Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 juin 1988. – Luc Van Landschoot contre NV Mera. – Demande de décision préjudicielle: Vredegerecht Brasschaat – Belgique. – Prélèvement de coresponsabilité dans le secteur des céréales. – Affaire 300/86.

Par un arrêt du 8 mars 1988, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer, sur renvoi préjudiciel d’une juridiction belge, sur la validité d’un règlement de la Commission relatif aux modalités d’application du prélèvement de coresponsabilité dans le secteur des céréales.

En l’espèce, un agriculteur avait vendu une quantité de blé à une société productrice d’aliments pour animaux. Cette dernière avait déduit du prix de vente une somme au titre du prélèvement de coresponsabilité, en arguant de son obligation de répercuter cette charge sur le producteur en sa qualité de premier transformateur. L’agriculteur a contesté cette retenue devant la justice de paix, soutenant que le prélèvement était institué en violation du principe d’égalité et de la réglementation du Conseil en la matière. Face à ce litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle portant sur la validité du règlement de la Commission fixant les modalités d’application dudit prélèvement.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si le régime d’exonération du prélèvement de coresponsabilité, tel que défini par le règlement litigieux, était conforme au principe général d’égalité, et plus spécifiquement à l’exigence de non-discrimination entre producteurs ou consommateurs au sein de la communauté. La question portait sur la différence de traitement entre, d’une part, les producteurs agricoles transformant eux-mêmes leurs céréales sur leur exploitation pour leurs propres besoins et, d’autre part, les transformateurs industriels effectuant la même opération pour le compte de ces mêmes producteurs.

La Cour de justice a déclaré le règlement partiellement invalide. Elle a jugé qu’il instaurait une discrimination en exonérant les producteurs qui transforment les céréales sur leur exploitation pour leur propre usage, sans accorder le même avantage aux transformateurs industriels ou aux producteurs utilisant des installations hors de leur exploitation, alors même que le produit transformé est destiné à être utilisé dans cette même exploitation.

L’analyse de cette décision révèle la manière dont la Cour sanctionne une rupture d’égalité entre opérateurs économiques (I), tout en organisant de façon pragmatique les conséquences de sa déclaration d’invalidité (II).

***

**I. La sanction d’une rupture d’égalité de traitement entre opérateurs économiques**

La Cour de justice fonde sa décision sur une application rigoureuse du principe de non-discrimination, en identifiant d’abord des situations comparables traitées différemment (A), puis en écartant les justifications avancées pour cette différence de traitement (B).

**A. L’identification de situations comparables traitées différemment**

Le règlement de la Commission exonérait du prélèvement de coresponsabilité « les premières transformations opérées par un producteur dans son exploitation agricole, pour autant que le produit issu de la transformation soit utilisé aux fins de l’alimentation animale dans cette même exploitation et que, de plus, l’installation de transformation fasse partie de l’équipement agricole de l’exploitation ». Cette disposition excluait de fait les transformateurs industriels, même lorsque ceux-ci agissaient pour le compte d’un agriculteur qui utilisait ensuite le produit transformé sur sa propre exploitation.

La Cour rappelle que l’objectif du prélèvement est de limiter les excédents structurels sur le marché des céréales. Par conséquent, le critère pertinent pour justifier une différence de traitement est la mise ou non sur le marché des produits transformés. Or, que la transformation soit effectuée par l’agriculteur lui-même sur sa ferme ou par un industriel pour le compte de cet agriculteur, le résultat est identique : les céréales transformées sont consommées en circuit fermé et « ne contribuant pas à la constitution d’excédents ». La Cour en déduit logiquement que les deux situations sont comparables au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation. Dès lors, le fait de soumettre l’une au prélèvement et d’exonérer l’autre constitue une discrimination prohibée par l’article 40, paragraphe 3, du traité CEE.

**B. Le rejet des justifications avancées pour la différence de traitement**

Face à cette rupture d’égalité, la Commission et le gouvernement italien invoquaient notamment des difficultés d’ordre pratique liées au contrôle des opérations de transformation réalisées en dehors de l’exploitation agricole. La Cour rejette cet argument de manière catégorique, considérant qu’une telle justification est insuffisante pour légitimer une discrimination. Elle souligne même que la limitation de l’exonération a pour effet de « défavoriser notamment les petites exploitations agricoles dont les ressources sont trop limitées pour financer les installations nécessaires à la transformation ».

La Cour écarte également une interprétation extensive de la réglementation qui aurait permis d’exonérer les transformateurs à la ferme achetant des céréales à des tiers. Elle procède à une analyse comparative des différentes versions linguistiques du texte pour conclure que seule la transformation par le producteur des céréales qu’il a lui-même produites est visée par l’exonération. Cette interprétation stricte, conforme à l’objectif de la réglementation, confirme l’existence de la discrimination à l’encontre des autres circuits de transformation aboutissant au même usage final. Le raisonnement de la Cour est donc implacable : la différence de traitement est avérée et injustifiée.

***

**II. La gestion pragmatique des effets de la déclaration d’invalidité**

Après avoir constaté l’invalidité du règlement, la Cour ne se contente pas d’une simple annulation, qui aurait eu des effets pervers (A). Elle choisit au contraire une solution constructive en ordonnant l’extension provisoire du régime d’exonération (B), démontrant une volonté de préserver la sécurité juridique et la cohérence du système.

**A. L’évitement d’une déclaration d’invalidité pure et simple**

Une déclaration d’invalidité pure et simple de la disposition litigieuse aurait eu pour conséquence de supprimer toute exonération au prélèvement de coresponsabilité, dans l’attente d’une nouvelle réglementation. Une telle solution aurait été paradoxale, puisqu’elle aurait pénalisé également les opérateurs que le législateur entendait initialement protéger, à savoir les agriculteurs transformant leurs céréales à la ferme. Tous les transformateurs, sans distinction, auraient alors été soumis au prélèvement, ce qui aurait créé une situation encore plus défavorable et contraire à la logique économique du système.

Consciente de ce risque, la Cour constate que « dans les circonstances particulières de l’espèce où la discrimination résulte du silence du texte plutot que de cette disposition, une déclaration d’invalidité pure et simple de la disposition en cause aurait pour resultat que, dans l’attente d’une nouvelle réglementation, toute exoneration serait exclue ». Pour éviter ce vide juridique préjudiciable, elle décide de moduler dans le temps les effets de son arrêt, en s’inspirant d’une disposition du traité relative à l’annulation des règlements.

**B. L’extension provisoire du bénéfice de l’exonération aux opérateurs discriminés**

Pour remédier à la situation, la Cour fait application par analogie de l’article 174, alinéa 2, du traité, qui lui permet d’indiquer les effets d’un règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Elle s’appuie sur des « motifs de sécurité juridique » pour prendre une mesure à la fois audacieuse et pragmatique. Elle précise ainsi qu’en attendant que le législateur communautaire adopte une nouvelle réglementation conforme au principe d’égalité, les autorités nationales compétentes doivent continuer d’appliquer l’exonération prévue.

Plus encore, elle leur enjoint d’étendre « le benefice de cette exoneration aux operateurs qui font l’objet de la discrimination constatee ». Par cette injonction, la Cour ne se contente pas de censurer, elle corrige. Elle intervient directement dans l’application de la norme pour rétablir l’égalité, transformant temporairement le juge en administrateur du droit. Cette solution démontre la volonté de la Cour de ne pas laisser les justiciables dans une situation d’incertitude et de garantir l’effectivité de ses décisions, en imposant une solution immédiate et équitable en attendant l’intervention, qu’elle rend indispensable, du législateur.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture