Par un arrêt du 3 décembre 1998, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction britannique, a précisé le régime de l’autorisation de mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques génériques. En l’espèce, plusieurs litiges opposaient des fabricants de médicaments génériques à des laboratoires pharmaceutiques innovateurs devant la High Court of Justice du Royaume-Uni. Le cœur du contentieux portait sur l’interprétation de la directive 65/65/CEE, qui permet à un fabricant de génériques de bénéficier d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché « abrégée » s’il démontre que son produit est « essentiellement similaire » à un produit de référence autorisé depuis au moins dix ans au sein de la Communauté. Les laboratoires innovateurs soutenaient qu’une telle procédure ne pouvait s’appliquer aux nouvelles indications thérapeutiques ou aux nouvelles formes de dosage de leurs médicaments, développées ultérieurement et protégées par des données cliniques récentes. À l’inverse, les fabricants de génériques estimaient que l’expiration de la période de protection de dix ans pour le produit initial leur ouvrait le droit d’exploiter l’ensemble des indications et dosages autorisés pour ce produit, y compris les plus récents. Face à ces interprétations divergentes, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la définition de la notion de « similarité essentielle » ainsi que sur la portée de la protection des données dont bénéficie le laboratoire innovateur. La Cour de justice répond que la similarité essentielle repose sur trois critères objectifs et que l’expiration de la période de protection initiale de dix ans permet au fabricant de générique d’obtenir une autorisation pour toutes les indications thérapeutiques et formes de dosage autorisées pour le produit de référence, sans qu’une protection additionnelle ne soit accordée aux innovations incrémentales.
La solution retenue par la Cour conduit ainsi à consacrer une définition stricte de la similarité essentielle (I), pour ensuite en déduire une application large de la procédure abrégée, limitant la protection accordée à l’innovation pharmaceutique (II).
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I. La consécration d’une définition objective de la similarité essentielle
Pour encadrer le recours à la procédure abrégée, la Cour de justice établit une définition précise de la similarité essentielle, fondée sur des critères scientifiques cumulatifs (A) et sur une approche finaliste qui limite la marge d’appréciation des autorités nationales (B).
A. Les critères cumulatifs de la similarité
La Cour de justice énonce qu’une spécialité pharmaceutique est essentiellement similaire à une autre si elle satisfait à trois conditions précises. Elle doit présenter « l’identité de la composition qualitative et quantitative en principes actifs, de l’identité de la forme pharmaceutique et de la bioéquivalence ». Ces critères ne figurent pas explicitement dans le texte de la directive 65/65, mais la Cour les tire d’une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l’adoption de la directive modificatrice 87/21. Bien qu’une telle déclaration ne puisse, en principe, être retenue pour l’interprétation d’une disposition lorsque son contenu « ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause », la Cour justifie ici son utilisation au motif qu’elle tend à « préciser une notion générale ». En se référant à ces trois critères techniques, la Cour ancre la notion de similarité essentielle dans des éléments objectifs et vérifiables, évitant ainsi des interprétations divergentes entre les États membres qui nuiraient à l’harmonisation du marché unique des médicaments. L’exigence de bioéquivalence garantit en particulier que, malgré une composition en principe actif identique, les effets du médicament générique sur l’organisme en termes de vitesse et de degré d’absorption seront substantiellement les mêmes que ceux du produit original.
B. Une interprétation finaliste encadrant le pouvoir des autorités nationales
Au-delà des trois critères objectifs, la Cour ajoute une clause de sauvegarde essentielle en précisant que la similarité n’est établie qu’« à condition qu’il n’apparaisse pas, au regard des connaissances scientifiques, qu’elle présente des différences significatives par rapport à la spécialité originale en ce qui concerne la sécurité ou l’efficacité ». Cette précision révèle l’objectif principal poursuivi par la Cour, qui est la sauvegarde de la santé publique. La procédure abrégée ne doit en aucun cas conduire à un abaissement des exigences de sécurité et d’efficacité imposées à toute spécialité pharmaceutique. Cette approche finaliste a pour conséquence directe de limiter strictement le pouvoir des autorités nationales. En effet, la Cour énonce clairement que l’autorité compétente d’un État membre « n’est pas en droit de faire abstraction des trois critères précités lorsqu’il s’agit de déterminer si une spécialité pharmaceutique donnée est essentiellement similaire à une spécialité originale ». Son rôle se limite donc à vérifier la présence de ces critères objectifs, complétée par une analyse scientifique de l’absence de différences significatives en matière de sécurité, sans disposer d’une marge d’appréciation pour définir elle-même la notion de similarité.
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L’interprétation stricte de la notion de similarité essentielle permet à la Cour de définir clairement le champ d’application de la procédure abrégée. Elle en tire des conséquences importantes quant à la durée de protection des données de l’innovateur, validant un système qui favorise l’accès rapide au marché des génériques au détriment de la protection des innovations additionnelles.
II. L’application extensive de la procédure abrégée au détriment de la protection de l’innovation incrémentale
La Cour déduit de sa définition que la protection des données cliniques ne s’applique pas de manière autonome aux nouvelles indications thérapeutiques (A), ce qui la conduit à valider l’équilibre opéré par le législateur communautaire entre la protection de l’innovation et la promotion du marché des génériques (B).
A. Le rejet d’une protection autonome pour les nouvelles indications
La conséquence la plus notable de l’arrêt est le refus d’accorder une période de protection distincte pour les données cliniques relatives aux nouvelles indications ou aux nouvelles formes de dosage développées après la première autorisation de mise sur le marché. La Cour juge qu’une fois la période de protection initiale de six ou dix ans écoulée pour le produit original, la procédure abrégée est ouverte pour l’ensemble de ses déclinaisons. Ainsi, « le demandeur peut bénéficier d’une amm pour toutes les indications thérapeutiques couvertes par cette dernière documentation, y compris celles autorisées depuis moins de six ou dix ans ». La Cour écarte les arguments visant à instaurer une protection supplémentaire, notamment la thèse du gouvernement britannique fondée sur le règlement n° 541/95, qui distingue les modifications mineures des modifications fondamentales d’une autorisation, ainsi que la proposition de la Commission de protéger les « innovations thérapeutiques majeures ». Elle estime que ces solutions sont contraires au libellé de la directive et créeraient une insécurité juridique. La protection est donc attachée au produit dans sa globalité, et non à chacune de ses applications thérapeutiques successives.
B. La validation de l’équilibre opéré par le législateur communautaire
En répondant à la question sur la validité de la disposition litigieuse, la Cour examine sa compatibilité avec plusieurs principes fondamentaux du droit communautaire. Elle juge que le principe de non-discrimination n’est pas violé, car le laboratoire innovateur et le fabricant de génériques ne se trouvent pas dans des situations comparables. Elle écarte également le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité, considérant que le législateur a concilié de manière appropriée l’objectif de sauvegarde des intérêts des entreprises innovatrices et celui d’éviter la répétition d’essais inutiles sur l’homme ou l’animal. Enfin, la Cour estime que le droit de propriété des laboratoires innovateurs n’est pas atteint dans sa substance, la restriction apportée par la procédure abrégée répondant à des objectifs d’intérêt général sans rendre impossible l’exercice de leur activité de recherche. En validant ce dispositif, la Cour reconnaît la large marge d’appréciation du législateur pour arbitrer entre des intérêts divergents. Elle indique qu’il appartient à ce dernier, et non au juge, de renforcer éventuellement le régime de protection accordé aux entreprises innovatrices s’il l’estime nécessaire.