevant que la liste nationale n’est pas nécessairement exhaustive de toutes les substances ayant l’effet revendiqué. La réglementation ne cherche pas à vérifier la véracité de l’information, mais à imposer une composition spécifique. Une telle approche excède manifestement l’objectif de protection contre les informations trompeuses, car elle est susceptible de prohiber une information parfaitement exacte, privant ainsi les consommateurs d’un choix éclairé et les fabricants innovants d’un accès au marché.
La Cour sanctionne ainsi une logique de contrôle a priori qui se révèle excessive, ouvrant la voie à une critique plus fondamentale du mécanisme réglementaire choisi par l’État membre.
II. La censure d’un système de contrôle national jugé excessif
La décision de la Cour ne se limite pas à un rappel de principe ; elle invalide concrètement un modèle de réglementation fondé sur des listes positives (A) et promeut des alternatives moins restrictives pour la libre circulation des marchandises (B).
A. Le rejet d’une réglementation fondée sur une liste positive
Le système autrichien reposait sur une liste positive, c’est-à-dire une énumération limitative des seules substances autorisées pour revendiquer un effet. La Cour met en évidence les défauts d’un tel mécanisme dans un domaine technique et scientifique en constante évolution. Une telle liste risque de devenir rapidement obsolète et de freiner l’innovation, en excluant de facto les produits contenant de nouvelles substances actives dont l’efficacité serait pourtant démontrée.
De plus, la procédure d’autorisation dérogatoire, présentée par le gouvernement autrichien comme un moyen d’assouplir le système, est qualifiée par la Cour d’« entrave à la libre circulation du produit en cause, privée de toute justification ». Le fait de devoir obtenir une autorisation préalable, limitée dans le temps, pour utiliser une substance non répertoriée constitue une charge administrative et financière qui pénalise les fabricants et retarde l’accès au marché, sans que cela soit indispensable à la protection du consommateur. Le mécanisme d’autorisation ne sauve donc pas le caractère disproportionné de la réglementation.
B. La promotion de mécanismes de contrôle a posteriori
En censurant le système autrichien, la Cour suggère implicitement des solutions alternatives plus respectueuses du droit communautaire. Elle indique que la protection des consommateurs et la loyauté commerciale peuvent être assurées par des mesures moins restrictives. Elle évoque notamment la possibilité pour les autorités nationales d’exiger du fabricant ou du distributeur, « en cas de doutes, la preuve de l’exactitude des mentions publicitaires ».
Cette solution, qui s’inspire du mécanisme de la charge de la preuve prévu par la directive sur la publicité trompeuse, privilégie un contrôle a posteriori. Au lieu d’interdire par principe, l’autorité nationale pourrait contester une allégation et obliger l’opérateur économique à fournir les justifications scientifiques nécessaires. Un tel système permet de concilier efficacement la protection du consommateur, en s’assurant de la véracité des faits, et la libre circulation des marchandises, en ne faisant pas obstacle aux produits légitimes et innovants. La portée de cet arrêt est donc considérable : il oriente les États membres vers des méthodes de régulation plus souples et fondées sur la preuve, plutôt que sur des interdictions générales et abstraites.