Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 octobre 1998. – Galileo Zaninotto contre Ispettorato Centrale Repressione Frodi – Ufficio di Conegliano – Ministero delle risorse agricole, alimentari e forestali. – Demande de décision préjudicielle: Pretura circondariale di Treviso – Italie. – Agriculture – Organisation commune des marchés agricoles – Marché vitivinicole – Régime de distillation obligatoire. – Affaire C-375/96.

Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des obligations incombant aux producteurs de vin dans le cadre de la politique agricole commune. La décision examine la validité de plusieurs règlements communautaires instaurant un régime de distillation obligatoire des vins de table pour la campagne 1993/1994, en réponse à une situation de déséquilibre grave du marché. L’affaire trouve son origine dans la contestation par un viticulteur italien d’une amende administrative qui lui fut infligée pour ne pas avoir livré à la distillation la quantité de vin requise par la réglementation. Saisie du litige, la juridiction nationale, la Pretura circondariale di Treviso, a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice de se prononcer sur la compatibilité des dispositions communautaires en cause avec les principes fondamentaux du droit communautaire. Le requérant au principal soulevait notamment la violation des principes de non-discrimination, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité, ainsi qu’un excès de pouvoir des institutions. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si le mécanisme de distillation obligatoire, tel que mis en œuvre pour la campagne 1993/1994, notamment en ce qui concerne la fixation des quantités à distiller pour l’Italie, respectait les garanties juridiques fondamentales reconnues aux opérateurs économiques. À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative, estimant que l’examen des dispositions contestées n’avait révélé aucun élément de nature à affecter leur validité. La solution retenue par la Cour repose sur une validation des instruments de gestion du marché vitivinicole, fondée sur le principe de solidarité entre producteurs (I), et sur une reconnaissance étendue du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires dans la définition des modalités techniques de cette intervention (II).

I. La validation d’un mécanisme de régulation fondé sur la solidarité communautaire

L’arrêt confirme la légitimité des mesures de régulation du marché vitivinicole en les adossant au principe de solidarité, ce qui conduit la Cour à écarter les arguments tirés d’une rupture d’égalité entre les producteurs (A) et de la violation de leur confiance légitime (B).

A. Le rejet du grief de discrimination fondé sur la répartition des charges

Le requérant au principal et le gouvernement italien soutenaient que la fixation de la quantité de vin à distiller pour l’Italie, s’élevant aux deux tiers du total communautaire, constituait une mesure discriminatoire. Ils arguaient que cette charge disproportionnée ne correspondait pas à la part de l’Italie dans la production communautaire et résultait d’une application opaque et différenciée des critères de calcul par la Commission. La Cour rejette cette argumentation en validant la méthode de calcul de la Commission, qui a démontré que la répartition était fondée sur des critères objectifs. Le pourcentage de référence, initialement fixé à 85 % par le règlement de base, a été ajusté de manière uniforme pour tous les États membres afin de tenir compte de la baisse de la consommation, conformément aux dispositions réglementaires. La part importante incombant à l’Italie s’expliquait par le volume exceptionnel de ses excédents de production. De plus, la Cour a relevé que la quantité finale imposée à l’Italie avait même été réduite lors des discussions au sein du comité de gestion des vins.

La Cour a également examiné l’argument selon lequel les producteurs respectueux de leurs obligations étaient pénalisés par le report des quantités non distillées par des producteurs défaillants lors de la campagne précédente. En intégrant ces volumes non distillés dans les stocks de la campagne suivante, la Commission aurait aggravé la charge pesant sur les producteurs de bonne foi. La Cour écarte ce grief en rappelant que l’objectif d’assainissement du marché impose une approche solidaire. Elle affirme que « tous les producteurs communautaires doivent, quel que soit l’État membre dans lequel ils sont établis, assumer, de façon solidaire et égalitaire, les conséquences des décisions que les institutions communautaires sont appelées à prendre pour réagir au risque d’un déséquilibre qui peut apparaître sur le marché ». Ainsi, la prise en compte des stocks reportés est justifiée par la nécessité impérative d’assainir le marché, et cette charge doit être répartie entre l’ensemble des producteurs.

B. L’inopposabilité du principe de confiance légitime face aux impératifs du marché

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur une éventuelle violation du principe de protection de la confiance légitime. Les producteurs italiens ayant respecté leurs obligations pour la campagne 1992/1993 pouvaient légitimement s’attendre à ne pas supporter les conséquences des manquements d’autres opérateurs. La prise en compte des volumes non distillés de la campagne précédente pour calculer les obligations de la campagne en cours aurait trompé cette confiance. La Cour répond à cet argument en se fondant sur une jurisprudence constante et rigoureuse. Elle rappelle que dans le domaine des organisations communes de marchés, caractérisées par une adaptation constante à la situation économique, « les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le fait qu’ils ne seront pas soumis à des restrictions résultant d’éventuelles règles de la politique des marchés ou de la politique de structure ».

Pour que le principe de confiance légitime puisse être invoqué, il faut que la Communauté ait elle-même créé une situation spécifique susceptible d’engendrer une telle confiance. En l’espèce, ni la répartition des quantités à distiller ni le report des stocks d’une campagne à l’autre ne constituaient une telle situation. Les mesures litigieuses s’inscrivaient dans le cadre normal de la gestion du marché vitivinicole, dont les opérateurs doivent anticiper les fluctuations et les contraintes réglementaires. En refusant de faire prévaloir les attentes individuelles sur les objectifs collectifs d’assainissement du marché, la Cour réaffirme la primauté de l’intérêt général dans la conduite de la politique agricole commune.

II. La consécration d’un large pouvoir d’appréciation des institutions

Au-delà de la validation des principes généraux du mécanisme, la Cour reconnaît aux institutions communautaires une marge d’appréciation étendue quant aux choix techniques mis en œuvre. Cette approche se manifeste dans l’examen de la proportionnalité du critère de rendement à l’hectare (A) et dans la validation du découpage géographique des régions de production (B).

A. L’appréciation de la proportionnalité du critère du rendement à l’hectare

La validité de l’article 39, paragraphe 4, du règlement de base était contestée au motif que le critère du rendement à l’hectare, utilisé pour répartir l’obligation de distillation entre les producteurs d’une même région, serait disproportionné. Le requérant soutenait que ce critère était inapproprié pour identifier les véritables excédents, pénalisant des producteurs dont les vins à haut rendement se vendaient facilement, tout en encourageant la production de vins de mauvaise qualité. D’autres critères, comme celui des stocks en fin de campagne, auraient été plus pertinents. La Cour rappelle d’abord que, dans le cadre de la politique agricole commune, le législateur dispose d’un large pouvoir discrétionnaire. Son contrôle se limite à vérifier le caractère manifestement inapproprié d’une mesure par rapport à l’objectif poursuivi.

En l’espèce, la Cour estime que le choix du rendement à l’hectare n’est pas entaché d’une erreur manifeste. Ce critère « vise à faire peser l’essentiel du poids constitué par la distillation obligatoire sur les producteurs qui sont les principaux responsables de la production d’excédents sur le marché des vins de table, tout en ne pénalisant pas les producteurs qui obtiennent de faibles rendements ». La mesure n’est donc pas considérée comme disproportionnée. Quant à l’existence de critères alternatifs potentiellement plus efficaces, la Cour souligne que la validité d’un acte ne saurait dépendre de considérations rétrospectives sur son efficacité. L’appréciation du législateur doit être jugée au regard des éléments dont il disposait au moment de l’adoption de l’acte, et non à la lumière de réflexions ultérieures.

B. La validation du découpage géographique des régions de production

La cinquième question préjudicielle mettait en cause la décision de la Commission d’assimiler les régions de production aux territoires des États membres, et donc de considérer l’ensemble du territoire italien comme une seule région. Le requérant au principal faisait valoir que cette délimitation ignorait la grande hétérogénéité géographique et œnologique de l’Italie, la rendant irrationnelle et inéquitable. La Cour rejette cet argument en jugeant que le choix de prendre pour repère le territoire des États membres est une solution « raisonnable » pour des besoins administratifs, notamment pour la collecte fiable des données sur les stocks et la production. Ce choix ne pourrait être remis en cause que s’il se révélait « manifestement inadapté aux structures de l’État membre en cause ».

La simple référence à une situation climatique variable ou aux effets d’une politique structurelle ne suffit pas à établir un tel caractère manifestement inadapté. La Cour s’appuie ici sur une logique pragmatique, privilégiant l’efficacité administrative. Elle relève d’ailleurs que le gouvernement italien avait donné son accord à cette délimitation. En validant ce choix discrétionnaire de la Commission, la Cour confirme que les impératifs de gestion administrative peuvent justifier une simplification des découpages géographiques, même si celle-ci ne reflète pas parfaitement la diversité des situations locales, à condition que ce choix ne soit pas arbitraire.

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